BURUNDI: Attaque contre le dernier bastion de l’audiovisuel privé au Burundi

Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète des pressions contre le directeur de la Radio-Télé Renaissance, Innocent Muhozi, pointé du doigt dans un article du conseiller en communication de la présidence. Muhozi est l’un des derniers patrons de médias restés au Burundi, qui tente de percer le blocus de l’information, depuis la fermeture des radios privées en mai 2015.
 
Le dernier patron de médias audiovisuels privés d’information à être resté au Burundi, Innocent Muhozi, fait l’objet depuis mardi de menaces à peines voilées de la part de l’influent conseiller en média et communication de la présidence burundaise, Willy Nyamitwe.
 
Dans un article publié via son compte Twitter, ce dernier tisse une série de spéculations, accusant notamment de connivence le journaliste Innocent Muhozi et le général putschiste Nyambaré. Le 22 mai dernier, Innocent Muhozi avait été convoqué devant le substitut du Procureur de la république pour s’expliquer sur ses actions le jour du putsch. Durant l’audience, le journaliste avait pu mettre en avant la nature purement professionnelle de ses contacts avec le général.
 
« A l’issue de sa convocation, M. Muhozi est sorti sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. Pourquoi rouvrir le débat et proférer de telles accusations mensongères ?, dénonce Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières. Cet article est clairement une tentative d’intimider et de faire taire l’un des derniers patrons de presse restés au Burundi. Il serait plus productif que le conseiller média de la présidence s’attache à raviver la communauté des médias, en permettant notamment la réouverture de ces derniers, plutôt que de ternir ceux qui tentent de rapporter l’information.
« Les accusations de M. Niamytwe sont de l’histoire ancienne. (…). Peut-être que je dérange car je continue à parler sans me cacher. Je donne des interviews aux médias internationaux, mes équipes continuent de descendre sur le terrain et essayent de travailler, de documenter ce qui se passe. Bien sûr, l’article d’hier m’inquiète quand on sait l’influence qu’a Willy Nyamitwe”, explique Innocent Muhozi, joint par Reporters sans frontières. Et de poursuivre : “Je crois que les gens du pouvoir veulent agir à huis clos et donc ça les dérange que quelqu’un parle. Car tous les soirs, des personnes se font enlever de chez elles lors de raids policiers. C’est une situation de terreur qui touche toute la population. »
 
Banalisation de la violence
 
Dans ce contexte, le travail des journalistes devient évidemment très difficile. Coups, jets de grenades lacrymogènes, menaces de policiers… Ceux qui tentent de travailler se font intimider au quotidien. Mardi 23 juin, à Bubanza, deux correspondantes pour des médias internationaux ont été malmenées par la police, après s’être rendues dans la localité pour interroger les proches de personnes enlevées de nuit. Une pratique de plus en plus courante pour faire pression sur ceux qui osent témoigner et ceux qui rapportent leurs propos.
 
Au cours des dernières semaines la police a également interdit à des journalistes de passer un barrage dans Bujumbura, affirmant que le quartier auquel ils souhaitaient accéder était une zone de guerre. Devant l’insistance des professionnels des médias, l’un des policiers a saisi son arme et a tiré en l’air. D’autres membres des forces de l’ordre aiment à rappeler à la profession qu’il n’y a pas encore eu de morts parmi les journalistes depuis le début de la crise.
« Ce qui est vraiment dangereux, c’est que ce genre d’attitude se banalise, le quotidien des journalistes, c’est d’être frappés et intimidés », explique Innocent Muhozi.
 
Des sources d’informations de plus en plus rares
 
Les médias internationaux qui continuent d’émettre sont devenus la seule source d’information pour la populations burundaise. Voice of America a étendu ses plages d’informations en Kirundi. Quant aux réseaux sociaux, ils fonctionnent et sont utilisés par les journalistes pour communiquer entre eux. Malheureusement, en l’absence de médias professionnels, ils servent aussi beaucoup à la diffusion de rumeurs…
 
La chape de plomb qui étouffe les médias burundais est quasi totale depuis la mi-mai et la fermeture des radios privées, la fuite en masse des journalistes et les menaces quotidiennes pour ceux qui restent. La radio nationale elle-même n’est pas épargnée et certains de ses journalistes font l’objet de pressions. « On est une population très pauvre. La seule chose qu’on avait au Burundi, c’était une certaine liberté d’expression, une liberté de presse que les autorités d’ailleurs brandissaient à chaque fois pour mettre en avant le bilan soit-disant positif du pays. Ils vont brandir quoi maintenant ? « , conclut tristement Innocent Muhozi.
 
Cliquez ici pour plus d’informations sur la situation au Burundi, classé en 145ème position sur 180 pays dans l’édition 2015 du Classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse.

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