Brésil : dans l’engrenage de la servitude

La Pastorale de la terre appelle à «rester vigilants» face au fléau de l’esclavage moderne, qui toucherait quelque 40 000 Brésiliens pris dans le piège d’employeurs véreux.

Malgré l’abolition de l’esclavage en 1888, le Brésil, tout comme d’autres régions de la planète, connaît de nouvelles formes de servitude. Quelque 40 000 Brésiliens travaillent dans des conditions inhumaines dans des plantations, des fabriques verrouillées, des mines, etc. Avec le soutien de l’ONG suisse Brücke – Le Pont, la Commission pastorale de la terre du Brésil a lancé la campagne «Rester vigilants pour éviter l’esclavage» pour sensibiliser à un fléau qui toucherait, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), 12?millions d’êtres humains.
«Deux éléments définissent légalement la situation d’esclavage: des conditions dégradantes de travail et de vie; la privation de liberté», explique Rosa Lidia Morais da Silva. Cette volontaire de l’ONG Haciendo la paz (Faisant la paix) est également responsable de la gestion interne de l’Action sociale archidiocésaine (ASA), une initiative ecclésiale réunissant divers acteurs de la société civile brésilienne comme les Pastorales de la terre, des migrants, des enfants et de la santé.
 
Travailleurs piégés
 
Comment expliquer qu’un tel fléau subsiste au XXIe siècle? A n’en point douter, le procédé est parfaitement rodé: «Un personnage dénommé ‘le chat’ (vu qu’il capture les gens comme des rats, ndlr) se rend dans une localité isolée, dont le taux de chômage est normalement très élevé, pour offrir du travail. Il donne par avance de l’argent à la famille. Et il affrète un bus, généralement assez luxueux, pour un groupe de chômeurs qu’il a engagés.» Après un long voyage –?qui peut atteindre plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres, «on change de transport, pour les embarquer dans des véhicules très incommodes et peu sûrs, qui les amèneront dans différentes propriétés ou exploitations rurales.»
Dans ces conditions «qui se dégradent au fur et à mesure», les personnes engagées arrivent «à un endroit isolé, souvent dans des zones boisées où ils travailleront dans le défrichage ou dans des parcelles rurales destinées ensuite à l’agro-industrie», précise la jeune agronome brésilienne.
«Les travailleurs arrivent sur leur lieu de travail déjà endettés. Parce que le ‘chat’ déduira de leurs ridicules salaires les coûts du transport et de l’alimentation durant le voyage. Dès le premier moment, ils commencent à supporter des conditions de vie et de travail inhumaines, aggravées par un isolement total de leurs familles et de leur village d’origine», explique-t-elle.
«L’existence de cet esclavage moderne et du mécanisme d’engagement qui en est à l’origine ne peut s’expliquer que par l’ignorance de la personne au chômage, par le manque d’information sur ce qui l’attend et par le désespoir suscité par sa situation économique.» C’est le résultat direct de «la pauvreté extrême, de la misère, de la faim, du manque d’accès à l’éducation», souligne-t-elle.
 
Un crime poursuivi
 
L’article 149 du Code pénal brésilien considère «l’esclavagisme comme un crime», explique Mme Morais da Silva, qui reconnaît «les efforts tenaces de l’Etat pour tenter d’affronter cette réalité indigne». La volonté politique existe et s’exprime, notamment par un plan national contre le trafic de personnes, qui combat le travail des esclaves, la vente d’organes et le commerce sexuel.
De plus, souligne-t-elle, «le Ministère du travail et de l’emploi a créé des commissions spécialisées pour combattre le travail des esclaves. Ses fonctionnaires agissent en commun avec la police nationale: ils courent souvent de grands risques, vu que les propriétaires fonciers disposent souvent de milices armées.»

Un autre élément significatif: ce ministère publie régulièrement une «liste noire» des entreprises dénoncées pour des infractions graves, comme l’engagement de main d’œuvre esclave. «Ces entreprises resteront ainsi exclues de tout type d’offre publique et ne pourront pas recevoir des crédits bancaires.»

Selon les chiffres de l’Eglise catholique, l’Etat du Pará est le champion des dénonciations en matière d’esclavage au travail. Dans ce palmarès de l’esclavage moderne brésilien, il est suivi par le Mato Grosso, Maranhão, Goiás et Tocantins. En 2010, 3054 esclaves ont été libérés dans ces régions grâce au travail des ONG et des institutions étatiques.
Mais pour Rosa Lidia Morais, malgré les lois et la volonté politique de l’Etat et du gouvernement actuel, «l’esclavage moderne existera au Brésil aussi longtemps que de larges secteurs sociaux continueront à vivre dans la misère». Elle demande donc à la coopération d’appuyer la campagne des ONG brésiliennes.

En Suisse, Brücke-Le Pont, qui appuie plusieurs organisations dans l’Etat de Piaui, a répondu présent. De passage à Fribourg, siège de l’ONG, la militante insiste sur la nécessité de «faire connaître, à l’intérieur comme à l’extérieur, cette réalité inhumaine existant encore dans mon pays».
 
 
Sergio Ferrari
Traduction: H.?P.?Renk
Service de presse E-CHANGER en collaboration avec Le Courrier
 

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