Colombie: Après les FARC, le dialogue s’étend à l’ELN

L’Armée de libération nationale (ELN) devrait très bientôt entamer un processus de paix complémentaire à celui des FARC, annonce au Courrier Nicolás Rodríguez, chef de la seconde guérilla du pays.

Alors que le processus de paix entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le gouvernement vient de franchir un important pallier, l’interview que nous a accordé Nicolás Rodríguez, «Gabino», chef de la seconde guérilla du pays (lire ci-dessous), confirme que la Colombie est entrée dans une puissante dynamique de paix. A en croire le commandant de l’Armée de libération nationale (ELN), joint par e-mail, le dialogue exploratoire confidentiel1 mené depuis trois ans avec le gouvernement devrait déboucher très prochainement sur des conversations de paix officielles. Si ces pourparlers se tiendront séparément à ceux des FARC – probablement en Equateur – «les deux espaces de négociation se complètent», souligne l’emblématique dirigeant guérillero.
Incorporé dans l’ELN en 1964, année de sa fondation, alors qu’il avait à peine 14 ans, «Gabino» est à la tête de cette insurrection d’inspiration «guévariste» depuis 1998.
 
Durant les cinquante ans d’existence de votre organisation, il n’a pas manqué de propositions de dialogue pour tenter de négocier une solution au conflit.
«Gabino»: En effet. Il y a vingt quatre ans, nous avions initié un dialogue avec le gouvernement de César Gaviria. Le processus s’est interrompu, car le gouvernement a exigé que la guérilla se regroupe dans un lieu unique, argumentant que c’était une façon de vérifier l’accomplissement des accords. Ensuite, en 1999, nous avons repris ces efforts avec le gouvernement d’Andrés Pastrana, avec lequel nous nous étions accordés sur une Zone de rencontre formalisant le processus. Mais sous la pression des paramilitaires, opposés au processus, le gouvernement n’avait pas ratifié cet accord.
Depuis 2005, nous avons impulsé d’autres conversations, durant le mandat présidentiel d’Alvaro Uribe. Elles ont échoué lorsque le gouvernement a «renversé la table» pour que le Venezuela cesse d’exercer comme «facilitateur» de la paix, bien que ce pays avait été accepté par les deux guérillas ainsi que par Uribe lui-même. Maintenant, avec le gouvernement de Juan Manuel Santos, nous menons un dialogue exploratoire confidentiel depuis trois ans, qui a servi à mettre en place un «agenda de négociation», avec laquelle nous pourrons débuter une phase publique de conversations.
 
Ces imminentes conversations avec le gouvernement pourraient donc être plus sérieuses que les précédentes tentatives?
J’estime que tous les efforts passés ont été sérieux. Le problème est que nous avons toujours eu de profondes divergences avec les gouvernements sur ce qu’est la paix et quel est le chemin pour dépasser la guerre. Le régime veut faire taire les fusils de l’insurrection, afin de neutraliser les opposants, sans qu’il n’y ait de changements dans le pays. Pour nous, la paix est un chemin vers la justice et l’égalité sociale en Colombie, dans un contexte de démocratie et de souveraineté. C’est-à-dire: nous voulons parvenir à des accords, par la voie politique et le dialogue, permettant de poursuivre la lutte, pour le pouvoir et pour le peuple.
 
De qui dépend le succès ou l’échec des futures conversations et de la construction de la paix?
La clé est dans les mains des classes dominantes: elles doivent s’engager à ce que la lutte pour le pouvoir se déroule pacifiquement.
 
Où se tiendront les négociations? Bénéficieront-elles d’un accompagnement international?
Le lieu n’a pas encore été défini. Plusieurs pays voisins offriraient des garanties suffisantes en termes d’appui politique, logistique et de sécurité.
Durant la phase exploratoire, nous avons pu compter avec l’appui de quatre pays garants et deux accompagnants, qui ont réalisé un travail remarquable. Nous espérons continuer à bénéficier de cet important apport, ainsi que celui d’autres gouvernements, personnalités et institutions internationales.
 
Peut-on imaginer une articulation entre les deux tables de négociations, la vôtre et celle qui réunit les FARC et le gouvernement à La Havane.
Avec les camarades des FARC nous sommes d’avis que les deux tables doivent chercher des points de convergence. Et, dans la mesure du possible, mener un seul processus.
 
Certains points déjà accordés à La Havane pourraient être repris à votre compte?
Nous ne l’écartons pas mais le plus important est que les deux tables se complètent, dans l’idée que le processus de paix colombien est unique.
 
L’un des éléments essentiels dans toute négociation est la gestion du temps. Comment voyez-vous le calendrier? Les principales échéances ont-elles étés définies avec le gouvernement?
Nous pensons qu’il serait erroné d’imposer un rythme au processus de paix. Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui voudraient imposer de courts délais pour résoudre un conflit qui dure depuis plus d’un demi-siècle. Les délais doivent être définis au fur à mesure que les accords se concrétisent. Pas uniquement sur la base des engagements mais concrètement, dans la réalité qui doit commencer à changer. La paix que veulent une majorité des Colombiennes et des Colombiens est celle qui se concrétise dans les faits, pas dans la signature de papiers.
 
Qu’entendez-vous par là?
En Colombie, on a déjà signé des accords de papier qui, dans les faits, n’ont pas été respectés. Des guérilleros signataires l’ont payé de leur vie, ont été incarcérés ou ont disparu. Il est très habituel, dans mon pays, que des accords signés entre les autorités et des mouvements de masse ne soient pas appliqués par les gouvernements. C’est pour cela que nous insistons sur le fait que «la paix, c’est le changement, pas des promesses».
 
Quels seront les thèmes centraux de la négociation entre l’ELN et le gouvernement?
Pour le moment, le contenu de l’agenda défini avec le gouvernement de Santos n’est pas public.
 
L’ELN a de longue date prôné la participation active de la société civile au processus de négociation. Avez-vous une proposition précise?
Il revient aux organisations sociales et populaires de définir la façon dont ils entendent intervenir. Nous insistons sur ce fait: la participation des secteurs sociaux qui ont toujours été exclus du pouvoir et de la vie politique du pays est indispensable. Si tous ces secteurs participent, alors les processus de paix sera irréversible. Le participation au processus de paix a déjà provoqué d’intéressants processus organisationnels du mouvement populaire. Ce sont des développements importants pour la démocratisation du pays que nous recherchons.
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Théologie et «guévarisme»
Fondée en 1964 par vingt-sept jeunes communistes, l’Armée de libération nationale (ELN) fait son apparition le 7 janvier 1965, lors de la prise symbolique de Simacota, un village du département de Santander. Inspiré et soutenu par la révolution cubaine et son espoir d’un soulèvement continental, l’ELN est alors dirigée par Fabio Vásquez Castaño. Mais sa figure historique devient rapidement Camilo Torres, prête-ouvrier puis prêtre-guérillero, mort au combat en 1966.
Autre personnage célèbre de la guérilla «guévariste», le prêtre espagnol et théologien de la libération Manuel Pérez dirigera l’ELN dans les années 1980.
A son apogée à la fin des années 1990, l’Armée de libération aurait disposé de 7000 combattants en treillis et pouvait compter sur de nombreuses unités urbaines. Elle est alors particulièrement redoutée pour ses sabotages des installations des transnationales refusant de payer l’impôt révolutionnaire.
En reflux depuis, l’ELN ne compterait plus qu’entre 1200 et 2500 combattants, selon les sources. En comparaison on attribue aux FARC de 7000 à 10 000 soldats.
 

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