Colombie, derrière les pas de Matthieu Cramer…

Le 10 décembre dernier, la nouvelle a ébranlé tant le Cauca que le monde de la coopération et de la solidarité helvétique. Matthieu Cramer, volontaire de l’ONG suisse E-CHANGER (E-CH) avait trouvé la mort dans un accident de la route durant un voyage privé dans le nord du Pérou.

Vivant en Colombie depuis de nombreuses années, le jeune enseignant genevois appuyait l’Association Paysanne d’Inza Tierradentro (ACIT) dans ses programmes éducatifs et de renforcement institutionnel. Dans la dernière phase, plus précisément à partir de l’année 2007, il conseillait l’ACIT dans l’élaboration d’un Plan Educatif Paysan (PEP), une revendication très importante pour de nombreux secteurs paysans de la région.

Sur demande de la communauté et en accord avec sa famille, la dépouille mortelle du coopérant est demeurée à Inza. L’urne contenant ses cendres se trouve à la Bibliothèque Communale de Guanacas, région périphérique de la municipalité.

“On continue”

« L’impact amère qu’a produit la mort de Matthieu ne nous a cependant pas paralysé. La communauté ne s’est pas arrêtée. Du deuil, nous avons puisé les forces nécessaires pour continuer à travailler » souligne Eliécer Morales, l’un des responsables de l’ACIT et ex-maire d’Inza entre 2004 et 2007.

« Nous ne nous sommes pas arrêtés. L’une des tâches principales de ces six derniers mois a été l’avance dans l’élaboration du Plan Educatif, qui sera transcendant pour notre communauté », a souligné Morales.

« Matthieu nous avait conseillé lors de la première phase de la conceptualisation du PEP. Il nous avait aidés à en formuler les grandes lignes. Et il aurait dû assurer la coordination de la phase suivante», explique Morales.

De là a surgit la décision de l’ACIT de solliciter à son partenaire suisse E-CHANGER un appui à travers un nouveau volontaire, afin de continuer les tâches en suspens.

Devant la spécificité du profil professionnel requis, E-CH a opté pour désigner comme volontaire national colombien Jairo Arias, qui a collaboré durant de nombreuses années dans les tâches pédagogiques et communautaires avec Matthieu Cramer.

L’Association « Protierradentro » de Genève, qui a appuyé Matthieu Cramer et qui promeut depuis 1977 depuis la Suisse de nombreux projets communautaires en Inza, a également pris la décision de se constituer en groupe de soutien du nouveau coopérant colombien.

“Continuer la tâche de Matthieu”

“Malgré son absence, je continue à le sentir présent. Je préfère imaginer qu’il est parti pour un long voyage, mais qu’il peut rentrer à n’importe quel moment. En attendant, je suis convaincu que nous devons continuer à promouvoir le développement de la communauté», souligne Jairo Arias.

« Quand Matthieu est mort, la communauté a planté plusieurs arbres en sa mémoire. Nous savons que leurs racines vont s’étendre, se renforcer et qu’ils offriront des fruits délicieux. L’ACIT également va nous donner des fruits, sous la forme de résultats concrets. Le défi est de continuer ce qui reste en suspens » souligne le coopéracteur.

Jairo Arias, qui est licencié en lettres et en sciences sociales, a assumé à partir du mois de juin la coordination du Plan d’Education Paysan, avec le soutien d’E-CH. Il devra s’assurer que, d’ici 2011, la municipalité d’Inza compte avec sa propre proposition éducative paysanne.

« Le PEP signifiera un apport concret à la construction de leur identité en tant que paysans, dans un pays où ce secteur a été historiquement marginalisé »

explique Arias.

Il souligne également que la Loi Générale d’Education de 1994 compte dans son chapitre IV , quatre articles portant sur l’Education paysanne rurale, ce qui ouvre un chemin juridique pour la formulation du PEP.

La loi reconnaît en effet le droit à une éducation propre et conforme à la culture, ce qui implique «d’assurer la valeur et la reconnaissance officielle du curriculum de l’éducation alternative, populaire et communautaire que nous sommes en train de développer. »

Arias souligne la nécessité d’une pratique éducative dans les communautés et dans les institutions éducatives paysannes qui soit en correspondance avec les principes du PEP. « Cette composante doit garantir les espaces et les méthodologies adéquats pour la production et la socialisation des connaissances, en harmonie avec le contexte rural. »

“L’éducation formulée à partir des communautés mêmes peut s’entendre comme un exercice d’autonomie, puisqu’elle implique divers acteurs qui ont été rendus invisibles et qui ont été niés par l’éducation officielle », explique-t-il.

L’idée centrale est de parvenir à ce que le PEP favorise le développement paysan intégral. Il inclut quatre piliers : la défense du territoire, la consolidation de l’identité propre du secteur, le renforcement de l’organisation sociale et la lutte pour la sécurité alimentaire.

Avec la conviction, explique-t-il, « que la proposition que nous développons ici en Inza va se convertir en une référence pour les autres régions du pays, puisque l’idéal d’une éducation propre est une revendication qui dépasse Inza et le Cauca.

La vision pédagogique

“Le PEP promeut la conception d’un nouveau curriculum. Ce dernier est entendu comme un processus pédagogique qui permet la sélection, la hiérarchisation et l’organisation de la connaissance, en harmonie avec les caractéristiques de la société paysanne de l’Inza »,

signale Jairo Arias.

Ce dernier développe les principaux principes pédagogiques du projet. Il est principalement dirigé à l’espace formel de l’école, mais se construit également en forme collective à partir des espaces communautaires, en donnant naissance à un processus de formation et de qualification non-formel destiné à ses membres.

Le PEP promeut également l’espace de la formation populaire (Ecole Paysanne). L’éducation paysanne revendique une série d’attitudes, de valeurs et de connaissances nées de l’expérience des communautés.

En synthèse, Jairo Arias conclut en disant que “le projet pédagogique communautaire permet de faire le lien entre l’école et la communauté, à travers la recherche et la mise en œuvre d’activités concrètes.”

Sergio Ferrari, de retour de Colombie
Traduction de Mathieu Glayre
Collaboration de presse E-CHANGER, ONG de coopération solidaire

Le chemin se fait en marchant

L’Association Paysanne d’Inza Tierradentro (ACIT) organise entre 10’000 et 12’000 personnes, en incluant les associés et les bénéficiaires de ses projets.
En 2004 déjà, l’ACIT avait élaboré un diagnostique rural participatif qui avait analysé l’état de l’éducation paysanne.
Cette étude a constitué une référence importante pour le premier concept du Programme Educatif Paysan.
Au cours de ces derniers mois, l’ACIT a organisé trois rencontres avec les organisations indigènes de la région, afin de connaître leurs propres expériences au sujet du processus éducatif que celles-ci développent depuis plusieurs dizaines d’années.
L’ACIT a également constitué un groupe de travail avec des enseignants dans trois zones de la municipalité: occident, centre et Pedregal. Ces enseignants – qui sont les responsables de l’éducation formelle dans la région – ont une participation active dans l’élaboration du PEP.
L’AICT a en outre promu des rencontres entre diverses communautés, afin de réfléchir sur l’éducation et le composant participativo-communautaire du PEP.
L’élaboration du PEP compte également avec l’appui du « Laboratoire de la Paix », qui est un ample projet national soutenu par l’Union Européenne et d’autres acteurs de la coopération internationale. (Sergio Ferrari)

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