La guerre des morts est déclarée

Nous sommes entrés dans le temps de Carême, le monde chrétien vient de célébrer le mercredi des cendres. Je suis à Jérusalem sur le Mont des Oliviers ; un endroit symbolique pour cette montée vers Pâques. Le Mont des Oliviers fait face à la vieille ville de Jérusalem, on y visite les lieux qui servent d’arrière-fond au récit de la Passion—une topographie chargée de reliefs.
Il y a deux semaines, je suis allée faire le tour des églises qui parsèment ce mont, chacune désignant un petit bout de Passion. Mais dans le fond, ce qui m’a le plus fascinée ce sont les tombes qui recouvrent le versant Ouest du Mont—l’un des plus anciens cimetières juifs du monde. Position stratégique : les morts ici font face à la Porte d’or de la vieille ville, celle qui selon Ezéchiel 44:1-3 verra la venue du Messie. Ils sont là, innombrables, à attendre la résurrection dernière.
Selon la tradition juive, les cimetières ne peuvent être démantelés ; l’incinération n’étant pas autorisée, ils peuvent ainsi prendre des dimensions impressionnantes. Celui du Mont des Oliviers est semble-t-il non seulement le plus ancien, mais également le plus grand cimetière juif au monde. Ce cimetière représente donc une très longue histoire pour le peuple juif ; il a été un lieu continu d’inhumation depuis l’an 1000 avant l’ère chrétienne. Seules les années entre 1948 et 1967 n’ont pas vu de nouvelles tombes se construire. Le projet archéologique de la Cité de David vient d’établir une unité de recherche dédiée au cimetière du Mont des Oliviers : http://www.mountofolives.co.il/eng/.
Très proche de la Porte de Jaffa, de l’autre côté de la vieille ville, s’étend le cimetière musulman de Mamilla. Celui-ci est considéré comme lieu saint par les musulmans depuis le VIIe siècle suivant la tradition qui rapporte que les compagnons du Prophète Mahomet y auraient été enterrés. Le Mandat Britannique le reconnut comme site historique en 1944 ; en 1948, cette partie de la ville tombait sous contrôle israélien et le cimetière aussi, fermant ainsi son accès à ceux qui y avaient leurs ancêtres. Le cimetière est maintenant quelque peu en friche, un état qui indique à la fois la dépossession passée et la nouvelle annexion qui s’annonce ; en effet, ce cimetière est aujourd’hui la visée d’une nouvelle volonté de contrôle.
Le 10 février dernier, une conférence de presse était organisée à Jérusalem, New York et Genève pour annoncer le dépôt d’une pétition auprès des Nations Unies signée par les descendants des familles enterrées à Mamilla : http://www.mamillacampaign.org/. Ma collègue et moi-même étions à la conférence de presse de Jérusalem. La menace qui plane au-dessus du cimetière de Mamilla est sérieuse ; la court suprême israélienne a autorisé, malgré de fortes protestations et des recours légaux, la construction sur le site même de Mamilla d’un Musée de la Tolérance sponsorisé par le centre américain Simon Wiesenthal de Los Angeles ; sans ironie du tout ! Cette construction va engendrer—et engendre déjà—la désacralisation des lieux, la profanation des tombes et la disparition pure et simple des restes humains qui y sont déposés.
La guerre des morts est donc déclarée. Des deux côtés, ossements et tombes révèlent les racines établies dans cette terre. Et elles ont indubitablement deux branches, deux histoires, deux religions. Cependant, si le cimetière juif dans la partie Est de Jérusalem est préservé avec soin, le cimetière musulman dans la partie Ouest de la ville se voit annihilé. Ce geste représente une façon hautement symbolique de réclamer le sol de cette terre, jusqu’à ses couches les plus profondes.
Dans la tradition chrétienne, le mercredi des cendres ouvre la période de Carême, cette lente montée vers Pâques ! Les cendres au front nous appellent à la repentance, à l’humilité. Cette année sur le Mont des Oliviers, je pense à ces morts qui se voient symboliquement réduits en cendres, en poussière. Beaucoup de morts, à perte de vue, objet d’une lutte idéologique sans fin. Beaucoup de morts et la résurrection qui se fait attendre !
Muriel Schmid
EAPPI Groupe 34

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