Colombie: La formation comme moyen de protection. Comment PAS transmet aux jeunes des communautés des instruments et des stratégies d’autoprotection.

Entretien avec Zenaide Rodrigues, coordinatrice de Pensamiento y Acción Social (PAS) et responsable du programme de Peace Watch Switzerland (PWS) en Colombie sur la participation des jeunes des communautés du Magdalena Medio à la défense et à la protection du territoire.

Volontaires de PWS, Guillaume Bégert et Aïcha Bouslama : En quelques mots, peux-tu nous expliquer quel type de travail fait PAS en Colombie?

Zenaide Rodrigues : Pensamiento y Acción Social est une organisation colombienne qui accompagne et soutient des communautés et des organisations de défense des droits humains. Elle travaille avec des campesinos et campesinas, des populations autochtones et d’ascendance africaine, des femmes et des jeunes.

Le travail de PAS repose sur trois axes thématiques : la construction de la paix, la défense du territoire et des droits humains, la protection et la sécurité. Grâce à ses activités dans ces différents domaines, PAS cherche à renforcer les capacités des communautés et des organisations de droits humains. L’objectif est de leur transmettre des stratégies pour augmenter l’incidence politique, créer des réseaux et des alliances, élaborer des analyses de risques et mettre en place des moyens d’autoprotection.

En outre, PAS fait un travail de recherches en menant des investigations en matière de protection, d’entreprises et de droits humains.

Dans le contexte post-accords de paix conclus avec la guérilla des FARC-EP, comment vois-tu la situation actuelle en termes de respect des droits humains et de la sécurité des communautés que PAS et PWS accompagnent dans le Magdalena Medio ?

En ce moment, le pays passe par un contexte social et politique complexe. Nous nous approchons déjà de la première année de la mise en œuvre des accords de paix, dans un schéma de dialogues politiques difficiles, surtout avec certains secteurs qui s’attachent à discréditer ou à affaiblir cette mise en œuvre. Néanmoins, il y a une force sociale qui, bien qu’elle reconnaisse les défis de l’implémentation des accords, soutient le processus de dépôt des armes.

La sécurité des communautés et des organisations de défense des droits humains est préoccupante et des mécanismes permettant d’enrayer la violence font défaut dans beaucoup de régions du pays. Selon un rapport national de la Defensoría del Pueblo (une organisation gouvernementale de contrôle des droits humains), la conjoncture actuelle du pays est une recomposition du pouvoir exercé par des groupes armés illégaux, selon les dénonciations faites par les communautés. Dans les différentes régions autrefois sous contrôle des FARC, de nouveaux acteurs armés se disputent le contrôle des terres et des économies illégales.

Cette situation s’applique également à la région du Magdalena Medio. A Barrancabermeja, les organisations régionales de défense des droits humains ont été victimes de menaces, exprimées très souvent par le biais de tracts ou d’appels menaçants. Les communautés accompagnées ont, quant à elles, dénoncé la présence de groupes armés illégaux très proches de leurs terres.

Depuis 2015, PAS a mis en place un travail innovant de sensibilisation et d’accompagnement des jeunes. Pourquoi ce thème nécessite-t-il une attention particulière et un travail spécifique?

Depuis 2014, PAS a développé, dans le Magdalena Medio, une stratégie de travail en réseau. L’organisation soutient le renforcement des liens entre les campesinos et campesinas des communautés accompagnées de la région pour qu’ils et elles puissent échanger et s’organiser pour défendre leurs terres.

Dans le cadre de cette stratégie, une des priorités a été d’initier un travail avec les jeunes et avec les femmes, groupes fondamentaux dans la défense et la protection des terres. Cette décision implique le développement de différentes actions : sensibiliser les communautés pour reconnaître le travail effectué par ces deux groupes pour protéger le territoire ; mettre en place un dialogue intergénérationnel ; développer une approche de protection en prenant en compte les aspects de genre et de génération ; analyser les risques spécifiques pour les femmes, les jeunes et les enfants.

Ce travail est très important pour augmenter la capacité des communautés en matière de protection collective et territoriale et permet de renforcer le rôle des femmes et des jeunes dans la défense et la protection des terres.

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Exercice de groupe avec l’artiste Yolanda Consejo Vargas à Buenos Aires, 19.08.2017                        © Guillaume Bégert (PWS)

Quels sont les objectifs de ce travail?

De manière générale, le but du travail développé par PAS en matière de protection et de sécurité est de renforcer, développer et mettre en commun les capacités, les expériences et le savoir des communautés sur ces thèmes, pour maintenir l’espace d’action des communautés. L’objectif est d’asseoir des fondements pour que les communautés et les défenseur-e-s des droits humains puissent mieux se protéger, gérer les risques et agir sur leur territoire.

En 2017, en ce qui concerne le travail avec les jeunes et les femmes, PAS a mis l’accent sur la sauvegarde de la mémoire du processus de défense de la terre et du territoire que les communautés ont mis en place. L’objectif est de reconnaître le travail collectif de défense des droits humains en mettant en avant le leadership collectif et en créant un environnement propice à une meilleure cohésion interne.

Concrètement, comment est-ce que PAS sensibilise les jeunes en matière de droits humains, de protection du territoire et de sécurité ? Quelles sont les activités proposées ?

Le point de départ dans le travail avec les jeunes a justement été quand les leaders des communautés ont reconnu l’importance de les impliquer dans le processus d’organisation et de protection du territoire.

Le deuxième élément fondamental a été la volonté d’aider les femmes et les jeunes à se reconnaître comme des acteurs fondamentaux dans ce processus. Ils et elles ont commencé à se créer une propre identité, à s’identifier à la terre et à se reconnaître en tant que défenseur-e-s des droits humains.

Pour ce faire, plusieurs actions ont été mises en place : échanges entre les communautés et avec d’autres organisations ;  espaces de formation et d’analyse de risques; réunions de suivi et participation de ces deux groupes aux rencontres du réseau de protection. En 2017, en plus de ces différentes actions, des activités de graffiti et des animations théâtrales ont été mises en place, ainsi que des exercices permettant de tisser la mémoire collective.

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Deux jeunes de ASOCAB travaillant sur le projet de graffiti à Buenos Aires, 19.08.2017                    © Guillaume Bégert (PWS)

De quelle manière les jeunes des communautés perçoivent-ils leur rôle dans la défense des terres et de l’autoprotection de la communauté?

Après trois ans de travail sur les thèmes de la défense des terres et de l’autoprotection, les jeunes sont conscients de leur responsabilité et de l’importance de leur implication au sein des communautés. « Nous faisons partie de la mémoire de la communauté. » C’est à la fois une reconnaissance de leur engagement et une invitation pour que plus de jeunes se joignent au processus de défense des droits humains de leur communauté.

Aujourd’hui, dans diverses communautés, les femmes dirigent certaines actions de protection en appliquant différentes stratégies : réponses organisées face à des situations d’urgence, communication avec les organisations et les autorités locales et initiatives productives focalisées sur la protection territoriale.

Déclarations recueillies par Aïcha Bouslama et Guillaume Bégert, équipe actuelle de PWS en Colombie

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