Argentine : Mauricio Macri allume le feu social

Plusieurs centaines de milliers d’Argentins ont dénoncé lundi 18 décembre la réforme des retraites voulue par le gouvernement de Mauricio Macri. De nouveaux incidents ont eu lieu en marge du vote au Congrès.

A Buenos Aires, autour du Congrès, un nuage de fumée épaisse plane sur les rues et les places. Sur le sol, une mer de pierres, de décombres et de cartouches de balles en caoutchouc semble avoir tout recouvert, conséquence des affrontements entre des centaines d’émeutiers et la police. Alors que la grande majorité des manifestants convoqués par les partis politiques et les mouvements sociaux défilaient dans le calme, de petits groupes se sont détachés des cortèges et ont commencé à attaquer les forces de l’ordre à l’aide de pierres mais également de cocktails Molotov et de pétards. A l’intérieur du parlement, imperturbables aux affrontements comme à la foule gigantesque qui protestait pacifiquement, les députés ont voté le principe d’une retraite amputée. Si les élus confirment leur vote, l’inflation ne sera plus que partiellement compensée pour les rentiers.

Après la répression aveugle de jeudi dernier durant laquelle des députés de l’opposition et de nombreux journalistes ont été blessés et gazés par la gendarmerie et la police fédérale, le gouvernement avait pris la précaution de mettre sa ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, sur la touche. La protection du Congrès était confiée mardi à la police de la ville de Buenos Aires, avec des ordres clairs: pas d’armes à feu, obligation d’être en uniforme et identifiés et riposte interdite sans autorisation.

Mais face à la détermination et à l’extrême violence d’une minorité de manifestants, les forces de l’ordre ont rapidement été débordées malgré l’intervention de canons à eau et des tirs soutenus de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc. Et la police fédérale a dû intervenir pour éloigner les émeutiers.

Chantage aux fonds fédéraux

Une fois la foule dispersée, après trois heures de guérilla urbaine, les forces de l’ordre ont profité de la confusion pour passer à l’action et procéder à des arrestations arbitraires et musclées. Des manifestants qui n’avaient pas pris part aux heurts et des journalistes ont été interpellés malgré les protestations de leurs collègues couvrant les évènements.

Durant l’évacuation des rues proches du Congrès, des manifestants ont été percutés par des motos et des camions de police, d’autres ont été frappés alors qu’ils étaient au sol. Plusieurs vidéos mettent en évidence ces violences gratuites qui ont marqué une nouvelle journée noire, à l’issue de laquelle plus de 150 personnes ont été blessées et une soixantaine arretées.

Minoritaire au Congrès, le président a finalement pu obtenir une courte majorité en menaçant les gouverneurs de provinces péronistes, proches de l’opposition, de voir se tarir les fonds fédéraux. Une «extorsion», selon les élus du Front pour la victoire de l’ancienne présidente et actuelle sénatrice Cristina Kirchner, qui qualifiaient le projet d’inconstitutionnel et d’immoral. María Emilia Soria, députée de la province de Río Negro, est même allée plus loin en affirmant que les gouverneurs péronistes qui soutenaient le projet du gouvernement étaient les «prostituées de Macri».

Après plus de quatorze heures de discussions, de prises à partie, d’échanges houleux et parfois d’insultes, les députés ont pris part au vote aux alentours de 6h30, mardi matin. Avec 127 voix pour, 117 contre et 2 abstentions, la réforme a été approuvée dans un contexte qui reflète la division profonde de la société argentine. La séance devait reprendre hier soir à l’heure où nous mettions sous presse pour un vote article par article.

Inflation mal compensée

Dans un pays à forte inflation, la réforme modifie la formule de calcul de l’augmentation des retraites et des pensions mise en place par le gouvernement précédent. Selon les calculs réalisés par plusieurs experts, l’augmentation serait de 5,7% avec cette nouvelle formule contre 14% actuellement, ce qui ne permettrait pas aux retraités les plus dans le besoin de faire face à la hausse des prix.

Impopulaire dans le pays, la réforme a ravivé la contestation au sein de la classe moyenne. Durant la nuit, les casseroles ont résonné un peu partout à Buenos Aires et dans les principales villes du pays, rappelant à tous les grandes mobilisations du 19 et du 20 décembre 2001 qui avaient coûté la vie à plusieurs manifestants et obligé le président De la Rúa a quitté le palais présidentiel en hélicoptère.

Alors que l’opposition a déjà fait part de son intention de saisir la justice pour annuler la loi, les mouvements sociaux et les syndicats ont annoncé de nouvelles mobilisations.

Mercredi 20 décembre 2017 – Marc Le Douaron, Le Courrier

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