Aja Diggelmann, coopérante au Burkina Faso : « Au Burkina, je reçois plus que je ne donne… »

De Berne à Ouagadougou… de la Suisse au Burkina Faso. Un « voyage » professionnel et existentiel aussi profond que significatif, reconnaît l’anthropologue suisse Aja Diggelmann, qui travaille depuis novembre 2015 dans ce pays africain. Elle renforce les activités de communication et de gestion de projets de la Marche Mondiale des Femmes/Action Nationale du Burkina Faso (MMF/ANBF), l’un des partenaires historiques d’E-CHANGER (E-CH). « Mon séjour au Burkina Faso est une sorte de retour adulte à mes racines enfantines, vu que j’ai passé les premières trois années de ma vie à Kasangulu, en République Démocratique du Congo ». Cette étape signifie, pour moi, un saut qualitatif en avant. « Après avoir travaillé en Suisse avec des migrants, sous un grand stress et quasiment à 150 %, j’ai récupéré au Burkina Faso un équilibre existentiel et professionnel important », souligne Aja Diggelmann, qui fait bénéficier son projet actuel des expériences accumulées durant plusieurs séjours africains, ainsi qu’en Colombie et en Thaïlande.

Q : Y a-t-il des parallèles entre le travail que vous avez effectué en Suisse avant votre départ, dans un centre de migrants du canton d’Argovie, et votre actuel engagement avec la Marche Mondiale des Femmes ?

Aja Diggelmann (AD) : Il y a des éléments communs, en ce qui concerne mes valeurs éthiques et personnelles, pour effectuer l’une et l’autre tâche. Néanmoins, je dois reconnaître qu’au Burkina Faso, bien que nous ayons beaucoup de travail et que nous soyons une petite équipe, je suis plus tranquille qu’avant mon départ, en novembre 2015, en raison d’une surcharge quotidienne dans un espace rempli de tensions liées à de vrais drames personnels.

Q : Que signifie « une petite équipe » professionnelle dans un mouvement social comme la MMF/ANBF ?

AD : Nous sommes cinq personnes : la coordinatrice, la secrétaire, le coursier – un aide qui effectue toutes les démarches, un spécialiste en matière comptable (à temps partiel) et moi-même comme responsable de la communication.

Q : Une équipe mixte de femmes et d’hommes…

AD : Effectivement. Nous avons aussi des personnes ressource qui participent aux commissions, comme celle de la communication, aussi bien des femmes que des hommes. Ce n’est pas un problème pour la MMF du Burkina Faso. Je comprends qu’il faut promouvoir des synergies avec les hommes pour atteindre certains objectifs.

Q : Quels sont les axes de travail de la MMF au Burkina Faso ?

AD : Nous impulsons plusieurs projets. Actuellement, l’un des plus importants – qui compte sur l’appui d’OXFAM, c’est l’appui aux femmes restauratrices de rue. Elles ont de petits restaurants qui peuvent accueillir une dizaine de personnes. Nous essayons de faire en sorte qu’elles améliorent l’offre de service, qu’elles assurent la qualité de la relation avec les employé-e-s et nous y incluons aussi leurs maris. A un niveau plus global, nous venons d’élaborer un plan stratégique de cinq ans, basé sur la lutte contre la pauvreté, contre la violence envers les femmes, en faveur du développement organisationnel et de la paix. Nous voulons organiser des cours dans les écoles et les villages sur la sexualité et la planification familiale. Nous promouvons aussi une série de synergies avec d’autres organisations, féminines ou non, dans tout le Burkina Faso, afin que la thématique de genre soit présente dans les différents secteurs et activités de la société civile.

 Q : En ce qui concerne vos tâches spécifiques…

AD : J’ai eu la responsabilité d’élaborer, comme partie du plan stratégique, le programme de communication. Je coordonnais un groupe mixte et interdisciplinaire de cinq personnes qui m’accompagnaient dans la réflexion et la définition des contenus. J’ai créé un site web pour la MMF/ANBF, dont je m’occupe ainsi que de Facebook et des réseaux sociaux. Nous avons élaboré un flyer de présentation et actualisé le bulletin. J’ai la charge d’écrire les rapports, ainsi que les procès verbaux de toutes les réunions, aussi bien celles de l’équipe que des structures extérieures. Dans le cadre du projet des restauratrices de rue, j’ai élaboré une proposition de suivi. J’effectue donc un travail très varié dans la communication, dans le renforcement institutionnel et dans la conceptualisation de la gestion de projets.

Q : En observant cette abondance de tâches et de responsabilités diverses, quel a été votre principal apport durant ces 16 premiers mois de travail ?

 AD : Durant les quatre premiers mois, je me suis limitée à écouter, à observer, à comprendre les dynamiques internes. Ensuite, j’ai commencé, peu à peu, à agir et à suggérer. Peut-être mon principal apport consiste-t-il à combattre un stéréotype : celui de la coopération venue du Nord, appliquée de manière verticaliste et parfois autoritaire. Je rejette cette manière de voir et de la concevoir. Je suis toujours à l’écoute et disponible pour des suggestions, des critiques, des propositions.

Q : Et vos principaux apprentissages…

AD : Bonne question… J’ai appris à être plus détendue, existentiellement et professionnellement. Nous travaillons intensément, mais selon une rationalité collective qui apporte beaucoup.

Q : Quel est, à votre avis, le principal apport de ce type de coopération personnalisée, avec des coopérant-e-s sur le terrain ? Quelle est, pour vous, la plus-value d’un programme comme celui d’E-CHANGER au Burkina Faso ?

AD : Sans aucun doute, la tranquillité d’avoir un contrat de 3 ans minimum facilite énormément le processus pour atterrir, « s’acculturer » et s’habituer à un nouveau cadre de vie et de travail. Sans avoir l’anxiété de devoir intervenir à toute vitesse dans l’équipe, avec le risque de se tromper.  Un autre élément-clé est le concept d’E-CHANGER – comme son nom l’indique – sur le type de coopération, d’échange horizontal, sans transferts ou impositions verticales. Que les partenaires puissent choisir la personne dont ils ont réellement besoin pour leur travail et pour l’équipe est aussi un facteur-clé. Tous ces aspects font la différence. Ils définissent un paradigme de coopération solidaire, à visage humain, auquel je m’identifie pleinement.

Q : Une réflexion finale…

AD : Je suis persuadée que, dans mon travail et dans ma vie burkinabé, je reçois plus que je ne donne…

Propos recueillis par Sergio Ferrari

Version complète en www.e-changer.org

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