LA COUPE DE VALLEE OU L’APPLICATION DE LA « METHODE DU RELEVE TERRITORIAL»

Dans une des ses œuvres principales, Cities in Evolution(1) Patrick Geddes avait présenté un schéma de l’évolution de la vie humaine, de l’antiquité néolithique jusqu’à son époque, démontrant comment à chaque moment de cette évolution correspond une qualité spécifique de l’espace naturel. C’est un schéma « simple » mais assez significatif, d’une porté presque universelle ; partout dans le monde, la première présence de l’homme organisé en communauté se manifeste dans les flancs de la montagne, pour descendre ensuite, dans un laps de temps d’environ dix mille ans, vers la plaine. C’est une voie relativement courte, seulement quelque centaine de mètres en descente, mais parsemée de mille difficultés : la recherche scientifique et historique nous les révèlent jour après jour.

Sur la base de cette première synthèse « geddesienne », nous avons développé une manière de lire le territoire qui, avec des variantes et des ajouts opportuns, nous permet de synthétiser l’histoire des établissements humains ; ceci vaut pour n’importe quelle région, à la condition qu’elle présente un minimum de caractéristiques analogues, c’est-à-dire la présence de la montagne, de la colline, de la plaine bordée par un fleuve, ou un lac, ou bien par la mer.
La Coupe est un « fait » matériel et tangible, mais elle est aussi un concept et un principe : celui de considérer le territoire dans son entité dynamique et dans sa complexité, et non seulement comme un assemblage de zones aplaties avec des « fonctions » dominantes, ce qui devient donc une abstraction cartographique.
L’exercice peut se dérouler soit à une échelle réelle, soit de manière complètement théorique afin de représenter la logique implicite dans le phénomène appelé : humanisation du territoire.

La recommandation de Geddes est relativement primaire : pour enrichir nos connaissances, pour les rendre plus complexes afin de permettre une action sociale plus efficace, il s’agit de « voir la chose telle qu’elle est » et ensuite de la coordonner avec les autres choses. La complexité est ainsi présentée comme un soutien et non pas comme un obstacle ; la complexité, pour Geddes se base sur la triade : lieu, travail, gens, c’est à dire jusqu’à quel point la Hollande a fait les hollandais ou son contraire par exemple. Cette méthode, dite de relevé territorial, génère une philosophie, une éthique et une politique de la vie sociale, qui permettront la fusion des éléments positifs des différentes écoles de pensée et d’action, même contradictoires ou antagonistes.
La vision geddesienne semble peut être trop « candide », ou optimiste, du moins du point de vue politique; il fut un grand penseur de son époque, mais il parle aussi avec la voix de son époque. Il s’agit plutôt de mettre en scène cette complexité dont Geddes parle avec insistance et où résident les réelles possibilités de créativité intellectuelle et peut être d’efficacité opérationnelle.
La triade lieu, travail, gens, proposée comme méthode de lecture du territoire, signifie en fait culture du lieu, du travail, des gens ; dans le sens de ce que l’homme fait, tant du point de vue psychologique que pratique, mais toujours dans la transmission collective de l’information relative aux faits. Culture, dans cette acception, équivaut à la volonté d’envoyer un message, avec comme première étape l’élaboration d’un langage et de sa structure. Transmettre signifie expliquer (à tous ceux qui n’étaient pas là) le fait qu’il faut retenir et dont il faut garantir la mémoire à tout prix, parce qu’il est strictement lié à la genèse et à donc à la vie de la communauté : c’est l’origine du mythe. Le mythe n’est en fait qu’une « explication » (dans le temps) dont l’origine est totalement inscrite dans le territoire et l’habitat d’une communauté. Geddes ne fait pas mention du concept de mythe, il ne parle pas de culture populaire, mais il pose les bases de ce qu’on appellera ensuite la « culture organique », culture où le mythe et les traditions populaires fondent, modèlent, expliquent et contribuent à la pérennité des territoires.

Une nouvelle « Coupe de vallée ».

La vallée que nous considérons a pour frontière supérieure la ligne de partage des eaux de la montagne et pour frontière inférieure, le bord de l’eau. La longueur de la vallée est variable et correspond à la portion de territoire humanisé sur lequel gravite la communauté qu’il nous intéresse d’étudier. Nous insérons la Coupe de vallée dans un système d’abscisse (x) et d’ordonnée (y) : l’abscisse est réservée aux données relatives à l’espace, alors que l’ordonnée est dévolue aux données relatives au temps.
Nous reportons sur la ligne de coupe toutes les données et les connaissances dont nous disposons, à partir de l’actualité de l’établissement jusqu’aux formes de vie apparemment les plus archaïques : traces de vie troglodytes, témoins d’ustensiles et de produits manufacturés de types variés, graffitis, décorations, incisions, etc. Le profil de la ligne de coupe constitue une synthèse des éléments significatifs repérés dans la vallée ; il s’agit donc d’une référence abstraite mais en même temps réelle.
Du côté de l’ordonnée, nous reproduisons quelques exemples d’éléments trouvés (schémas, relevés ou photographies) afin d’illustrer la manière dont l’espace de l’établissement est organisé accompagné de ses éléments annexes et connexes (arts appliqués) et dans ses relations avec le tout. De ces données nous extrayons que la discontinuité entre les différents moments historiques de l’établissement est soulignée par un abaissement de la cote géographique de l’établissement lui-même et par une dilatation du terrain « occupé » ou plus ou moins impliqué.
Du côté de l’abscisse, nous reportons les grandeurs et les qualités de la partie de terrain qui nous intéresse (superficie et usage du sol), relatives à chaque époque repérée.
Sur le même schéma de la Coupe, nous pouvons reporter le cycle de l’eau, c’est-à-dire : les sources, les forêts et leur évaporation, les vents, les pluies, la neige, la formation des cours d’eau provisoires et permanents ; la formation des gaz et des autres phénomènes atmosphériques et leurs précipitations sur la vallée.
Pour des questions de simplicité et d’opportunité, il est possible de rédiger des coupes thématiques(2), avant de les synthétiser en une seule, afin d’étudier l’impact des divers phénomènes sur le territoire, à partir du climat, avec les effets des quatre saisons, jusqu’aux différentes phases du développement que les établissements humains, depuis qu’il existent, produisent de façon « autonome ».

Premières conclusions.

La définition d’une dimension régionale correcte, la délimitation des frontières des lieux, et enfin, dans une optique opérationnelle, la détermination des « parties » susceptibles de mutation, est d’une grande importance dans tout projet territorial.
L’élaboration de la « Coupe de vallée » est un outil culturel et méthodologique proposant une réflexion générale sur un territoire précis, la tentative de comprendre la morphologie du paysage comme résultat d’un rapport dynamique entre l’homme et la nature, manifesté à travers l’épaisseur et la logique de l’action humaine confrontée à son environnement.

La première tâche de tout travail concernant la ville et le territoire consiste ainsi dans la détermination la plus minutieuse possible de cet espace, qui constitue le vrai interlocuteur de l’activité humaine.

La découverte de cette entité territoriale est fondamentale, puisque son autonomie, son cycle et donc sa dynamique générale demandera des compétences précises pour être maîtrisée et surtout revendiquera des « droits » afin d’éviter les catastrophes de sa rébellion.

(1) Milano, 1970 ; t.o. Cities in Evolution. An Introduction to the Town Planning Movement and the Study of Civics, London, 1915.
(2) Dans ce cas, les profils géométriques des Coupes peuvent présenter quelques différences, liées à l’impact du phénomène analysé sur la morphologie spécifique de la vallée.

Riccardo Mariani et Pascale Roulet

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