Argentine: NI fous, ni morts, un livre témoigne de la dictature

Des prisonniers politiques sous la dictature argentine ont décidé de témoigner et leurs tortionnaires sont maintenant en prison. Le récit de leur emprisonnement, sorti en Argentine en 2003, vient de paraître en français sous le titre «Ni fous, ni morts».

De 1976 à 1983, l’Argentine vit sous un régime dictatorial qui s’affiche national-catholique et anti-communiste. Près de 15’000 opposants politiques sont fusillés, 9000 emprisonnés, 30’000 disparaissent et près d’un million et demi d’Argentins partent en exil.

Au pénitencier de Coronda, à 500 km de Buenos Aires, un millier de prisonniers politiques sont détenus entre 1974 et 1979. Une histoire très brutale quʹune septantaine dʹentre eux a décidé de raconter.

«Le but de ce livre, ce n’est pas seulement de publier le témoignage de prisonniers politiques sous la dictature, mais aussi de partager avec un public francophone le résultat du procès récent contre la direction de la prison», explique Sergio Ferrari, qui vit en Suisse depuis qu’il a quitté Coronda en 1979 après trois ans d’enfermement.

Crime contre l’humanité

Les auteurs du livre, rassemblés au sein du collectif le Périscope, se sont portés partie civile dans le procès contre trois anciens commandants de la prison de Coronda pour crime contre l’humanité. Ceux-ci ont été condamnés en 2018 à des peines allant de 17 à 22 ans de prison.

Au cours des 15 à 20 dernières années, plus de 600 hauts gradés de l’armée ont été inculpés sous le même motif. «La différence avec le procès de Coronda, c’est que pour la première fois, c’était au tour de responsables de prisons d’être sur le banc des accusés. Il y a 6 ou 7 ans, cela aurait été inimaginable que la justice intervienne à ce niveau, plus bas, de la hiérarchie», relève le journaliste.

Et l’Argentine n’en est pas restée là. L’an dernier, des responsables de Mercedes-Benz sont passés devant la justice parce que plusieurs employés avaient disparu de leurs ateliers.

L’Eglise touchée

La hiérarchie de l’Eglise catholique, jugée complice de persécutions sous la dictature, n’est pas non plus épargnée. Des curés et des aumôniers de l’armée rendent actuellement des comptes devant les juges.

Le collectif Le Périscope veut lui aussi aller plus loin. Avec ses avocats, il étudie la possibilité d’instruire un nouveau procès contre les gardiens de prison, «qui ont été des complices actifs de la torture quotidienne contre nous».

Un tel travail de mémoire et de justice ne s’est pas vu dans l’Espagne après Franco ni dans n’importe quel autre pays d’Amérique latine, souligne le militant.

Enfermé à l’âge de 22 ans

Sergio Ferrari a été enfermé à l’âge de 22 ans dans la prison de Coronda avec son frère. Dans sa cellule de 9m2, un lit, une petite fenêtre, un lavabo: «Je pouvais à peine faire quatre pas et demi aller et quatre pas et demi retour.»

Pour les jeunes gens emprisonnés, un des premiers réflexes aura été de se protéger des gardiens. Pour suivre le mouvement des matons depuis les cellules, les prisonniers bricolent des périscopes, un petit miroir fait de mie de pain brûlée et d’un bout de vitre brisée, qu’ils glissent sous la porte au bout d’une paille arrachée à un balai.

Communiquer à tout prix

Comme la lecture était interdite, les prisonniers lisent la posologie de médicaments encore et encore. Ils exercent leur mémoire en apprenant par coeur la composition d’un sirop contre la toux.

Le besoin d’échanger avec les autres détenus s’impose vite. «On communiquait entre nous en morse avec les doigts à travers les trous d’aération sur les portes. Enfermés 23 heures sur 24, on avait tout notre temps pour apprendre.»

Ils communiquent aussi par les tuyaux des lavabos et des WC vidés de leur eau. «On a donné et écouté des cours d’histoire, de sociologie, on s’est raconté des films, des pièces de théâtre», se souvient-il.

Parution au début du confinement

Ce livre est paru fin mars au début du confinement. Grâce au bouche-à-oreille et aux réseaux sociaux, le groupe, qui a rendu ce projet possible en Suisse, a vendu plus de 300 exemplaires en six semaines.

Une dizaine de rencontres publiques en Suisse romande, à Berne et en France ont dû être annulées. Le tout est reporté, «peut-être à partir de septembre.»

Pour la première édition en espagnol parue en 2003, les ex-prisonniers de Coronda ont laissé passer une génération avant d’être en mesure de revenir sur cet épisode traumatisant. Il aura fallu ensuite presque 20 ans pour traduire ces témoignages dans une autre langue, le français. L’italien pourrait être le prochain idiome.

http://www.nifousnimorts.com/

ATS, 17.5.2020 – 09:04
https://www.bluewin.ch/…/argentine-un-livre-temoigne-de-la-…

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