Aide d’urgence et coopération au développement : les deux pôles de l’humanitaire

Certains s’en félicitent, d’autres s’en enorgueillissent, alors qu’une frange de ses propres bénéficiaires s’en méfie. Vous l’aurez deviné – l’humanitaire, en tant que mot, ne fait pas l’unanimité. Assimilé à de grosses organisations internationales durant les années 80, ses propres « artisans » d’aujourd’hui lui préfèrent souvent le mot solidarité. L’humanitaire aurait-il vécu une crise de valeur, voire de confiance ?

Un début philanthrope

Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le mot humanité apparaît et, qu’un siècle après, qu’il connote pleinement le genre humain dans tout son sens universaliste et humaniste. Il aura toutefois fallu attendre Chateaubriand pour entendre le terme humanitaire comme un synonyme de philanthropie à l’inverse d’autres auteurs, comme Balzac, qui préféra le qualifier d’ «  humanitarisme bêlant » – saupoudré d’un zeste d’ironie face à l’altruisme et aux bonnes mœurs que la vertu humanitaire pourrait imposer. Que cela ne tienne. La charité n’a en effet pas que des vertus. Loin s’en faut – il suffit d’observer les mesures caritatives mises en place pour maintenir l’indigent la tête hors de l’eau. La charité resterait-elle toujours un geste désintéressé ? Probablement pas. La charité a aussi servi à étouffer la révolte des plus pauvres, à maintenir un système mondial qui, de fait, favorise une fracture sociale. Et aujourd’hui le fossé se creuse encore et encore entre les plus riches et les plus pauvres. Vision dichotomique réductrice ?

Le paradigme militaro-humanitaire controversé

Rony Brauman, militant de la première heure de Médecins Sans Frontières, explique lors d’une interview avec Dominique Bari : « Au cours de mon engagement à MSF, je me suis aperçu que si l’utilité de l’aide humanitaire ne fait aucun doute, elle soulève des questions au fur à mesure qu’elle en résout. Depuis la chute du mur du Berlin, ou plus exactement depuis la guerre du Golfe, les grandes interventions militaro-humanitaires ont renouvelé la problématique sur les relations entre l’humanitaire et le pouvoir. Elle correspond à une transformation du contexte international et l’humanitaire apparaît alors à l’ombre des canons. En Somalie, sous la bannière de l’humanitaire, des soldats ont tué des gens. Les interventions de cette nature divisent le mouvement. Certains s’y retrouvent et considèrent qu’au fond c’est peut-être une façon de poursuivre une mission civilisatrice et de faire régner une certaine forme d’ordre international. D’autres les refusent et les combattent. Et c’est un paradoxe. Nous avions pris l’habitude de ferrailler contre des gens qui, dans la logique de leur guerre, s’opposaient à l’action humanitaire. Aujourd’hui, il nous faut aussi combattre sur nos arrières pour défendre nos principes. L’humanitaire ne peut pas s’accommoder de l’usage de la violence. »

Devenu instrument de l’ingérence politique, un certain style humanitaire a été pris en otage par ses propres bailleurs de fonds. Le prétexte humanitaire et les droits humains ont d’ores et déjà justifié des interventions controversées en Irak par exemple sous prétexte de libérer un peuple de son tyran et de lui offrir la démocratie. Illusion, bien sûr, lorsque l’on connaît les enjeux économiques sous-jacents.

Les Etats Nations qui d’un côté lancent leur force armée pour stabiliser une cosmogonie politique, financent de l’autre les plus grosses ONG afin de minimiser les pertes civiles. Rien d’étonnant dès lors de savoir que les principaux sigles humanitaires comme le Comité International de la Croix Rouge sont pris pour cible dans certains pays récalcitrants à cette ingérence et cela malgré une volonté affichée d’impartialité et de neutralité de la part des organisations humanitaires.

Le paradoxe humanitaire

L’humanitaire vit un paradoxe dérangeant et dangereux pour sa propre légitimation. D’un côté, sa large majorité ne supporte pas le laisser-faire, s’indigne et désire en faire plus pour éviter le pire. De l’autre, cette volonté commune entraîne inévitablement ses acteurs dans les méandres de cette ingérence si délicate en terme de relations internationales – un équilibre délicat et subtil.
De plus, les populations du Nord attribuent volontiers à ce type d’organisations le devoir de résoudre les problèmes lors de crises militaires, catastrophes naturelles et tout autant au niveau de la coopération au développement. Cela dédouane-t-il quiconque de penser que cette attente est démesurée dans le contexte actuel ?

L’humanitaire mérite un nouveau débat et se doit probablement de faire son autocritique. Force est de croire que le prétexte humanitaire appuie les prérogatives imposées par certaines institutions internationales –  à l’instar de l’OMC qui, pour accorder des mesures d’aides aux pays en voie de développement, n’hésite pas à exiger des réajustement structurels et économiques de ce même pays.

L’humanitaire ne peut en aucun cas constituer un prétexte au renforcement d’un ordre mondial oligarchique. Au-delà de développer une vision politique alternative – certains y préféreront le mot altermondialiste – les ONG ne peuvent être responsables de se transformer en « sauveurs » et faire perdurer une vision victimaire. Il existe une réelle responsabilité politique des Nations et au-delà de cela, une responsabilité sociale des entreprises. Sans une prise de conscience collective de la société civile et des instances dirigeantes, les humanitaires, au sens large, ne pourront être qu’assimilé à des « pompiers » de l’urgence humaine ou encore à de vagues utopistes en quête d’un idéal laissant songeur la plupart…de doux rêveurs en quelque sorte.

Solidarité une valeur tant au niveau de l’aide d’urgence que de la coopération au développement

Or, l’une des valeurs fondamentalement reconnue par la majorité des acteurs de l’humanitaire se cristallise autour du mot solidarité. Peut-être parce qu’outre sa connotation caritative, il suggère un lien fraternel et indéniable entre tous. Ce que nous faisons ici influence là-bas et réciproquement.
L’humanitaire réduit à l’aide d’urgence ne fait pas de sens, tout comme s’il n’avait pas en parallèle une réelle volonté politique de changement et d’améliorations du contexte mondial. Un nouveau paradigme humanitaire prendrait logiquement tout son sens dans l’avènement d’une corrélation indéniable entre l’aide d’urgence et la coopération au développement. L’un pour lutter contre les catastrophes naturelles et militaires, l’autre pour prévenir et trouver un chemin de dialogue loin de l’ingérence. Un lien qui assurerait le respect de l’autodétermination des peuples et de leur propre développement et qui octroierait le droit d’agir dans les situations d’urgence dans des conditions impartiales.

Ce renforcement entre ces deux pôles, avec comme pierre angulaire : la solidarité, pourrait se dessiner comme le futur de l’humanitaire. Mais pour un humanitaire indépendant, libre ne servant pas d’instrument d’ingérence politique et qui se doit de réfléchir aujourd’hui à son propre champ d’action.

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Olivier Grobet

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