Equateur: une «révolution citoyenne» critiquée mais sans adversaire

Rafael Correa a réformé l’Etat et l’a mis davantage au service des Equatoriens. Malgré des critiques à gauche comme à droite, le président est presque sûr d’être réélu.

Les différents sondages pré-électoraux prévoient pour ce troisième dimanche de février une confortable victoire de l’Alliance PAIS (Patrie altière et souveraine) conduite par Rafael Correa. Sans rival de poids dans l’opinion, le président s’est fixé comme objectif d’être réélu dès ce premier tour, où il affronte sept autres candidats, représentants de la gauche, du centre et de la droite conservatrice. En plus de l’exécutif, 137 membres de l’Assemblée nationale et cinq représentants au Parlement andin seront élus.

Transformations plébiscitées

«Même les sondages publiés par la droite prévoient la victoire de Correa au premier tour», affirme Pedro Páez Pérez, ex-ministre de la Politique économique et, depuis septembre 2012, super-intendant du Contrôle du pouvoir du marché, nouvel organisme de contrôle des monopoles, indépendant de l’exécutif.
Au-delà du triomphe possible de l’Alliance PAIS, ce qui est en question est «le processus de transformation vécu par l’Equateur qui se reflète dans les changements positifs intervenus durant les trente dernières années de la nation».

Selon M. Páez, ce courant rénovateur se reflète dans de nombreuses sphères: nouveaux critères de redistribution des recettes, augmentation et nouvelles priorités dans l’investissement public – celui-ci est passé d’environ 4% du PIB durant les trois décades néolibérales à près de 14% en 2008 et 16,6% en 2012 – avec un accent mis sur l’infrastructure, améliorations significatives dans la politique sociale de l’Etat, y compris la santé et l’éducation. Selon les chiffres officiels, le budget de la santé publique a triplé entre 2006 et 2012. Dans le même temps, l’investissement dans le domaine de l’éducation est passé de 2,5% du PIB à 5,5%.
 
Processus continental

Un autre point positif est l’apport actif du pays au renforcement de la coopération et de l’unité latino-américaine. Le gouvernement équatorien a conclu de multiples accords avec les gouvernements progressistes de la région. Il a intégré l’Alliance bolivarienne pour les peuples de l’Amérique (ALBA) avec le Venezuela, Cuba, la Bolivie, le Nicaragua et quelques Etats des Caraïbes. L’Equateur fait également partie de l’UNASUR (Union des nations sud-américaines) et de la CELAC (Communauté des Etats latino-américains et caribéens). Il a de plus renégocié intelligemment la réduction et le paiement de la dette qui avait atteint en 2005 le 40% du budget national.

«Ce qui se construit en Amérique latine aujourd’hui est porteur d’espérance et d’innovation. Nous espérons que ceci pourra s’intensifier pour atteindre une intégration plus irréversible et soutenue», affirme M. Páez. Toutefois, «le problème de nos pays est qu’ils se confrontent à tant de vulnérabilité structurelle et historique qu’il reste un long chemin à parcourir, malgré l’avancée considérable de ces six dernières années. L’évolution de la crise mondiale exige des transformations structurelles bien plus profondes», y compris la transformation de la production et une forte régulation qui soit en mesure d’améliorer la dynamique de l’emploi et les marchés internes en réduisant la dépendance vers l’extérieur.

Pedro Páez Pérez reconnaît la nécessité de «créer un climat de dialogue entre le gouvernement et les organisations sociales, ainsi que de construire un solide tissu social. Il faut dépasser le manque d’espaces de mobilisation de la société civile comme durant la lutte contre l’extrême néolibéralisme.

La critique se durcit à *gauche*

A gauche, d’autres critiques vont plus loin. Malgré les progrès de ces six dernières années, «il est paradoxal de voir que la nouvelle Constitution promue par l’Alliance PAIS n’est pas réellement appliquée à l’heure actuelle. Elle tombe dans une variante de la gestion du pouvoir ‘caudilliste et autoritaire’ qui viole les principes même de cette Constitution», estime Alberto Acosta.

Ce dernier était président de l’Assemblée Constituante et éphémère ministre des Mines. Il a quitté l’alliance du gouvernement et se présente maintenant comme candidat à la présidence de la République pour la coalition Unité plurinationale des gauches, qui regroupe une dizaine d’organisations sociales, indigènes et partisanes.

Avec le temps, le ton de ses critiques frontales envers Rafael Correa s’est durci. Il a traité par exemple le président de «mauvais conducteur de bus… de ceux qui mettent le clignotant à gauche quand en réalité ils tournent à droite». Il réfute le fait que le gouvernement actuel soit révolutionnaire ou même de gauche.
Sa critique est politique et programmatique: il existe des thèmes prioritaires qui n’ont pas progressé ces dernières années, comme la réforme agraire ou la distribution d’eau. Il affirme que les paysans, par exemple, représentent 86% des usagers de l’eau d’arrosage et en contrôlent à peine 13%. Pendant que les propriétaires terriens – qui constituent moins du 1% des unités productrices agricoles – contrôlent 64% de ces eaux d’irrigation.

M. Correa a aussi mis son veto à la Loi du commerce de détail qui assurait des droits et des bénéfices à cet important secteur. On continue d’ailleurs de poursuivre les travailleurs informels de la rue en confisquant leurs produits.

Encore plus grave, insiste M. Acosta, «on criminalise les personnes qui défendent les droits humains. Il existe plus de deux cents leaders sociaux avec des dossiers ouverts à leur encontre pour sabotage et terrorisme, dans un pays où nous savons tous qu’il n’existe aucun groupe armé…», déplore-t-il.
Le candidat de l’Unité plurinationale des gauches a mis au cœur de son programme de gouvernement «le respect et l’application de la Constitution actuelle qui permettra de mettre en œuvre la réforme agraire, d’imposer une nouvelle logique de la distribution d’eau et le respect des droits humains et environnementaux. Même si Correa parle aujourd’hui de ‘Bien Vivre’, sa gestion nous conduit vers le ‘Mal Vivre’», accuse Alberto Acosta.

Reste que M. Acosta peine à rencontrer l’écho espéré. Crédité d’environ 5-6% des intentions de vote, il ne devrait pas empêcher le troisième mandat d’un Rafael Correa porté par le recul de la pauvreté. Pas plus que le candidat de la droite, Guillermo Lasso Mendoza, qui reste planté à environ 20% d’intentions de vote.
Dans sa course à la réélection, Rafael Correa a présenté un programme en dix points pour la période 2013-2017. Trois d’entre eux ont trait à la culture, à la technologie et à la réforme urbaine. Les sept autres proposent d’approfondir la dénommée «Révolution citoyenne» qui est le projet politique de l’Alliance PAIS de participation sociale pour un changement radical, profond et rapide de la société équatorienne.

Concrètement, un nouvel impôt minier devrait approfondir la politique de redistribution entamée lors des deux précédentes législatures. Du côté des mouvements sociaux, on craint que la réélection de M. Correa signifie aussi la relance de l’exploitation pétrolière dans l’Amazonie équatorienne. Un casus belli pour nombre de militants écologistes et indigènes.

Sergio Ferrari, en collaboration avec Benito Perez, Le Courrier

Traduction Rosemarie Fournier
 
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REPÉRES
par Benito Perez

La pauvreté recule
Plus d’un million d’Equatoriens sont sortis de la pauvreté depuis l’arrivée de Rafael Correa à la présidence, selon des données officielles. Le dernier rapport de la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL, rattachée à l’ONU) confirme la tendance: en 2011, le taux de pauvreté monétaire s’est fixé à 32,4%, cinq points de moins que l’année précédente! L’extrême pauvreté, elle, s’est réduite de moitié durant ce même laps de temps, tombant au plancher historique d’un Equatorien sur dix.

L’économie s’active
Une croissance de 4,8% en 2012, puis de 8% en 2013, les prévisions macroéconomiques de l’Equateur, selon la CEPAL, sont indécentes en ces temps de disette internationale. Ce dynamisme ne doit d’ailleurs pas grand-chose aux capitaux étrangers, qui tendent à éviter ce pays, refroidis par le refus de Quito de payer l’entier de sa dette publique en 2008 et les hausses fiscales. A titre de comparaison, ses voisins le Pérou et la Colombie reçoivent respectivement 8 fois et 13 fois plus de capitaux étrangers. En Equateur, le moteur de la croissance est l’Etat, notamment ses «investissements sociaux», qui ont boosté la consommation interne, et l’investissement public, qui représente un quart du budget étatique.

L’environnement oublié?
Ce productivisme au service du social a aussi sa facette obscure. Pour augmenter les recettes de l’Etat, le président-candidat table sur une augmentation de 25% de la production pétrolière. Une expansion qui passerait probablement par le saccage du fameux parc naturel amazonien de Yasuni, sous lequel se cachent quelque 846 millions de barils, soit 20% des réserves nationales, et que Rafael Correa avait proposé de préserver contre une compensation financière internationale – sans beaucoup de succès auprès des donateurs potentiels. Début février, une pétition internationale signée par un million d’internautes était présentée à Quito pour inviter les Equatoriens à préserver coûte que coûte le parc naturel de Yasuni.

 

 

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