Bilan de rencontres entres jeunes sur le « Développement »

Voici le compte-rendu de différentes rencontres entre étudiants sur le thème du « développement ».
 
Sans prétentions aucunes, ils ont essayé de réfléchir ensemble à ce que voulait dire le « développement » pour eux, à ce qu’impliquait un « bon projet dit de développement », aux raisons qui les poussent à vouloir partir « aider » les autres,…
 
L’échange entre ces étudiants a été tellement intéressant qu’il nous a parus important de vous le faire partager.
 
Bonne lecture.
 
 
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Compte-rendu de rencontres entre étudiants sur le Développement
 
Lyon, Novembre 2005
 
Suite à l’écriture d’un dossier intitulé « Le développement qu’en sais tu ? » nous avons animé 3 rencontres avec des étudiants Lyonnais autour de ce thème. Nous avons décidé à travers le présent document de faire un compte-rendu unique de ces trois différentes rencontres. Les idées exprimées ici sont donc le fruit de la pensée collective d’une quarantaine d’étudiants sur ce sujet.
 
 
             I.      Pourquoi voulons nous partir « aider », « développer »,… les pays du Sud ?
 
C’est avant tout un choix personnel. Une envie de rencontre. Nous avons envie de participer à construire un monde plus en adéquation avec nos aspirations profondes de justice et d’égalité.
 
Il y a bien sûr aussi une part de déculpabilisation. Nous savons que l’occident, est en partie à l’origine de la situation catastrophique actuelle.
Cependant, la notion de responsabilité est à prendre en compte au jour le jour, à travers notre savoir-être, notre comportement de consommateur, de citoyen. Tout peut être remis en question dès que l’on considère l’impact sur ceux qui subissent notre mode de vie en Occident et ailleurs.
 
 
Chacun à besoin de se sentir estimé par les autres. Nous voulons montrer que nous faisons du « bien ». Mais le montrer à qui ? à notre famille, nos amis ? à ceux que l’on prétend aider ?
 
Fondamentalement la notion qui revient le plus souvent pour expliquer nos motivations de départ, c’est la quête « d’utilité ». Chacun d’entre nous a besoins de donner un sens à ses actions. En travaillant dans le domaine du « développement » nous avons l’impression que nous allons enfin être « utiles ».
 
Acte désintéressé n’existe pas, nous voulons « aider » d’abord parce que cela nous fait plaisir. N’est-ce pas normal de vouloir faire quelque chose où on « s’éclate » ?
 
Vouloir partir « aider » c’est donc à la fois un besoin personnel et une envie.
 
 
Ø      Pourquoi partir aider si loin de chez soi alors qu’il y a des personnes qui vivent dans des situations très difficiles à côté de chez nous ?
 
Recherche d’une rencontre interculturelle. Recherche de l’exotisme. Vianney étudiant en 4ième année à l’Ecole 3A, qui revient d’un stage en Colombie parle de « l’envie de découvrir d’autres modes de vie, de pensées ».
 
Pourtant reprend Timothée lui aussi étudiant en 4ième année à 3A : « il est possible de partir pas très loin d’ici et de se prendre une bonne claque ! »
 
Souvent nous avons envie de partir pour AGIR, mais est-ce vraiment le plus important ? Ne faudrait-il pas d’abord chercher à changer notre regard sur les pays du Sud, sur ceux qui vivent dans la grande pauvreté et finalement sur nous même ?
 
 
Ø      Quelle est notre place dans le système de coopération, de projets de développement ?
 
Que faire pour ne pas travailler à la place des gens ? Quel rôle pouvons nous jouer sans écraser les personnes qui essaye déjà de monter des projets dans leur pays ?
 
Peut être pouvons nous faire le lien entre les bailleurs de fonds du Nord et les projets au Sud. Chercher à apporter une éthique à la coopération pour éviter que les financements soient dépensés de manières inutiles en clim, 4/4,…
Peut être pouvons nous aussi apporter un appuie méthodologique et aider les personnes à l’origine du projet à prendre du recul par rapport à leur projet.
 
Autant il est nécessaire de s’interroger sur les pratiques des organismes de «développement », autant la confrontation des cultures est un aspect positif que permet la mondialisation. Cette affirmation nécessite pourtant qu’aucune culture ne se prétende supérieure à une autre. Mais n’est-ce pas difficile dans un monde où la pensée dominante réside dans l’apparente « modernité » de l’occident en opposition à la fameuse « tradition » séculaire des pays que l’on dit en « développement » ?
 
Ø      Quelle légitimité pour aller « monter » des projets dans les pays du Sud ?
 
Grégoire de l’ENTPE (Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat à Vaux en Velin) qui revient d’un stage au Mali, s’interroge : « Finalement n’est-on pas les moins biens placés pour agir dans le monde du développement ? Quel est notre légitimité ? »
 
Ousmane qui a travaillé 8 ans au Niger et est aujourd’hui étudiant au CIEDEL refuse cette vision réductrice. Pour lui personne n’a de légitimité naturelle à lutter contre la misère si ce n’est celui qui la vie. Pour les autres la légitimité naît de la question « pour qui je travaille ? ». L’important c’est de discuter avec chacun et de chercher à trouver la « traduction commune », c’est-à-dire les points fondamentaux sur lesquels se retrouve la communauté et ce qu’elle a envie de bâtir ensemble. C’est la mutualisation des idées de chacun qui va permettre la « traduction commune ».
 
 
Si un africain venait en France et nous disait « Je pense que vous êtes socialement sous-développés, la preuve en est que vous mettez vos propres parents dans des prisons appelées gentiment « maison de retraite ». Je viens donc vous expliquer comment vous devriez faire. »
 
Qui serait d’accord pour l’écouter ?
 
Peut être qu’avant de vouloir tant aider les uns et les autres il faudrait déjà essayer de se comprendre mutuellement. Ousmane renchérit dans cette direction : Le problème c’est que la plupart des occidentaux ont en tête leur fameux « devoir de solidarité ». Jusqu’à quand ?
 
Pour avancer il faut mettre tout cela de côté et chercher à s’aborder sur un pied d’égalité.
 
          II.      Interroger les concepts
 
Ø      Sur l’Histoire du développement
 
Comme tous les concepts, la définition du « développement » est en elle-même un enjeu de lutte. Chacun définie un concept en fonction de ce qu’il veut en faire. La majorité, ou la plutôt la minorité dominante à décidé de penser le « développement » en terme unilinéaire. Celui-ci est devenue à la fois une mode et un modèle.
 
Pourtant comme le souligne une nouvelle fois Ousmane, « chez nous le développement est mort. A la limite nous pouvons parler de « développement locale » afin de chercher à redonner un sens à ce que nous faisons. »
 
En fait le « développement locale » n’est rien d’autre qu’un « développement contextualisé », c’est-à-dire associé à un territoire, un groupe d’acteurs et donc un ensemble d’actions qui en découlent.
 
 
Ø       Sur la pauvreté
 
Il apparaît aussi au fil des discussions que la notion de pauvreté est relative. Chaque culture aura sa propre définition/vision de ce que c’est d’être pauvre.
Par exemple chaque culture ne voit pas le mendiant de la même manière.
 
Florent en 2ième année à 3A, rappelait qu’il faut faire la distinction entre la « pauvreté relative » et la « pauvreté absolue ». La pauvreté n’est pas uniforme.
 
Les personnes qui vivent dans une situation de précarité répondent-ils à la classification faite par Maslow et sa pyramide des besoins ?
 
Il semble qu’au delà de besoins matériels, ce qu’il y a de fondamental en chacun de nous c’est de se sentir digne.
 
Audrey en 3ième année à 3A, a proposée un exemple pour illustrer cette idée :
« Nous avons tous cette image du clochard dans la rue ou dans le métro. Logiquement selon la hiérarchie des besoins définie par la pyramide de Maslow il devrait d’abord vouloir se nourrir. Or, manifestement il préfère s’acheter une bouteille qui lui permettra de s’évader, de fuir le regard méprisant des autres plutôt que de s’acheter à manger. »
 
Ce « paradoxe » révèle parfaitement l’intérêt de questionner la notion de « besoins primaires ».
 
 
 
 
 
        III.      Quels enseignements tirer de nos expériences passées ?
 
Ø      Même si on veut s’adapter au mode de vie de la population locale, on reste occidentale.
 
Parfois les habitants des pays dans lesquels on travail s’étonnent du fait qu’on veuille vivre « comme eux ». Audrey, étudiante à l’école 3A, remarque que souvent les gens lui faisaient comprendre en Chine : « Montre-moi comment tu es différente ? »
 
Ne doit-on pas aussi « rester qui on est ?  » Comment s’adapter à une population, à un pays sans pour autant s’oublier ?
 
Comme toujours il n’y a pas de réponse unique, mais simplement des équilibres à chercher.
 
L’occidental est généralement vu comme un portefeuille ambulant, mais cela ne tient qu’à nous de montrer une image différente.
 
Dans un sens le simple fait d’aller se plonger de manière relativement courte dans une autre culture n’est-il pas un problème ? Cela modifie le rapport à l’autre, à l’étranger… cela influence directement la vie des personnes que l’on rencontre. Dans quelles conditions partir ?
 
Peut-on vraiment parler de « rencontre » quand c’est toujours les mêmes qui voyagent et les autres qui se font « visiter » ? Il s’agit d’un choix unilatéral donc forcément inégalitaire.
 
 
Ø      Comment être « efficace » ?
 
N’est-ce pas justement cette notion d’efficacité qui nous empêche de pouvoir réellement rencontrer l’autre?
Nous sommes sans cesse pris dans le dilemme : « prendre du temps pour comprendre les gens » et « ne pas perdre de temps ».
 
Quand nous n’agissons pas au sens occidental du terme (car pour beaucoup la rencontre est déjà une action) alors nous nous sentons frustrés et nous avons l’impression de « perdre notre temps ».
 
 
Ø      On ne peut pas « développer quelqu’un ». On doit partir des initiatives de chacun et bâtir à partir de là.
 
Ousmane qui à travaillé 8 ans au Niger nous dit : « En ce qui concerne le développement, personne ne peut prétendre connaître tout. On croit connaître, mais on ne connaît que ce qu’on connaît. Il est donc nécessaire de mutualiser toutes les expériences et réflexions en la matière. »
 
Sylvain étudiant à 3A, qui revient d’un an au Togo insiste, « il n’y à rien à entreprendre sur place. Il y a déjà beaucoup de personnes locales qui entreprennent, il faut soutenir leurs initiatives, leurs projets. »
 
Il s’agit de mettre ses compétences au service de projets locaux.
 
Ousmane nous raconte un exemple de projet :
 
Au Burkina dans un village l’événement le plus populaire est le match de foot du dimanche. Au début les joueurs jouent avec un « ballon sachet » fait à partir de tissus et de sac plastiques. Puis ils obtiennent un ballon en cuir. Le jour où ce ballon crève, les joueurs sont très déçus. Ils ne veulent pas revenir à leur « ballon sachet », ils veulent obtenir un nouveau ballon en cuir. C’est ce qu’on appelle le « contexte évolutif ». Personne ne veut revenir en arrière quand il découvre un nouveau mode de vie.
Afin de pouvoir s’acheter des nouveaux ballons les joueurs de l’équipe décident de faire du maréchage tous ensemble. Ils arrivent ainsi à se payer pleins de nouveaux ballons.
Forts de cette solidarité renforcée entre les jeunes de l’équipe ils décident de se réunir après chaque match pour réfléchir ensemble aux problèmes du village et voir ce qu’ils peuvent proposer comme solutions.
 
Ce qui est fondamentale c’est de développer sa capacité d’être à l’écoute.
Ousmane nous interroge: « Pourquoi avons-nous une bouche et deux oreilles ? »
Parce que c’est deux fois plus difficile d’écouter que de parler. Quand quelqu’un parle, on n’écoute qu’à moitié car on est déjà entrain de penser à ce qu’on va lui répondre.
 
 
Ø      Comment ne pas détruire les initiatives déjà existantes ?
 
Bien que l’on ne s’en rende pas forcément compte au premier abord les premières personnes à résister contre la misère sont ceux qui la vivent. Ils ne nous ont pas attendus pour développer des projets et des « ruses anonymes » pour essayer d’améliorer leurs conditions de vie.
 
Il est donc très important de faire attention de ne pas détruire les initiatives déjà existantes avec nos « nouveaux projets ».
 
Vouloir entreprendre une action sans prendre le temps de comprendre l’environnement au sens large des personnes avec qui l’on souhaite travailler est dangereux. Chaque action que l’on entreprend doit intégrer la question : « Quel impact cette action aura-t-elle sur la communauté ? »
 
Un membre d’une ONG qui travaille avec des familles très pauvres nous a raconté un exemple qui illustre très bien cette difficulté :
 
Ainsi à Madrid une rencontre était organisée entre des responsables l’Union Européenne et des personnes vivant dans la grande pauvreté. Ces dernières n’étaient que quelques unes, mais elles étaient là pour représenter l’ensemble de leur communauté qui connaît les mêmes difficultés de vie.
Une femme de Madrid prend donc son exemple personnel pour expliquer la difficulté de vivre sans l’eau courante depuis plusieurs années.
En entendant son histoire une personne de l’UE lui dit, « vous inquiétez pas, nous allons voir ce que nous pouvons faire pour que vous ayez l’eau courante ».
 
Pourtant cette femme n’était pas venue quémander la possibilité d’avoir de l’eau mais expliquer les conditions de vie qui existait dans son quartier et réfléchir avec les membres de l’Union Européenne comment les plus pauvres pouvaient êtres des acteurs à part entière.
 
En même temps cela faisait tellement longtemps qu’elle se battait pour avoir de l’eau que bien sûr elle a accepté l’aide de l’UE pour elle-même.
 
Mais quelle est la conséquence ?
 
Au lieu d’être vu comme la femme qui a eu le courage de prendre la parole pour défendre sa communauté elle va être vu comme celle qui a réussi à être « aidé ». Elle risque donc de se faire en partie « rejeter » par les autres membres de la communauté.
En effet les voisins qui la soutenait déjà par milles petits gestes vont se dire, puisqu’elle à des gens qui viennent de l’extérieur pour l’aider, elle n’a pas besoin de nous ».
 
 
Grégoire étudiant à l’ENTPE qui revient d’un stage au Mali, veut insister sur l’impact des projets, de nos actions. « On ne se rend pas compte de l’enjeux pour les personnes locales. Pour nous quoiqu’il se passe – de positif ou de négatif – cela change très peu, pour eux cela change beaucoup.  »
 
Olivier qui a travaillé 14 ans dans des ONG au Mali insiste sur le fait  » qu’il faut arrêter de réfléchir à la place des bénéficiaires ».
 
Les acteurs du terrain doivent se demander en permanence « pour qui je travaille ? ».
 
 
On parle souvent de « participation de la population » dans les projets. En fait il ne s’agit pas de savoir jusqu’à où doivent participer la population dans un projet, mais au contraire, jusqu’où doivent participer les personnes/acteurs extérieurs ?
 
 
Avant d’entreprendre un projet il est important de chercher à comprendre le jeu des différents acteurs. Chaque acteur a sa propre logique.
 
Pour réussir à avoir la confiance de la population il faut réussir à s’intégrer, à s’adapter.
 
Ø      Concernant l’idée de « projets »
 
Ousmane toujours :  » le « projet » est l’outil le plus médiocre qui existe, car il privilégie la discrimination : on ne fait jamais des projets avec la communauté dans son ensemble. En même temps on ne peut pas s’en passer. »
 » Le projet c’est comme un couteau à double tranchant. Mais fondamentalement cela reste un outil, ce n’est pas une fin en soi. Il ne faut donc pas le « fétichiser ». »
 
Si on veut réellement qu’un projet se développe avec la population concernée, il ne faut pas être trop rigide et être prêt à s’adapter continuellement aux réalités du terrain. Il faut aller pas à pas pour que même les plus « fatigués » aient le temps de participer à l’élaboration et à la réalisation du projet. Olivier explique « Un projet ce n’est pas une bible qui te dit « il faut forcément faire comme ça ». » Sans une capacité de remise en question du projet, de ses objectifs, on court à l’échec.
 
 
Ø      Bien que cela apparaisse comme impossible, et probablement pas souhaitable d’établir une méthodologie unique, nous avons essayé ensemble de relever ce que serait certains des ingrédients d’un « bon » projet de développement :
 
–         Ne pas arriver en « sauveur » avec un projet tout fait
–         Aller à la rencontre des dynamiques locales
–         Accepter d’être « inutile » au sens occidental du terme
–         Etre prêt à donner mais aussi à recevoir
–         Toujours réfléchir aux conséquences de nos actions sur la communauté
–         S’engager dans la durée avec les personnes vivant dans des situations difficiles
–         Chercher à comprendre quels réseaux de solidarité existent déjà
–         Chercher à appréhender l’environnement au sens large
–         Etre prêt à définir puis à revoir nos objectifs au fur et à mesure
 
 
 
 
Au cours de ces échanges, des questions ont été posées sans que quiconque puisse apporter des éléments de réponse. Voici donc quelques questions qui pourraient servir à alimenter un prochain débat :
–         Comment se situer en tant qu’homme ou que femme dans un projet de « développement » au Sud ?
–         Comment la culture peut elle être un moteur du développement plus qu’une barrière ?
–         Ne va-t-on pas chercher le trésor perdu, à savoir la spiritualité, la sagesse, un autre rythme de vie en voulant travailler dans des pays du Sud ?
–         Quelles peuvent être les conséquences du tourisme de masse sur les populations qui y sont confrontées ?
 
 
 
 
p.s.
Ces rencontres font pour partie suite à la lecture par certains étudiants d’un texte de synthèse sur le développement que vous pouvez trouver à l’adresse suivante :
http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/01/72/53/docs-developpement/reconsiderer-le-developpement.pdf
 
ou en allant sur le site : http://boribana.over-blog.com
 

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