Brésil: le PT de Lula et Dilma harcelé par une dissidente

Si les élections brésiliennes avaient lieu aujourd’hui, aucun des candidats à la présidence n’obtiendrait la majorité lors du premier tour, agendé au 5 octobre. Et, lors du second tour, le 2 novembre, Marina Silva, candidate «accidentelle» du Parti socialiste brésilien (PSB), l’emporterait sur l’actuelle présidente, Dilma Rousseff, du Parti des travailleurs (PT). Plus radicale sur le plan écologique, Marina Silva inquiète en revanche le mouvement populaire pour son conservatisme moral et économique, selon Djalma Costa. Ce théologien, spécialiste en éducation populaire, est l’un des représentants de la société civile au sein du Conseil national des droits des enfants et des adolescents (CONANDA), principale structure paritaire (gouvernement et mouvements sociaux) en matière de droits humains.
Les sondages donnent Dilma Rousseff au coude à coude avec Marina Silva, la nouvelle candidate du PSB, après le décès d’Eduardo Campos. Ces prévisions reflètent-elles vraiment la réalité et comment peut-on expliquer ces changements?
Djalma Costa: Il y a effectivement un changement de perspective depuis la mi-août. Le risque que le gouvernement actuel soit défait est réel. Comment l’expliquer? Il y a d’abord un aspect subjectif, culturel, sentimental de la population par rapport à la mort, le 13 août, dans un accident d’avion, du candidat du PSB, Eduardo Campos. Marina Silva – qui figurait sur sa liste comme vice-présidente – capitalise maintenant de nouvelles sympathies et tire profit de l’émotion suscitée par ce décès, comme successeur du dirigeant défunt. Ensuite, on ne saurait oublier que, lors des élections en 2010, Marina Silva avait déjà obtenu un bon résultat, avec 20 millions de voix. Elle a un certain charisme. Certains la considèrent comme un «sauveur». Elle reçoit l’appui de larges secteurs évangéliques, en raison de son appartenance à l’une des Eglises les plus conservatrices du pays: les Assemblées de Dieu.
Il y a aussi la situation de «récession technique», qui vient de se produire au Brésil, après deux trimestres consécutifs de croissance négative, ce qui est une première depuis 2008.
Ce concept de «récession technique» ne dit pas grand-chose à la majorité des gens qui expérimentent néanmoins, ces derniers mois, d’importantes augmentations de prix dans le panier de la ménagère. Ce terme touche davantage les entrepreneurs et les économistes, qui débattent de la stratégie politique et économique du Brésil. D’autres parlent aussi de «stagnation provisoire», à la suite du récent Mondial de football, durant lequel de nombreux secteurs de l’économie se sont arrêtés. Et les jours fériés répétés lorsque ¬l’équipe locale jouait ont entraîné une chute de la productivité. Bien qu’à mon avis ces éléments doivent être relativisés, dans une conjoncture électorale comme celle-ci ils peuvent apparaître comme décisifs. L’opposition les utilise pour faire croire à une crise profonde qui devrait entraîner un vote hostile au gouvernement actuel.
Comment le PT réagit-il?
On le sent préoccupé. Il y a une mobilisation spéciale de sa direction. L’ex-président Lula apparaît maintenant comme un facteur essentiel de la campagne. Il parcourt tout le pays, il est quotidiennement dans les médias. Lula fait campagne comme si lui-même était candidat. D’autre part, le PT invite avec insistance les mouvements sociaux, les plateformes, les réseaux, les ONG, à dialoguer sur la conjoncture. Cela ne se voyait pas si fréquemment dans la première moitié de cette année. Il ne faut pas oublier que, pour l’opposition, l’aspect essentiel de la campagne est son caractère anti-PT. Pour de nombreux secteurs, peu importe le gagnant, pourvu qu’il ne soit pas du Parti des travailleurs.
Comment se positionnent des mouvements comme les sans-terre ou les sans-toit?
En juin dernier, la présidente a publié un décret sur la politique de l’organisation sociale brésilienne, ouvrant davantage d’espaces de dialogue et de présence pour les mouvements sociaux au gouvernement. L’opposition a réagi très durement, en accusant Dilma Rousseff d’être «pro-chaviste», «néo-communiste», «bolivarienne». Mais les acteurs sociaux les plus dynamiques ont accueilli ce décret avec satisfaction.
Depuis quelques jours, ils expriment plus nettement leur appui à Dilma Rousseff. Ces mouvements n’ont aucun lien ni aucune sympathie pour Marina Silva. Paradoxalement, Eduardo Campos, le candidat défunt – qui était gouverneur de l’Etat de Pernambouc –, exprimait son appui au MST, et il avait une très bonne relation avec les sans-terre.
En matière électorale, il semble qu’on ne parle que des noms, des candidats. Y a-t-il un réel débat politique dans le pays?
Non. Tout est polarisé sur des personnalités. Mais il n’y a pas de débat sur un programme gouvernemental, sur quel modèle économique, quelle vision de la société. On ressent l’insatisfaction des secteurs les plus bas, mais pas de débat. Il y a comme une critique croissante, un grand indice de rejet envers le PT, mais pas de propositions alternatives.
Je pense que le Parti des travailleurs a manqué de clarté stratégique et de pédagogie envers les gens. Par exemple, sur les cas de corruption en son sein, la justice a pu agir, mais il n’y a pas eu d’explication. Rien sur l’histoire de ce problème, sur la dimension relativement faible des cas durant ce gouvernement, sur l’attitude critique et dure du PT, qui a entraîné même la condamnation de plusieurs dirigeants impliqués.
Il existe parfois une mémoire courte parmi certains secteurs de la population. On oublie les améliorations substantielles en matière de logements, d’éducation, de santé, durant ces douze dernières années. On ne parle pratiquement pas des progrès en matière de distribution de la rente, qui a bénéficié à ceux qui avaient moins. On ne mentionne pas le fait que durant la gestion du Parti des travailleurs 40 millions de Brésiliens ont cessé d’être pauvres. On manque d’éducation populaire citoyenne. Avec la circonstance aggravante que Dilma n’a pas avec les gens le même contact charismatique que Lula. Après trois mandats, la pratique gouvernementale a usé le PT.
Que peut-il se passer en cas de victoire de Marina Silva?
Je crains le démantèlement accéléré des conquêtes sociales. Le rôle de l’Etat sera restreint. Certains plans importants comme la «bourse familiale» seront remis en cause. On envisage l’autonomie de la Banque centrale et de la politique économique et financière en général. La principale conseillère et soutien financier de la campagne de Marina Silva est Neca Setúbal, héritière et principale actionnaire de la plus grande banque privée brésilienne, l’Itaú.
Et à l’échelle continentale?
Je ne vois pas chez Marina Silva un profil de référence régionale et de politique, comme Dilma. Ni une capacité à jouer un rôle de convocation et de rassemblement régional. Je pense que, de surcroît, le rôle du Brésil dans la consolidation des pays émergents, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), se réduirait de manière significative.
Sergio Ferrari, Le Courrier en collaboration avec E-CHANGER
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Marina Silva, de la gauche catholique à l’évangélisme
Son parcours religieux rappelle qu’elle fut candidate à rentrer dans les ordres et promotrice enthousiaste des communautés ecclésiales de base, le secteur le plus progressiste de l’Eglise catholique brésilienne. Ses origines militantes l’ont menée dans l’Etat d’Acre au côté du leader écologiste Chico Mendes, assassiné en 1988. Née en 1958, elle a rejoint le Parti des travailleurs (PT) en 1985, après un passage dans les rangs du Parti communiste révolutionnaire (PCBR). Elle a milité au PT jusqu’en 2009, avant de le quitter en désaccord avec la politique écologique du président Luiz Inácio Lula da Silva. Elle avait exercé durant cinq ans les fonctions de ministre de l’Environnement. Auparavant, elle avait été députée et sénatrice.
Après son départ du PT, elle rejoint le Parti vert, dont elle est la candidate présidentielle en 2010, obtenant 19,3% des suffrages. Puis elle fonde Rede Sustentabilidade (Réseau durable), qui ne réussit pas à obtenir le nombre de signatures nécessaires pour être légalisé. Ce qui la mène en 2013 à s’allier au Parti socialiste brésilien (PSB), dirigé par le défunt gouverneur de Pernambouc, Eduardo Campos, sur la liste duquel elle figurait comme candidate à la vice-présidence.
Son programme économique, qualifié de «troisième voie», se veut moins interventionniste en matière monétaire et de contrôle des prix. Il fait référence à la «stabilité» macro-économique conquise du temps de Fernando Henrique Cardoso mais aussi aux conquêtes sociales de l’ère Lula. Des filiations qui ne l’empêchent pas de se proclamer candidate de «l’anti-politique», en tentant de conquérir le vote de mécontentement des manifestations de juin 2013.
Ses options sociétales sont conservatrices: en quelques heures, le droit à l’avortement et le mariage gay – inscrits au programme originel de gouvernement du PSB – ont été biffés, après l’investiture de Marina Silva comme candidate.
De ses origines politiques et religieuses à ses positions actuelles, trente années ont passé et Marina Silva a connu une énorme transformation personnelle. Comme le PT, les communautés de base font aujourd’hui partie de son passé. Elles ont cédé la place à la pentecôtiste Assemblée de Dieu. (Sergio Ferrari)
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Etranges fréquentations
Si l’engagement écologiste passé de Marina Silva est largement salué, les actuelles fréquentations de la candidate font jaser. A commencer par le choix de son candidat à la vice-présidence, Beto Albuquerque, vieux routier de la politique, bien connu pour son soutien aux cultures OGM.
Etrange, également, les liens entretenus par Mme Silva avec la fondation Avina. Créée, financée et présidée par le célèbre patron d’Eternit, Stephan Schmidheiny, Avina a payé une part de la précampagne de la militante écologiste. Rappelons que le multimilliardaire suisse, passé notamment par les conseils d’administration d’UBS, de Nestlé et d’ABB, a été condamné l’an dernier à dix-huit ans de prison dans le procès italien de l’amiante. Réfugié au Costa Rica, il ne s’est pas présenté aux audiences judiciaires. Un procès en cassation est pendant. (Benito Perez, Le Courrier)

Traduction: Hans-Peter Renk
Collaboration: E-CHANGER
 

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