Colombie : L’OBSESSION DE LA PAIX

 
Q: Comment est né le Programme suisse pour la promotion de la paix?

R: Il a vu le jour en 2001. Des négociations s’étaient engagées entre le gouvernement et la guérilla des Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC). Un groupe d’ONG et d’associations suisses, qui menaient un travail solidaire avec ce pays depuis plus de dix ans, a demandé au gouvernement helvétique d’offrir ses bons offices. C’est ainsi que la Suisse est devenue l’un des « pays amis » [aux côtés de la France et de l’Espagne, ndr] qui agissent pour favoriser une fin négociée du conflit. De notre côté, nous avons proposé un programme pour compléter et accompagner ce processus de dialogue au sein de la société civile. De nombreux exemples, notamment en Amérique centrale, montrent en effet la fragilité des négociations entre des acteurs en armes qui se sont éloignés des organisations sociales. Notre hypothèse était –et elle est toujours– qu’il y a plus de chance de parvenir à une paix stable, durable, quand la société civile participe réellement et massivement au processus. Plus tard, la rupture des négociations gouvernement-guérilla en février 2002 nous a contraints à changer notre fusil d’épaule.
 
Consolider la société civile
 
Q: À modifier les priorités du programme?
 
R: En effet. Nous avons jugé nécessaire de prendre un tournant car nous constations que de nombreuses organisations de la société civile colombienne étaient installées dans les villes, notamment à Bogotá, et connaissaient mal la dynamique réelle des provinces. Nous avions observé une faible participation des organisations locales, normalement plus proches du conflit. Par ailleurs, la guerre conduisait au clivage. C’est-à-dire que les acteurs en armes faisaient pression, chacun de leur côté, pour que la société civile se range dans leur camp. Attitude qui répond à la logique de la guerre: chacun considère qu’en dehors de son camp, il n’y a que des ennemis. Dans ce panorama d’affrontement, nous nous sommes aperçus qu’il existait de nombreuses initiatives locales ou régionales de peu d’envergure, mises en œuvre par des gens qui en avaient assez de la guerre, convaincus que ce n’était pas leur guerre, des gens conscients de la nécessité d’un changement social, mais pas par les armes. « Cette lutte n’est pas notre lutte », affirmaient-ils. Ils estimaient qu’il fallait en finir avec le modèle militariste et fomenter la résistance civile, pacifique, face aux parties belligérantes et face à la logique de la guerre et de la violence.
C’est pourquoi, au cours de cette deuxième étape, nous avons soutenu ces initiatives locales, entre autres en les finançant partiellement.
 
Q: En quoi consistait concrètement votre appui?
 
R: Nous avons accompagné ces initiatives et favorisé leur articulation avec des organisations, souvent assez isolées, pour promouvoir les échanges en faveur de la paix. Nous avons appuyé les voyages de leurs coordinateurs pour qu’ils se rencontrent. De nouveaux espaces se sont ainsi ouverts pour la société civile. Une question s’est bientôt posée: l’objectif était-il seulement de se rencontrer ou était-il possible d’agir ensemble? Des propositions ont été faites pour une plus grande incidence citoyenne au plan local, régional, national et même international. Un besoin complémentaire s’est fait jour: il fallait définir quelle sorte de paix voulaient les Colombiens. Lors de cette seconde phase, l’apport des groupes afro-colombiens, des indiens, des femmes et des paysans a permis de commencer à élaborer un modèle consensuel.
 
Q: Quel est aujourd’hui l’axe de travail de SUIPPCOL?
 
R: Nous tentons de faire parvenir à la base ces idées qui, jusqu’à présent, sont restées au niveau des dirigeants régionaux. Comprendre la réalité d’un pays en guerre depuis cinquante ans n’est pas chose facile. Beaucoup de gens de la base sont un peu désorientés et ne savent pas très bien à quelle sorte de paix il faut travailler. Beaucoup d’idées circulent et parfois les gens sont perdus. Quelle paix voulons-nous, sur quelle paix devons-nous parier?
Il est intéressant de noter, par exemple, que la Ruta Pacífica, un grand réseau national que nous soutenons depuis sa création, a pour slogan: “Ni guerre qui nous tue, ni paix qui nous exploite”.
 
Aux côtés de ceux qui souffrent du conflit

 
Q: Pouvez-vous donner un exemple précis?
 
R: La logique de notre programme est de protéger et de renforcer les initiatives sociales qui résistent et perdurent dans les territoires que se disputent les acteurs armés, là où les gens sont au milieu du feu croisé et exposés aux balles.
Nous pouvons ainsi éviter, jusqu’à un certain point, l’exode des populations vers les villes et contribuer à ne pas aggraver la crise humanitaire, déjà très aiguë dans ce pays où il y a plus de trois millions de personnes déplacées.
 
Q: Comment travaillez-vous à la protection de ces communautés en danger?
 
R : Des Communautés de paix, formées de villages et de hameaux qui s’opposent à la présence permanente sur leur territoire des forces belligérantes, –que ce soit la guérilla, les paramilitaires ou l’armée– sont nées dans différentes régions. Nous les soutenons dans l’élaboration de cartes des risques et de la protection; nous leur dispensons des formations sur la négociation et le traitement des conflits et, dans les moments difficiles, avec l’ambassade de Suisse, nous organisons des missions d’urgence ou des tables rondes sur les problèmes humanitaires avec des instances gouvernementales, d’autres ambassades et des organismes des Nations Unies. Mais exiger le respect de la convention de Genève, qui impose aux parties du conflit de s’abstenir d’attaquer la population civile, comporte malheureusement des risques. Par exemple, la Communauté de San José de Apartado, qui a quelques centaines d’habitants et résiste à la guerre depuis plus de dix ans, compte déjà 160 morts, victimes d’attentats perpétrés par les différentes forces en présence. L’accompagnement de ces communautés est très dur, très complexe, mais il est essentiel, car une paix stable ne peut se fonder que sur le respect des droits civils et des organisations.
 
Fatigués de la guerre
 
Q: Dans ce pays martyrisé depuis si longtemps par le conflit, les gens continuent-ils à croire en la possibilité de trouver une solution ou sont-ils fatigués et découragés?
 
R: Il faut faire une distinction: à Bogota, dans le cercles des analystes du conflit et des militants, la fatigue est visible. Ce sont des personnes qui travaillent depuis des années sans voir de progrès, ou constatent que souvent les changements sont des reculs.
Dans les provinces, la situation est un peu différente. Les gens n’ont pas le temps de se reposer ni de baisser les bras. Ils sont contraints de trouver le moyen de survivre. Cela explique l’existence de centaines d’initiatives, de groupes, d’organisations et de processus qui font avec sérieux le pari de la paix.
 
Q: Dans cette conjoncture, les organisations sociales colombiennes considèrent-elles qu’un éventuel changement de gouvernement aux États-Unis en novembre serait un événement important?
 
R: Je viens d’effectuer un séjour d’un mois en Colombie et je n’ai pas senti que l’espoir, dans le domaine politique, soit lié aux résultats des élections américaines. En revanche, j’ai fortement senti que de larges secteurs croient davantage à l’influence de la nouvelle situation politique en Amérique du Sud, où la majorité des pays ont un gouvernement progressiste, pour aider à la transformation du conflit.
 
Q: J’aimerais savoir quel est aujourd’hui votre sentiment sur l’état d’esprit des multiples ONG et associations suisses qui poursuivent leur travail de solidarité avec la Colombie.
 
R: Il y a des moments où l’on se sent fatigué, notamment en constatant le peu d’importance qu’accordent la presse et l’opinion publique helvétique à la Colombie. Les médias, par exemple, ont parlé régulièrement au cours des derniers jours de la violence en Afrique du Sud, qui a fait jusqu’à présent moins d’une centaine de morts. Je viens de recevoir un rapport du Diocèse de Tumaco qui dénonce l’assassinat de cent personnes depuis le début de l’année seulement dans cette région. Mais personne n’en parle.
Pour revenir à votre question, la solidarité suisse et européenne en général tire sa force de la résistance de tant d’acteurs et de partenaires colombiens qui ne baissent pas les bras, bien qu’ils vivent au cœur du conflit. C’est stimulant.
Mais il ne faut pas oublier une dimension de fond. Tant que les États-Unis, l’Europe, le nord en général, voudront conserver leur style et leur niveau de vie actuels, il sera difficile non seulement de mettre fin au conflit en Colombie mais encore d’éteindre d’autres foyers de tension à travers le monde. Car derrière ces guerres, se cache aussi la lutte pour les ressources naturelles. Elle structure les relations entre le nord et les pays que l’on appelait autrefois le Tiers Monde. C’est pourquoi une véritable prise de conscience des citoyens des pays du nord et leur engagement politique réel sont un préalable au déblocage de la situation complexe dans laquelle se trouve la Colombie.
 
*Sergio Ferrari
Traduction Michèle Faure
 
Service de presse E-CHANGER
 
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SUIPPCOL EN BREF
 
Le Programme suisse pour la promotion de la paix en Colombie est né officiellement en 2001. Il a aujourd’hui entamé sa troisième phase, qui s’achèvera en 2011.
Au cours des premières années, c’est Alliance Sud qui a coordonné ses activités. Cette tâche est assumée depuis trois ans par Caritas Suisse; le coordinateur du programme travaille pour son siège à Lucerne.
Le projet regroupe Caritas Suisse, l’Action de carême et l’EPER, ainsi que Swissaid, Amnesty International/Suisse et le Groupe de travail Suisse-Colombie. Pour la troisième étape, se sont intégrés Terre des hommes/Suisse, les Brigades pour la Paix, E-CHANGER et la Mission Bethléem Immensee. Ces organisations ont leurs propres projets en Colombie et le SUIPPCOL leur permet d’agir en synergie. Elles co-financent une partie de son budget, qui s’élève à 750’000 francs et dont la plus forte part est assumée par la Confédération.
Le SUIPPCOL a pour priorité le soutien aux organisations, aux initiatives ou aux processus locaux ou régionaux, essentiellement en milieu rural, dans les zones de conflit. Une équipe de coordination, composée de Colombiens et dont le bureau est à Bogotá,, assure la mise en œuvre du programme.
Il existe également en Suisse une plateforme d’une quinzaine d’organisations qui font un travail solidaire avec la Colombie. (Sergio Ferrari)
 

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