Forum Social Mondial à Kenya: L’AFRIQUE , CENTRE DU MONDE… ALTERMONDIALISTE

Sergio Ferrari, pour E-CHANGER

A partir du prochain samedi  (20 janvier)  le Forum Social Mondial (FSM) se réunira au Centre International de sports « MOI », dans le quartier de Kasarani, à Nairobi, Kenya. Entretien avec Francisco « Chico » Whitaker, militant du mouvement social brésilien et l’un des huit co-fondateurs de cet espace alter-mondialiste planétaire et membre de son Conseil International.

Le Forum social mondial n’est ni un mouvement, ni une super-organisation, mais un espace planétaire d’échange et d’apprentissage, pour la recherche d’alternatives et d’agendas communs des mouvements sociaux.
Passant du simple au complexe, Chico Whitaker utilise la pédagogie politique la plus essentielle pour rappeler l’ABC de cette “construction, qui tient beaucoup du laboratoire et de l’expérience en cours”, selon son raisonnement.
Le levier mobilisateur, dénominateur commun de cet espace: le combat contre “le néo-libéralisme et le capitalisme autoritaire qui mènent la planète et ses habitants à la ruine”.
 
Si l’on parle de la logique des relations au sein du FSM, “prédomine l’horizontalité: tous égaux, sans coordinateurs, ni représentants, ni porte-paroles. L’espace n’a pas de voix”, affirme Whitaker, qui fait un pas supplémentaire, en insistant sur l’importance du “changement en partant de la construction collective”.
“Les gens d’en bas doivent s’engager avec de nouvelles perspectives, qui passeront par des actions diverses et multiples”, c’est-à-dire la société civile comme acteur politique à part entière, travaillant au changement, reconnaissant les autres, découvrant et renforçant les convergences.
 
Idéalisme, utopies potentielles ? Surtout, impulser ”une nouvelle culture politique en construction”, qui se reflète dans les points essentiels de la “charte de principes du FSM”, en vigueur depuis 2001 et qui a été “la clé fondamentale” pour assurer la continuité de cette dynamique particulièrement innovatrices.
 
Briser les dogmes

Depuis six ans, le FSM ne vit pas seulement une dynamique intense propre intense, mais aussi un débat interne sain. Ce débat concerne la tactique et la stratégie, la nécessité ou non d’un programme pour le Forum, les temps politiques et l’état des mouvements sociaux mondiaux.
 
De nombreuses voix affirment que le FSM connaît une perte de son pouvoir de convocation et une décroissance de sa vitesse de croisière. Cette déclaration provocante suscite une réaction tranchante de Whitaker : pour lui, le FSM est un espace où les gens, la société civile de tous les pays du monde peuvent se rencontrer, échanger, chercher des solutions communes. « Cet espace n’est pas en phase de reflux. Il le serait si personne ne voulait continuer à se retrouver et à s’organiser. Ce n’est pas le cas. Les préparatifs pour Nairobi le démontrent. L’attente face au prochain forum en Afrique est énorme ».
 
Whitaker prend du recul et admet des nuances conceptuelles. « Quand certains affirment que l’altermondialisme est en recul, ils font référence à la situation de certains mouvements sociaux ». Cette idée implique, reconnaît Whitaker, que « ces mouvements n’ont pas encore trouvé de réponses intégrales à un modèle néo-libéral, avec sa composante militaire, qui continue à être très forte ».
 
Cependant Whitaker ne craint pas la force de l’ennemi. « L’humanité est en recherche. C’est une tâche vaste et difficile ». Dans sa réflexion, le temps politique joue un rôle important. « Il est très long. Le dernier siècle fut une période d’essais dans cette recherche que l’humanité a entreprise. Le problème est que nous avons souvent peur de mourir sans voir le changement. Mais les étapes passeront sans anxiété, dans un processus collectif, sans ces difficultés qui nous éloigneraient les uns des autres ».
 
Pour Whitaker, « nous ne devons pas imposer un programme politique au FSM. Les mouvements sociaux doivent définir leur propre programme. Mais aucun de ces mouvements ne peut prétendre être l’unique ni le meilleur. La diversité énorme qui règne dans le FSM ne cadre pas dans un projet unique intellectuellement prédéfini ».
 
Chaque jour apparaissent de nouveaux acteurs et protagonistes. La thématique écologique, par exemple, a crû durant ces dernières années de manière incroyable. Le concept de la responsabilité sociale des entreprises s’est aussi développé, certaines commencent à s’interroger sur l’idée même du profit. « C’est pourquoi nous ne pouvons pas réduire le FSM à un modèle complet et achevé. Nous ne pouvons revenir en arrière appliquant des recettes du passé. Cette situation n’empêche nullement qu’à un moment donné, l’humanité puisse définir la société nouvelle que nous voulons tous. Mais ce sera un long processus qui exigera de la patience », souligne Chico Whitaker.
 
Il estime que la nouveauté de ce processus « est de franchir les barrières, ce qui parfois implique dépasser des idées préconçues. Si les mouvements sociaux arrivent avec les yeux et le cœur ouvert ils se rendront certainement compte que de nouvelles alliances sont essentielles. Ils réaliseront aussi qu’une nouvelle façon de comprendre la participation des citoyens, de faire la politique et de promouvoir les questions revendicatrices est en train de naître ».

Sergio Ferrari
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Une autre Afrique est possible : délégation suisse à Nairobi

Une délégation suisse composée de 35 représentant-e-s d’ONG, de mouvements sociaux et de syndicats, de personnalités politiques – dont trois député-e-s au Conseil national – et deux fonctionnaires de la Direction de la coopération au développement (DDC) fera le voyage dans le Sud-Est de l’Afrique.
 
Depuis 2004 (session de Mumbia, Inde), l’initiative de cette délégation revient à Alliance Sud (communauté de travail des œuvres d’entraide) et E-Changer (E-CH). Cette ONG romande avait organisé les trois premières délégations à Porto Alegre, en 2001, 2002 et 2003.
 
Agnès Jubin, secrétaire générale de E-CH, a deux motivations principales pour revenir en Afrique – continent où elle fit, il y a trente ans, ses premières armes comme volontaire. « Connaître de manière directe quelques projets actuels de la coopération suisse sur ce continent », et « découvrir/construire des relations avec de nouveaux partenaires avec lesquels on peut à l’avenir tracer un chemin commun d’échanges mutuels horizontaux et de coopération mutuelle et solidaire ».
Des points de vues partagées par la conseillère nationale Liliane Maury Pasquier (PS-Genève), qui souligne l’importance d’une telle rencontre dans un continent particulièrement défavorisé. « Je suis très contente que ses habitants aient la possibilité d’être acteurs de ce mouvement social mondial, d’être les porte-parole de leur propre réalité et acteurs/actrices de leur propre développement ».
 
Les attentes de la députée socialiste genevoise sont claires : d’une part, sur le plan personnel, poursuivre l’expérience enrichissante vécue dans les deux sessions précédentes (Mumbai 2004 et Porto Alegre 2005). D’autre part, à partir des visites de projets et d’échanges avec les partenaires de ces projets durant les jours antérieurs au forum, « mieux comprendre sur le terrain les problématiques du Sud et voir quelques-uns des programmes des ONG suisses ».
Quant au FSM lui-même, « j’espère qu’il réussisse à définir des actions concrètes, comme la campagne pour un travail décent qui sera lancée à l’échelle mondiale, depuis Nairobi ».
 
Bien que ses intérêts coïncident pour l’essentiel, le conseiller national Luc Recordon (Les Verts-Vaud), qui a aussi participé aux deux dernières sessions, met l’accent sur la relation entre le FSM et la réalité quotidienne de l’Afrique. « C’est avec joie et avec grand intérêt que je prépare cette édition kenyane. Avec appréhension aussi, sachant que nous serons aux confin de la Somalie, du Darfour, de l’Ouganda et d’Arusha, siège du Tribunal International –TPI- pour le Rwanda ) où je compte d’ailleurs me rendre avec mon collègue parlementaire Carlo Sommaruga (PS/Genève) à l’issue du FSM »
Et c’est dans la confrontation avec une problématique continentale si difficile « que le FSM peut montrer sa force, née de l’ensemble de ses participant-e-s et de son type de structure non-directive ».
 
Pour l’ancien dirigeant syndical genevois Eric Decarro aujourd’hui militant actif du Forum social lémanique, la motivation de son voyage au Kenya est triple :
 
– « travailler en commun à un projet alternatif par rapport à une société qui condamne aujourd’hui des millions de personnes à vivre avec moins de deux dollars par jour ». Et par là même confirmer la solidarité dans un combat commun : l’Afrique se trouve en première ligne aujourd’hui à souffrir la globalisation capitaliste et ses politiques néo-libérales.
– tout aussi important, « contrer le discours raciste aujourd’hui en vogue, selon lequel les Africains seraient eux-mêmes responsables de leur situation », selon les propos récents du conseiller fédéral Christoph Blocher . Un discours qui fait l’impasse sur le colonialisme et la responsabilité des pays riches dans le mal-développement et « blanchit » les mécanismes des effets ravageurs de la globalisation capitaliste.
 
Sans oublier, conclut Eric Decarro, que cette conception – qu’il faut combattre – justifie en plus les politiques répressives menées en Suisse et plus généralement dans le Nord de l’hémisphère contre les immigrant-e-s africain-e-s.

Sergio Ferrari
 
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LE DEBAT À NAIROBI

Le programme du FSM incorpore 9 terrains thématiques :
·         construction d’un monde de paix, de justice, d’éthique et de respect des diverses spiritualités ;
·         libération du monde de la domination du capital multinational et financier ;
·         asssurer l’accès universel et soutenable aux bien communs de l’humanité et de la nature ;
·         démocratisation de la connaissance et de l’information ;
·         assurer la dignité, défendre la diversité, garantir l’égalité de genre, et éliminer toutes les formes de discrimination ;
·         garantir les droits économique, social, humain et culturel, en particulier le droit aux soins de santé, à l’éducation, à l’habitation, au logement, au travail et au travail décent ;
·         construire un monde ordonné basé sur la souveraineté, l’autodétermination et les droits des peuples ;
·         développer une économie durable et centrée sur les peuples ;
·         promouvoir des réelles structures politiques démocratiques et des institutions avec la pleine participation du peuple sur les décisions et le contrôle des affaires publiques et des ressources.
 
Les premier, deuxième et troisième jours seront divisés en quatre périodes (chacune d’une durée d’environ 3 heures). La quatrième période, qui aura lieu pendant les soirées, a été réservée pour les activités co-organisées, que le Comité d’organisation du FSM et le Forum Social Africain réalisent pendant l’événement. Cette année, ces activités exprimeront la perspective africaine sur des problèmes globaux. Le quatrième jour sera l’espace pour projeter des actions communes des mouvements sociaux à mettre en application pendant le reste de 2007.

Sergio Ferrari
 
 
 
 
 
 

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