Colombie: UNE COOPERATION QUI RENFORCE L’ORGANISATION A LA BASE

 L’objectif de Swissaid en Colombie ne consiste pas simplement à appuyer une série de projets individuels dans trois régions différentes. « Nous cherchons à construire une proposition de développement alternatif, avec la base et en partant des communautés des zones les plus périphériques », relève Walkiria Pérez, juriste colombienne spécialisée en gestion administrative.
Depuis 20 ans, cette dernière coopère avec l’ONG suisse et durant les 5 dernières années elle en fut la coordinatrice nationale pour la Colombie.

Dans ce pays sud-américain, Swissaid soutient 22 projets impulsés par des organisations communautaires, des associations paysannes, des organisations indigènes, des collectifs mixtes (indigènes paysans), des groupes afro colombiens et des ONG nationales.
 
Swissaid appuie aussi des réseaux mobilisés contre les organismes génétiques modifiés (OGM) et défend avec conviction les semences traditionnelles autochtones, présupposé essentiel de « tout plan de souveraineté alimentaire », souligne la coordinatrice.
 
Swissaid, avec une autre douzaine d’ONG suisses, fait partie de SUIPPCOL, programme  pour la promotion de la paix soutenu par la Confédération.
 
Renforcer les communautés
 
Les projets, concentrés dans les régions de la Caraïbe, des Andes et du Pacifique (au nord et au Sud de la Colombie) concernent 10.000 familles.
« L’impact multiplié sur un meilleur nombre de bénéficiaires et le travail en synergie avec des entités publiques et privées nationales constituent deux thèmes de réflexions fondamentale du programme actuel, explique Walkiria Pérez.
 
Un des piliers de cette présence est le fond de crédit rotatif qui alimente de nombreuses initiatives d’associations de femmes, ainsi que de communautés indigènes et paysannes.
 
Pour Walkiria Pérez, l’essence de toute coopération extérieure « doit consister à renforcer les propositions productives des communautés elles-mêmes, consolidant de cette manière leurs rêves et leurs espérances ».
 
« Notre programme actuel récupère l’histoire d’une longue présence dans ce pays et il exprime une continuité, avec des ajustements permanents », souligne-t-elle.
Ce programme repose sur trois axes : la gestion du territoire, l’agro écologie et la promotion des femmes. Avec une série de composantes clés : entre autres, le bon gouvernement, le respect de la biodiversité et la promotion intégrale des droits des femmes.
 
« Quand nous parlons de bonne gestion, nous pensons immédiatement à la nécessité d’un renforcement institutionnel de nos partenaires. Transparence interne et externe, avec une gestion efficiente des ressources économiques et promotion constante de la planification participative, avec des bilans systématiques », explique Walkiria Pérez.
 
La thématique de la biodiversité est liée à la construction d’un projet alternatif, avec la base, avec une vision permanente du territoire. « Cela n’implique pas seulement de formuler des propositions ponctuelles, mais de regarder globalement l’état des ressources naturelles de la zone, les opportunités, les autres institutions impliquées dans les projets. L’optique de la durabilité est pour nous essentielle ».
Quant à la perspective de genre, souligne la coordinatrice, « elle se fonde sur le fait que historiquement les femmes et les jeunes ont été les plus vulnérables et les plus exclu-e-s ; nous devons donc les prioriser comme actrices d’un nouveau développement ».
 
Engagement des femmes
 
« J’ai toujours été timide. J’avais peur de sortir de la maison, de parler en public. Peur que les autres ne me prennent pas au sérieux. Et le travail collectif m’a développé. Aujourd’hui, je me sent profondément changée », dit Eugenia Nova.
Eugenia Nova est l’actuelle secrétaire de l’Association des femmes pour le progrès de San Jaime (ASOMPROSAN).
 
Fondée avec l’appui de Swissaid, c’est actuellement l’une des entités les plus emblématiques de la municipalité Los Palmitos, dans le département septentrional de Sucre. L’association réunit 42 des 79 familles de la communauté qui produit sur une surface de 106 hectares.
 
Au moment du bilan des réalisations durant ces dix dernières années, il n’y a aucun doute pour Eugenia Nova. « Le plus important, ce fut le fond rotatif qui a constitué la base de tout le projet et nous a donné le sentiment d’appartenance. Le second résultat concret, notre avance organisationnelle en tant qu’association, dont la direction est principalement assumée par les femmes, mais comprend aussi quelques hommes ».
 
Actuellement, les priorités productives de l’association sont doubles : en premier lieu la diversité agricole, qui comprend les semences et quelques têtes de bétail, ainsi que de la volaille ; en deuxième la production de poissons tant pour la consommation que pour la vente. Grâce au travail volontaire et à l’appui financier extérieure, la communauté a construit une demi-douzaine d’étangs naturels pour la reproduction, ce qui assure aujourd’hui d’importantes rentrées financières.
 
Dans une zone historiquement conflictuelle, par quelle méthode ASOMUPROSAN a-t-elle pu se consolider ? « La neutralité.  Nous ne prenons parti pour aucune des forces militaires en conflit. Ce fut une règle de l’association. Et, en plus, de se maintenir éloignée de la politicaillerie et des campagnes électorales ».
Cela signifie, souligne Eugenia Novoa, « ne pas répéter l’erreur de notre première étape. Lors de notre fondation, nous étions 27 femmes et nous nous sommes divisées sur des problèmes de politicaillerie. Nous ne voulons plus répéter cette histoire ».
 
Les rêves collectifs comme futur proche
 
« Les défis du futur les plus importants sont au nombre de deux », déclare Ismael Anaya, paysan âgé de 63 ans, l’un des fondateurs de la communauté au début des années 1970.
 
Diversifier la commercialisation et promouvoir la transformation de quelques-uns de nos produits pour leur donner une valeur ajoutée qui nous assure une meilleure rentabilité, souligne-t-il.
 
Et de la réalité aux rêves, il semble n’y avoir qu’un pas à El Progreso de San Jaime. « Nous pensons produire de la farine de poisson pour l’exportation, ou bien des dérivés du manioc ou de l’igname. Les jeunes de la communauté projettent même d’installer un restaurant au bord de la route principale voisine, pour cuisinier et vendre une partie de notre production ».
 
La lutte pour la survie et le développement de la communauté dans une « époque très complexe de crise mondiale » n’empêche pas Ismael Anaya de nous faire partager sa cosmovision optimiste de la communauté et de l’association.
« Pour nous, la terre est fondamentale. La base économique de tout pays du monde, c’est l’agriculture, parce qu’elle se renouvelle continuellement. Durant ces dernières années, nous avons amélioré notre organisation et notre production, voilà la base de notre succès ».
 
Et Anaya de rappeler que toute l’expérience organisationnelle de San Jaime « a commencé au début des années 1970, lorsque nous avons occupé les terres. Tout était très précaire. D’autres paysans nous ont appuyé pour pouvoir faire la première récolte. La loi agraire alors en vigueur nous a favorisés, vu qu’elle permettait de s’installer sur des terres non cultivées ».
 
Pour actualiser l’engagement envers la coopération internationale, la condition essentielle, c’est que « nous devons assurer la transparence absolue des ressources qui parviennent à la communauté et faire les choses correctement. Cela signifie un dévouement absolu. Ici, en tant que communauté, nous nous contrôlons mutuellement pour éviter toute mauvaise gestion », conclut Anaya.
 
*Sergio Ferrari, de retour de Colombie
Traduction Hans Peter Renk
Collaboration de Presse E-CHANGER
 
 
 
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Une cosmovision indigène
 
A quelques kilomètres de San Jaime, dans la même municipalité de Los Palmitos – département de Sucre (Colombie), existe une vaste réserve indigène de plus de 80.000 hectares.
Il y a quelques années, 412 des familles résidentes ont créé l’Association des producteurs indigènes de San Antonio de Palmito (ASPROINPAL), laquelle reçoit l’appui technique et financier de Swissaid.
« Le problème fondamental, c’est la terre.  Nous disposons de 800 hectares à peine, ce qui est très peu », relève Ubadel Pérez, l’un des responsables de l’association.
Et concernant la production rurale limitée, « ce que nous avons comme financement ne nous suffit pas. Nous sommes nombreux, avec des ressources limitées, ce qui nous contraint d’appuyer un groupe d’associés cette année et un autre groupe l’année suivante ».
Néanmoins, l’organisation elle-même « a déjà débouché sur des résultats très positifs. Beaucoup des associés ont amélioré leur qualité de vie, par rapport à leur situation antérieure, spécialement grâce à l’existence de fonds rotatifs, ce qui permet aussi une diversification de l’alimentation basique, avec de nombreux produits naturels différents ».  L’un des projets phares de l’Association, c’est la construction d’un laboratoire artisanal pour la transformation de racines et de fruits en produits médicinaux naturels et en articles de beauté. « Avec l’idée, y compris, de chercher des débouchés sur le marché, pour améliorer nos gains », explique Ubadel Pérez.
Si le développement de la communauté représente déjà en soi un défi énorme, « la réalité du conflit armé dans la région pèse beaucoup. Les différents belligérants ont tenté à plusieurs reprises de prendre le contrôle de notre association. Certains de nos membres ont même été agressés. Il y a eu des menaces de morts et cette tension a entraîné le départ de certains membres. Des groupes paramilitaires se sont réarmés sous d’autres noms après leur supposée démilitarisation ».
Néanmoins, pour le jeune dirigeant indigène, « l’un des principaux facteurs d’agression contre les communautés, c’est l’Etat avec sa politique néolibérale ». « Elle exige plus de productivité, on nous oblige à entrer dans des systèmes de commercialisation, tout cela malgré le fait que nous promouvons une logique cohérente d’autoconsommation. Nous sommes en plus confrontés à un climat très rude, avec une longue saison sèche – et donc avec des réserves d’eau limitées -, qui ne nous permet pas de cultiver toute l’année ».
« Le néolibéralisme tend à exproprier nos terres, à privatiser les gisements restreints d’eau, à déboiser les forêts. Le gouvernement tente d’impulser de nombreuses lois dans cette direction. Toute cette conception est illogique. Nous devons impulser une politique plus démocratique et participative. Avec une vision nationale, car la Colombie est une puissance réelle en matière de biodiversité, elle a accès à deux océans, avec des montagnes et avec d’abondantes ressources naturelles. Nous sommes un pays très riche. Malheureusement, la politique de l’Etat n’est pas pensée à notre profit »
Cette cosmovision communautaire, propre à ses racines indigènes, renforce le diagnostic fait par Ubadel Pérez sur la situation du pays et le renforce son option de proposer des pistes pour les priorités nationales. « L’un des problèmes principaux, c’est la participation.  La première chose sur laquelle nous devrions travailler, c’est la paix.  Immédiatement après, le thème de l’environnement. Réfléchir et agir immédiatement pour résoudre le problème de la faim et de l’alimentation, qui n’est pas le seul problème de la Colombie, mais se situe à l’échelle mondiale. Mais, j’insiste là-dessus, le dialogue et la participation, la construction de la paix sont des conditions de base pour tout le reste ».
Et la conclusion vient tout naturellement : « Il n’y a pas d’espace pour résoudre les problèmes sociaux des gens par la violence.  De la violence, surgiront plus de conflits et de massacres. Le principal défi, c’est la solution politique négociée. Les acteurs du conflit armé ont besoin de dialogue et d’emploi. Il y a beaucoup de gens, particulièrement des jeunes, qui n’ont pas de travail… Et ils trouvent dans le conflit une manière de survivre… », conclut  Ubadel Pérez. (SFi)
 
 

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