Gilbert Rist : « Il faut en finir avec une certaine idée du développement. »

Redéfinir le développement ne satisfait pas Gilbert Rist. Le professeur honoraire de l’IUED préfèrerait s’extraire totalement de toute conceptualisation liée à la notion de développement. Aspirant à un retour à la bonne vie, à l’essentiel, il questionne notre société, notre fonctionnement et leurs répercussions sur notre épanouissement.

Quel nouveau paradigme du développement prônez-vous actuellement ?

A la limite, pourquoi faudrait-il qu’il y ait de la coopération au développement. Pourquoi conceptualiser un nouveau paradigme ? On pourrait penser que tout le monde est capable de se débrouiller tout seul. A quoi servent concrètement les coopérants ?

Cela dit, ces pratiques existent. Autant les utiliser pour que les gens du Sud puissent puiser dans la caisse de la coopération afin de financer un certain nombre de projets chez eux. Tout de même, quand vous vous rendez sur le terrain et que vous observez ce qu’on nomme les « cimetières de projets », cela donne à réfléchir… Tout ça pour ça ?

A contrario, j’ai vu des gens qui se débrouillaient très bien par eux-mêmes. Ils ne faisaient pas forcément ce qu’on aurait voulu qu’ils fassent. Je me souviens d’un petit village en Afrique où le percepteur de l’Etat se rendait chaque année pour collecter l’impôt. Les villageois, polis, le faisait asseoir et lui offraient de quoi se rafraîchir. Ensuite les palabres abordaient les points concrets : la route promise n’était toujours pas là, ni le centre de santé ni l’école. « Pourquoi te donnerait-on de l’argent ? », lui disaient-ils. Ils ont donc renvoyé le percepteur penaud. A vrai dire, ce village s’était organisé par lui-même. Il scolarisait ses enfants par lui-même sans toutefois mettre en place un horaire scolaire formel. Les villageois avaient constitué une caisse mutuelle pour permettre aux gens de se faire soigner ou aux femmes d’aller accoucher à l’hôpital si cela était nécessaire. Et puisqu’il n’y avait pas de route, les villageois se sont débrouillés avec les services de 4×4.

Encore une fois, les sommes d’argent investies dans la coopération sont marginales. Donc je ne réponds pas à la question parce que, finalement, je n’ai pas de proposition à formuler au sujet de la coopération dont les effets me semblent dérisoires.

Il faut en finir avec l’idée du « développement » parce que je crois que nous allons dans le mur. Il nous faut imaginer d’autres choses. Nous devrions sortir de la frénésie de consumérisme dictée par le système. Ne pourrait-on pas vivre mieux avec tout simplement moins ? Les citoyens du Nord ne font d’ailleurs pas très envie lorsqu’on les croise dans la rue.  On ne peut pas dire que nos sociétés respirent le bien-être et la convivialité. Il nous faut donc revenir à l’essentiel, à la bonne vie comme disait Aristote. Ici, les gens semblent déprimés, alors qu’au Sud ce n’est pas le cas. Nous avons créé une structure sociétale propice au suicide et au mal-être. Je pense que la croissance économique n’est plus nécessaire pour nous.

Vous redéfiniriez le développement autour de la notion de bien-être des populations ?

On peut le dire comme cela, même si, une fois de plus, je n’ai pas envie de proposer de nouvelle définition du « développement »…. même  si certains estiment possible de définir le « bon développement » ! Reste encore à définir le bien-être parce que notre bien-être est intimement lié à ce que l’autre possède, selon le principe mimétique.

Propos recueillis par Olivier Grobet

Fragments de paroles

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Gilbert Rist : « Nous avons remplacé la colonisation par les organisations internationales. »
Gilbert Rist : « La coopération internationale permet de créer des emplois, de financer des projets, certes, mais cela constitue une somme tellement marginale qu’il ne faut pas croire que nous allons changer le monde avec cela. »
Gilbert Rist : « Il faut en finir avec une certaine idée du développement. »

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