1er carrefour genevois de solidarité Nord Sud : un bilan positif

Yanik Marguerat, quelle est votre fonction au sein de la Fédération
Genevoise de Coopération ?

Officiellement, je suis chargé de communication de la FGC.

Pourquoi avoir organisé ce 1er carrefour genevois de la solidarité
Nord Sud ?

Nous avions deux objectifs à la base du projet. D’une part, nous comptions
réunir les différents acteurs de la solidarité internationale
qui sont actifs à Genève et rendre visible ce qui se fait au sein
de la coopération genevoise de solidarité. Cela correspond aussi
à ce que nous exigeons de nos associations membres, c’est-à-dire
qu’elles soient actives dans le cadre associatif de Genève. Pour cette
raison, n’importe quelle association membre doit comporter un comité
et la capacité de réunir des gens autour de son action ; la sensibilisation
dans notre société civile des enjeux entre le Nord et le Sud constitue
un autre aspect important de nos attentes.

D’autre part, la FGC souhaitait instaurer un contexte favorable à la
coopération internationale. Ce carrefour servait ainsi à réunir
les collectivités publiques, les personnes donnant de l’argent dans le
cadre de la solidarité Nord Sud. A noter encore, ce rendez-vous a permis
à une vingtaine d’ONGs membres de la FGC présentes de tisser des
liens avec d’autres organisations et collectivités.

Enfin, la FGC s’emploie à exercer une forme de lobbying auprès
des collectivités publiques. Ce carrefour constituait un excellent moyen
de rentrer en matière à propos des coupes budgétaires et
de leurs répercussions sur les projets en cours.

Concrètement, sur le terrain, 3 millions de francs suisses en moins,
cela signifie quoi ?

Le service de la solidarité de l’Etat de Genève est plus particulièrement
touché dans le budget 2005 de l’Etat. Leur aide sur le terrain est forcément
ralentie, voire supprimée. Ils s’étaient engagés envers
plusieurs partenaires dans le Sud pour diverses actions. En se retrouvant avec
cette coupe de 3 millions sur 2005, ils ne peuvent plus faire face à
de nouveaux projets.

Si l’Etat se voulait vraiment être cohérent, il se dirigerait vers
le 0,7% qu’il a voté. C’est d’autant plus paradoxal lorsque l’on voit
la mobilisation que l’Asie du Sud a suscitée auprès des Genevois
et dans le monde.
Réunir les différents acteurs de la coopération internationale
et du développement, était-ce difficile ?

Nous l’avons considéré comme un défi et sommes encore en
pleine réflexion quant à une réitération de l’exercice.
Nous escomptons intégrer encore plus les organisations partenaires. En
portant à bout de bras ce carrefour, nous perdions de vue l’espoir que
les collectivités publiques prennent une grande place dans lors de cet
événement. A l’avenir, la FGC aimerait leur donner un rôle
plus prédominant. Pour revenir à votre question, oui, cela a pris
pas mal d’énergie pour qu’un maximum d’organisations puisse être
présentes.

Dans l’ensemble, cela a nécessité beaucoup de temps et d’argent
malgré le fait que nous ne voulions pas investir trop de fonds car notre
objectif est bien de financer en priorité des projets au Sud. Dans cette
optique, nous ne pouvions pas nous lancer dans de grosses dépenses pour
mieux communiquer. Notre secrétariat est relativement petit. La FGC compte
environ 6% de frais administratifs- ce qui est peu. Cela ne doit pas changer.

Quels sont les thèmes qui sont ressortis lors de diverses tables rondes
du carrefour ?

Il y en a eu beaucoup. La formule voulait qu’un grand débat à
propos de la pertinence de la solidarité Nord Sud ouvre la manifestation.
Nous n’avons pas eu peur de nous poser des questions peu complaisantes. Après
40 ans de fonctionnement, on a réalisé que les besoins au Sud
sont toujours aussi importants, ce qui remet en cause notre action. Le ton était
volontairement autocritique. D’ailleurs le thème de la solidarité
ne suppose pas uniquement la dualité Nord-Sud. Les disparités
sont telles aujourd’hui qu’on évoque aussi la solidarité du Nord
envers le Nord et du Sud envers le Sud.

Evidemment, nous nous sommes efforcés de donner la parole aux personnes
du Sud, à des individus qui vivent sur le terrain. Nous les avons poussé
à participer au maximum à toutes les tables rondes et aux débats
radiophoniques. Il fallait qu’ils expliquent ce que la solidarité représente
à leurs yeux.

La question de la légitimité des ONGs a été soulevée.
A ce niveau, les échanges ont été assez intéressants
du reste.

La déclaration de Berne a organisé une discussion autour de l’évasion
fiscale. Dans un sens, c’est aberrant de savoir que les ressortissants des pays
du Sud qui vivent un manque à gagner dans leur propre nation, placent
leur argent en Suisse. Cela représente un tiers de la fortune mondiale.
Par ce biais, les fonds qui échappent aux gouvernements de ces pays représente
cinq fois la somme qui est investie par le Nord dans la coopération internationale.
Il y a quelque chose à revoir pour vivre dans un monde plus équitable.

Une autre table ronde organisée par deux associations a tenté
de « réinventer le développement », de dresser les
alternatives existantes aujourd’hui aux voies traditionnelles empruntées
par les acteurs de la coopération internationale. Des perspectives assez
concrètes sont ressorties. La FGC n’a, quant à elle, pas proposé
de pistes précises. Nous y avions réfléchi au préalable
et c’était volontaire. A vrai dire, l’affluence enregistrée atteste
du succès de la manifestation, surtout lors de la journée du samedi.
Le réseau de la FGC a été largement dépassé
et s’est donc agrandi.

Des contes, des concerts, des stands d’information ont encore agrémenté
tout le carrefour. Cela nous a permis d’accueillir avec plaisir le grand public.

Une question centrale, « la solidarité Nord Sud, pour quoi faire
? », a drainé le reste de la manifestation. Les visiteurs avaient-ils
le moyen d’écrire ce qu’elle représente à leurs yeux ?

Non. En fait, nous avions envoyé cette question à nos partenaires,
aux bénévoles, aux collectivités publiques, à la
DDC et à nos associations partenaires. Une bonne centaine de réponses
a été affichée grâce au travail d’un graphiste sur
le mur central à l’intérieur du forum de Meyrin.

A titre d’exemple, un Sénégalais a répondu : « Parce
qu´au Sud on meurt d´une piqure de moustique ou d´une eau
sale avant d´être vieux … et parce qu´au Nord, quand on
est vieux, on meurt de solitude dès qu´il fait trop chaud. ».
D’autres ont affirmé que la solidarité internationale existe pour
donner bonne conscience aux nantis. L’esprit critique a donc été
exacerbé tandis que beaucoup de personnes issues des pays riches se sont
rendues compte que rien ne changera tant que certains comportements ne seront
pas proscrits. A ce constat se substitue la question : jusqu’à où
sommes-nous capable d’aller pour construire un autre monde ?

La solidarité exprimée est-elle toujours bien vécue
de la part des partenaires du Sud ? L’Inde, par exemple, a bien refusé
l’aide internationale à la suite du tsunami survenu en décembre
2004.

Leur message est très fort, en effet. Ca reflète que l’Inde revendique
une image de nation puissante. Ce n’est pas anodin. Ce refus survient malgré
la fait qu’il réside de nombreuses inégalités dans leur
pays. Il faut être solidaire. Oui, mais de quelle façon ? Si le
Nord peut tendre la main, c’est pour permettre aux acteurs du Sud d’être
les décideurs du Sud. L’autodétermination a largement été
discutée lors de ce carrefour. Dans les années 70, trop de projets
ont été décidés sans l’avis des populations locales.
Beaucoup d’argent a été dépensé dans des chantiers
conçus par les organisations du Nord sans aucune concertation des m¦urs,
des besoins et des attentes des personnes vivant sur place. Construire une usine
pour commercialiser le poisson dans une région de tradition pastorale
constitue un bon exemple de ce qu’il ne faut plus faire car, au bout, c’est
l’échec garanti.

Considérez-vous ce premier carrefour comme une réussite ?

Le bilan a été très positif. Les collaborations se sont
montrées intéressantes. Beaucoup de personnes des communes genevoises
ont été présentes. Meyrin où s’est déroulé
le carrefour nous a vraiment soutenu.

Pour de ce qui est de réorganiser le carrefour genevois de solidarité,
rien n’est définitif. A la base de cet événement, il y
a eu un long processus de réflexion construit avec nos différents
partenaires. Le souhait d’améliorer notre communication nous a amené
à organiser cette manifestation en espérant qu’elle perdure tous
les deux ans. Aujourd’hui, il est trop tôt pour affirmer quoique ce soit.
La FGC doit auparavant dresser un bilan complet. A priori, l’expérience
devrait se pérenniser. Le tout est de savoir quel montant nous voulons
investir pour l’information et la communication sans toutefois priver des projets
au Sud d’une manne nécessaire à leur développement. A nous
de trouver un compromis- peut-être avec les collectivités publiques
de la place genevoise ou d’autres partenaires.

Olivier Grobet

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