Brésil : Le coup d’Etat ne passe pas  

Le Brésil vit un moment clé de son histoire depuis le 12 mai dernier. La suspension de la présidente Dilma Roussef dans le cadre d’une procédure de destitution, qualifiée de coup d’Etat par l’ensemble de la gauche, a conduit à la formation d’un gouvernement ultraconservateur. Celui-ci n’a pas hésité à prendre une série de mesures antisociales qui vont à l’encontre du mandat qui a été confié en 2014 à la protégée de l’ex-président Inacio Lula Da Silva. La présidente n’est toutefois pas (encore) destituée. La principale faitière syndicale brésilienne, la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), appelle à une grève générale à partir de septembre pour renverser la vapeur et, à terme, obtenir la tenue d’une assemblée constituante pour refonder le pays. Le point avec Antonio De Lisboa Amancio Vale, secrétaire chargé des relations internationales de la CUT et membre du conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail.

Pour vous, il s’agit bien d’un coup d’Etat, pourquoi?

Antonio De Lisboa Amancio Vale: Oui c’est un putsch. Celui-ci est, bien sûr, d’une autre nature que les coups d’Etat traditionnels qui ont eu lieu, par le passé, en Amérique latine parce que l’armée n’y a pas été mêlée. Mais la Constitution a été violée. Au Brésil, pour pouvoir destituer un président, il faut que celui-ci ait commis «un crime de responsabilité». Or, il est clair que Dilma Roussef ne s’est pas rendue coupable d’un tel délit. Il lui a été reproché, en revanche, d’avoir procédé à des paiements anticipés («pedaladas fiscais»). Prenons un exemple: lorsque le gouvernement avait besoin de procéder à des paiements pour son programme «bolsa escola» – des subventions aux familles pauvres pour que leurs enfants puissent se rendre à ­l’école – et qu’il n’avait pas, sur le moment, les liquidités pour le faire, il recourait en sous-mains aux banques publiques qui avançaient l’argent (constituant ainsi un maquillage financier, ndlr). C’était une pratique commune de nombreux gouvernements précédents. Sur vingt-sept présidents brésiliens, dix-huit ont eu recours à ce mécanisme, dont les deux derniers chefs d’Etat. Mais cela a été utilisé comme prétexte pour virer Dilma Rousseff.

Quels étaient les véritables motifs de ce putsch?

Ce coup d’Etat a trois causes principales. La première est d’ordre géopolitique. Le putsch a été clairement orchestré par les Etats-Unis pour reprendre le contrôle de l’Amérique latine, conquise en bonne partie par des mouvements progressistes faisant de l’ombre à l’hégémonie américaine. La seconde cause est, bien sûr, économique: les nouvelles réserves pétrolières, récemment découvertes au Brésil, représentent l’équivalent de 9000 milliards de dollars. La loi prévue pour exploiter ces hydrocarbures voulait que Petrobras, la compagnie d’Etat nationale, ait le monopole sur l’exploration. Qu’a fait le Sénat immédiatement après le coup d’Etat? Voter une nouvelle loi pour ouvrir le marché de l’exploration aux multinationales.

Certains pensent que le coup d’Etat a été mené pour sauver la mise des dignitaires accusés de corruption dans l’affaire Petrobras…

C’est la troisième raison: les intérêts directs des élites locales étaient menacés. Au Brésil, la classe des possédants est l’héritière, directement ou indirectement, de l’esclavage qui n’a été interdit qu’il y a cent-vingt ans dans notre pays. Cette élite est l’une des pires du monde. Elle rejette tout type d’action qui réduit les inégalités, telles que celles menées par les gouvernements que dirigeait le Parti des travailleurs (PT) depuis 2003.

Alors, lorsque la justice et la police ont commencé à enquêter sur les méandres de la corruption – et pas seulement sur le scandale de Petrobras –, les membres de cette élite ont pris peur. Et ils ont également décidé de freiner le processus vers la transparence engagé par les autorités.

Plusieurs des nouveaux ministres, qui sont tous des hommes blancs, et en majorité d’un certain âge sont accusés de corruption…

Huit des vingt-trois nouveaux ministres sont même inculpés par la justice dans le cadre du scandale des détournements de fonds de Petrobras. Deux de ces vingt-trois messieurs ont déjà dû démissionner en raison d’écoutes téléphoniques. L’un avait suggéré de renverser Dilma Roussef pour que cessent les enquêtes de la justice dans cette affaire. L’autre, à la tête du «Ministère de la transparence», créé spécialement par Temer à la mi-mai, avait conseillé le président du Sénat sur la manière d’échapper aux juges. Ce ministère avait pour but d’en finir avec l’indépendance de l’organe de contrôle de l’Etat, la Controladoria geral da Uniao, dont la mission était, entre autres, de lutter contre la corruption.

Quels ont été les réactions des travailleurs face aux derniers évènements?

Tout d’abord la perplexité. Mais la population commence à se rendre compte de ce qu’il se passe. Il y a déjà des manifestations tous les jours au Brésil. A peine au pouvoir, le gouvernement a multiplié les attaques contre les droits sociaux. Il a d’abord sabré dans un fonds social pour l’éducation. Les professeurs et les étudiants sont dans la rue. Michel Temer a aussi supprimé le Ministère des femmes, de l’égalité raciale et des droits humains, ainsi que celui de la culture. Les femmes, les artistes et les intellectuels sont sortis manifester par dizaines de milliers, avec pour mot d’ordre «fora Temer!» (Temer dehors!).

Les nouveaux ministres s’en sont aussi pris aux quilombolas, ces communautés d’afro-descendants qui ont été formées, il y a plus de cent ans, par des esclaves fugitifs. Le processus de régularisation de leurs terres a été suspendu. Eux aussi se mobilisent actuellement.

Ailleurs encore, les sympathisants du mouvement des sans toits à Sao Paolo sont sortis dans les rues de la capitale, la semaine passée, car l’Etat a suspendu les subventions au programme «Ma maison, ma vie», qui permet aux plus pauvres d’accéder à un logement (trois millions de maisons et appartements ont été créés ainsi depuis 2003). Enfin, les retraités modestes protestent parce que l’indexation de leurs rentes sur la base de l’évolution du salaire minimum est passée à la trappe. Toutes ces personnes se rendent bien compte qu’il s’agit là du résultat du coup d’Etat.

Face à cette situation, quelle a été la posture de votre faitière syndicale, la CUT?

Certains proposent des élections anticipées pour résoudre la crise actuelle. Nous sommes contre. Car, pour modifier le rapport de force actuel, nous avons besoin d’une réforme politique structurelle, doublée d’élections générales, tant législatives – aux niveaux national et régional –, que présidentielles. Le Congrès actuel est acquis à la cause de ce nouveau gouvernement putschiste. Nous demandons une assemblée constituante qui permette une refondation politique et une modification des règles de financement actuelles des campagnes électorales, qui faussent le jeu démocratique et favorisent la corruption.

Nous préparons une grève générale pour le mois de septembre. C’est un défi de taille car le Brésil n’en a jamais connu. Le premier objectif est d’obtenir du Sénat qu’il n’approuve pas la destitution de Dilma Rousseff au mois de novembre, comme le prévoit le calendrier. Certains sénateurs qui avaient voté l’entrée en matière sur la destitution ont déjà fait savoir qu’ils ne voteront pas la destitution. Et il leur faut deux tiers des voix pour se débarrasser définitivement de la présidente.

Christophe Koessler, Le Courrier

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