Comoli : « La difficulté quand on est bailleur de fonds, tel que l’on peut être perçu par les gens du Sud, c’est de rester le partenaire qui prône autre chose qu’un rapport institué en fonction de l’argent »

Deuxième volet d’une interview triptyque, Bernard Comoli, membre du Mouvement pour la Coopération Internationale, donne un éclairage à propos des défis actuels de la coopération au développement.. Quelle évolution est souhaitable pour le MCI et la coopération internationale ?

Etes- vous pour la mise en place de financement d’ONGs du Sud par des bailleurs de fonds du Nord ?

Nous avons participé à ce que la FGC a mis en place. Les partenaires du Sud expriment leurs besoins, leurs programmes d’action. Sur le financement, l’ONG du Nord qui suit le projet obtient environ 10%  pour s’assurer que le monitoring est bel et bien respecté ; tout le reste est consacré au programme d’action. Le MCI appuie plusieurs partenaires : la CLEBA (Centro Laubach de Educación popular Basica de Adultos) en Colombie, le CEDAC au Brésil, la Casa de la Mujer en Uruguay, le CAI (Conseil d’Assistance aux Indigènes mapuches du sud de l’Argentine), l’APRA en Haïti, l’APAP (Association Internationale pour la Promotion Agropastorale du Bénin) et le CDC (Centre de Développement Communautaire du Timor oriental). Nous suivons les normes édictées par la FGC, elle-même en accord avec les collectivités publiques.

L’apport du MCI est en priorité un dialogue qui porte sur le contenu des programmes et la manière d’aborder les projets. Nous travaillons sur un projet qui s’appelle « Vive la Vie » qui consiste en un appui scolaire aux enfants de favelas. Le partenaire sur place a des gens compétents. Quand on discute de leur approche pédagogique, nous devons savoir ce que signifient la pédagogie de Célestin Freinet et celle de Paolo Freire. Nous nous situons donc dans l’approche d’un échange et de compréhensions mutuelles. Dans le cas des indigènes, pour se faire entendre, ils doivent paradoxalement s’organiser à la mode des « blancs ». Ils doivent donc trouver la bonne formule. Il ne nous est pas imparti de leur dire ce qu’ils doivent faire- au contraire ; ils doivent expérimenter leur réalité sociale et politique et s’auto-déterminer. Petit constat tout de même, aujourd’hui, ces organisations sont incontournables lorsqu’il s’agit de discuter des problèmes indigènes.

Comment rentrez-vous en contact avec de nouveaux partenaires ?

Pendant de nombreuses années, nous avons soutenu la coordination des organisations indigènes de l’Amazonie brésilienne (COIAB). Dans ce cas, Terre des Hommes Genève avait fait une campagne pour la reconnaissance des terres indigènes de la vallée du Javari, au Nord-Ouest du Brésil. TDH avait un animateur sur le terrain, Silvio Cavuscens, qui coordonnait la « Campagne Javari ». C’est dans ce cadre que je l’ai rencontré. Au même moment, Terre des Hommes avait fait un moratoire sur ses projets car ils avaient été énormément sollicités ; ils ne voulaient plus s’étendre sans se réorganiser. Cela tombait mal car, parallèlement, une assemblée générale regroupant toutes les associations indigènes de l’Amazonie brésilienne avait décidé à Manaus de créer une coordination, la COIAB. Le MCI a pris donc le relais pour soutenir cette initiative, toujours avec Silvio Cavuscens en tant que conseiller sur place. Il faut savoir que la demande d’aide provient toujours du Sud. Généralement, c’est par un réseau de connaissances personnelles que le contact est établi avec un partenaire du Sud

Quelle est la vision développée par le MCI vis-à-vis de la coopération au développement ?

La difficulté quand on est bailleur de fonds, tel que l’on peut être perçu par les gens du Sud,  c’est de rester le partenaire qui prône autre chose qu’un rapport institué en fonction de l’argent. On se doit de chercher un partenariat égalitaire- même si les moyens financiers sont les nôtres. Le poids du « qui paie commande » est tellement fort qu’il incite à un rapport déséquilibré. Cela demande toujours du temps pour être sur la même longueur d’ondes que le partenaire et on ignore en général que l’on porte notre culture jusqu’au bout de nos doigts.

Dans le cadre de la coopération, on est souvent amené à se décentrer, à perdre nos repères culturels. Je me suis retrouvé une fois dans une réunion où les protagonistes réglaient leurs différends devant moi. Ils avaient tenu à ce que j’y sois. Ils m’ont donné la parole en premier- j’étais très gêné car je devais annoncer le conflit. Tout ce qu’ils avaient à se dire, ils l’ont fait devant moi. Cette marque de confiance m’a énormément touché, ce d’autant plus que cela ne fait pas partie des us et coutumes que l’on côtoient ici à Genève. L’empathie fait donc partie intégrante de notre travail.

Comment percevez-vous l’évolution de la coopération internationale ?

Le principal changement provient de l’émergence au Sud d’organisations compétentes. L’organisation du Forum Social Mondial n’est pas le fruit du hasard. Il suffit de voyager un peu pour se rendre compte que dans tous les pays, il existe le problème de l’économie informelle. Partout on tente de s’organiser. L’idée géniale est d’avoir pu inviter des gens et de leur offrir une vitrine. L’autre chose, c’est que le monde actuel est beaucoup plus difficile qu’avant. Par exemple, les accords de l’OMC sont capables de court-circuiter les débats démocratiques dans les pays membres. A travers ces accords, on fait en sorte que la population ne puisse plus se prononcer sur toute une série de sujets la concernant. Il y a 50 ans, cela n’existait pas. L’auto-détermination des peuples et des nations se réduit au vu de ce que la globalisation actuelle amène. Le seul moyen d’y remédier, ce sont des résistances. Il faut que l’on s’engage sur ce terrain car c’est à ce niveau qu’il y a le plus à faire. Plus que jamais, les organisations de la société civile travaillant au bien commun ont un rôle capital à jouer.

L’autre défi qui nous interpelle, c’est le fait que les pays dits développés ont besoin pour vivre, si leur modèle se reproduit partout dans le monde, des ressources de plusieurs planètes telles que la Terre. Face à cette réalité, quel mode de vie allons-nous adopter ?

Lorsque nous parlons de l’empreinte écologique et de sa réduction, combien de temps nous faudra-t-il pour adapter nos comportements à la survivance de notre environnement ? Des fois, nous reprochons aux ONGs du Sud de manquer de moyens et d’efficacité. Ce contraste m’interroge beaucoup alors que nous sommes à peine aux prémices de notre action pour réduire notre empreinte écologique. Il n’y a pas qu’au Sud où les choses doivent évoluer.
Propos recueillis par Olivier Grobet

Fragments de paroles

Comoli : « Les ONGs du Sud sont nées, actives et compétentes,
mais elles peinent à être prises en charge. »
Comoli : « La difficulté quand on est bailleur de fonds, tel que
l’on peut être perçu par les gens du Sud, c’est
de rester le partenaire qui prône autre chose qu’un rapport
institué en fonction de l’argent »
Comoli : « Le bénévolat avec autant d’exigences techniques
et professionnelles relève d’une militance engagée,
faite de convictions»

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