Colombie, les défis des négociations de paix

Madame Ospina Rincón animera ce mois de mai en Suisse la campagne : « Colombie, une coopération solidaire pour la construction de la paix » ensemble avec Samuel Bouille et Lauranne Zellweger, coopér-acteurs d’E- CHANGER / COMUNDO engagés en ce pays sud-américain.

Question : Comment définiriez-vous la guerre qui dure dans votre pays depuis presque un demi-siècle : comme un mal « endémique » ou une « épidémie socio-culturo-psychologique » ?
Angela Ospina (AO) : Non. La guerre en Colombie est un conflit sociopolitique avec des causes structurelles, qui a dramatiquement impacté tout le pays, avec des chiffres tragiques, car derrière chaque cas de victime, il y a un être humain, une famille, une communauté qui souffre. Selon certaines sources sérieuses, les victimes se comptent par millions. L’Unité pour l’Assistance et la Réparation des Victimes parle de 6’372’539 déplacés (déplacements forcés) et de 8’210 personnes torturées. Le Centre National de la Mémoire Historique recense, quant à lui, 1’166 massacres, directement liés aux groupes paramilitaires. Et on pourrait continuer ainsi pendant des heures … Il s’agit d’une guerre qui a directement touché la population civile, avec 50 années de violences, d’accaparement des terres, d’assassinats collectifs et massifs, d’élimination des mouvements d’opposition.

Quel est la priorité pour vous dans la prise en charge des victimes? Atténuer la souffrance ? Éviter la destruction de la conscience civile citoyenne des victimes ?
AO: Le CAPS est une organisation qui s’est spécialisée (et qui continue à le faire) dans l’action psychosociale à l’attention des victimes du conflit. Notre centre a pour objectif de renforcer les projets de vie individuels, familiaux et collectifs des victimes. Nous partons du principe que les personnes ont été affectées, brisées, détruites, tant au niveau physique qu’émotionnel, culturel et spirituel. Par le soutien psychosocial, nous essayons de travailler sur toutes ces dimensions, indispensables pour chaque être humain. Pour ce faire, nous proposons des consultations médicales et psychologiques individuelles, des thérapies de famille, de groupe, des rencontres communautaires, ou par groupe d’âge… Nous ne ménageons pas nos efforts pour promouvoir tous les espaces nécessaires afin d’offrir un accompagnement psychosocial complet.
«Les victimes sont des sujets de droit»
Dans le but que les victimes récupèrent leur estime de soi en tant qu’êtres humains ?
AO : Absolument. Ce processus de soins psychosociaux a aussi l’ambition de faire reconnaître les victimes comme des sujets de droit, des droits qu’elles ont perdus et qu’elles doivent récupérer. L’accompagnement psychosocial permet de renforcer les capacités des victimes afin qu’elles retrouvent leur esprit d’initiative, leur pouvoir et leur voix.
Avec le processus de négociation en cours, la Colombie attire l’attention des médias. Sentez-vous déjà un impact positif de ce processus sur les aspirations et le moral des victimes que vous aidez ?
AO : La société civile colombienne et les victimes du conflit ont toujours été en faveur d’une résolution pacifique du conflit. Sans aucun doute, les dialogues de paix en cours à La Havane suscitent l’espoir. Mais les victimes souhaitent aussi que cette paix s’accompagne de la vérité. L’apaisement des souffrances des victimes et de leur état émotionnel ne peut se faire sans la vérité…Quand les victimes auront des réponses claires sur ce qui s’est passé, sur qui sont les responsables et pourquoi, le processus de réconciliation pourra alors commencer. Il ne s’agit pas forcément de pardonner mais de réconcilier un pays qui a vécu 50 années d’agression, de violation des droits humains, de concentration de la richesse. Les victimes souhaitent une paix qui aille de pair avec la justice sociale.
«Un désir ardent de paix»
Y a-t-il un véritable espoir de la part de la population colombienne quant aux résultats du processus de négociation en cours?
Jusqu’à présent, la population n’est pas vraiment confiante, car dans l’état actuel des choses, sans respect des droits humains et avec un Etat qui continue à agresser les communautés, les leaders sociaux, la population elle-même, on peut se poser de sérieuses questions : où est la paix? de quelle paix parle-t-on?
Si on ne change pas ce modèle économique qui ne provoque que la pauvreté (n’oublions pas que la Colombie est un des pays les plus inégalitaires en Amérique Latine), s’il n’y a pas un minimum de réformes structurelles, si le pays continue d’encourager une politique économique basée sur l’exploitation des ressources minières, le discours de paix perd tout son sens. Cependant, cela ne veut pas dire que la population colombienne, et les victimes en particulier, ne souhaitent pas la paix, notamment dans les territoires et les régions meurtris par la guerre au quotidien.
Sergio Ferrari et Pauline Garcia
*Collaboration E-CHANGER/COMUNDO, ONG suisse de coopération solidaire qui travaille en Colombie et qui organise la campagne d’information entre le 21 mai et le 2 juin dans dix villes suisses avec le soutien d’une vingtaine des institutions éducatives, ONG et associations solidaires

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