La résistance malgré tout

Les chefs d’Etat du G7 s’isoleront les 8 et 9 juin dans un palace du Québec. Malgré l’éloignement et la peur des violences, les contestataires québécois feront entendre leur voix.

Du quotidien au G7

La leçon du Sommet des Amériques en 2001, qui avait vu le mouvement social québécois encercler les dirigeants continentaux dans l’enceinte de la vieille ville, a porté. Charlevoix, sorte de Riviera bucolique au bord du fleuve St-Laurent, a été préférée pour isoler le conclave de tout gêneur potentiel. A voir la petite chambrée venue s’informer sur les futures manifs, pas sûr que la précaution était nécessaire. «En 2001, le mouvement altermondialiste était en pleine ascension, ce n’est plus le cas aujourd’hui», confirme le sociologue montréalais Marcos Ancelovici.

«Nous craignions que le G7 se réunisse sans soulever d’opposition à Québec, d’où notre initiative», explique Albert, de la Table unitaire (TUG7), l’un des rassemblements créés pour l’occasion. Pour ce jeune quadragénaire, il était impensable de laisser cette «entreprise de légitimation du néolibéralisme» organiser sa «mascarade» à son aise. Trois jours de mobilisations accueilleront donc, dès le jeudi 7 juin, les seconds couteaux du G7 qui logeront dans la capitale québécoise.

En étroite collaboration avec le Regroupement d’éducation populaire en action communautaire (REPAC), les activistes du TUG7 misent sur l’occasion pour «politiser» leurs luttes sectorielles. Restaurants populaires, associations de locataires, collectifs de quartier ou d’appui aux migrants, mais aussi de défense de l’environnement, tous constatent au quotidien les dégâts occasionnés par les politiques néolibérales. «Malgré le matraquage sécuritaire des médias, ce G7 offre une petite chance de mettre en lumière les causes de nos problèmes», espère Albert, attablé dans les locaux du Comité populaire Saint-Jean-Baptiste. Femmes et G7, défense de l’eau, droits des peuples autochtones, ouverture de frontières… les séances d’information et de débat se multiplient à Québec depuis le mois d’avril.

Mais dans ce quartier sauvé par ses habitants dans les années 1970 – d’une autoroute urbaine et de l’extension du quartier d’affaires –, l’ennemi principal se nomme aujourd’hui gentrification. Aux abords d’une vieille ville aux allures européennes, devenue l’un des spots touristiques nord-américains, les coopératives d’habitation chamarrées côtoient de plus en plus d’Airbnb proprets et hors de prix. En deux ans, le nombre de logements mis en location sur la plateforme étasunienne a presque triplé, relève le comité. Une source d’inquiétude supplémentaire pour des populations déjà fragilisées par des années d’austérité budgétaire.

«Bien que discrédité, le néolibéralisme continue de se déployer dans le monde avec des conséquences sur les programmes sociaux, sur les services publics, sur les travailleurs», argumente Vania Wright-Larin, coordinateur du REPAC. Son mouvement, qui allie activisme social et politique, entend «démasquer» ce G7, cénacle des pays les plus puissants, illégitime à gérer les problèmes du monde. «Sous prétexte de régler les problèmes du monde, il n’a jamais fait que les perpétuer au bénéfice du 1% de la population», accuse-t-il.

En ce samedi ensoleillé, l’épicentre du débat est pourtant beaucoup plus prosaïque. La séance vise à fournir aux futurs manifestants des connaissances juridiques et de premier secours. «Nous devons acquérir les bons réflexes pour ne pas céder aux provocations mais aussi pour ne pas provoquer inutilement», ajoute Albert, après nous avoir éconduit de l’agora altermondialiste.

«Une balle entre les deux yeux»

C’est que le sujet est épineux. Le souvenir de 2001 et l’annonce, par le Réseau montréalais de résistance anti-G7 (RRAG7)1, d’une «journée de perturbations» et de «désobéissance civile» le 8 juin prochain à Québec focalisent toute l’attention médiatique. Pas un jour ne s’écoule depuis mars sans qu’un article de presse, un reportage TV n’évoquent les risques de violences et les mesures de sécurité. Mi-mai, le climax était atteint lorsque l’animateur d’un talk show radio très populaire, Jeff Fillion, appelait la police, si un manifestant venait à «faire du grabuge», à lui mettre «une balle entre les deux yeux»!

«Nous subissons une campagne qui terrorise les gens et écrase les débats de fond», regrette Ronald Cameron, ancien dirigeant syndical et membre du conseil d’administration d’Attac-Québec. Face à ce climat de peur qui pourrait décourager les manifestants, le collectif altermondialiste et ses partenaires syndicaux et associatifs2 tentent de recentrer le débat public sur les politiques néolibérales et les inégalités sociales. Deux sujets au cœur de l’appel lancé hier à Montréal avec l’appui d’artistes, de syndicalistes et de personnalités québécoises3

«Sans condamner» les actions de désobéissance civiles prévues le 8 juin, la coalition ne les juge pas adéquates dans le contexte ultrasécuritaire de Québec. Cars à l’appui, elle mobilisera des quatre coins du Québec exclusivement pour le Forum du samedi, qui se tiendra durant douze heures face à l’Assemblée nationale.

Le propos est légèrement mâtiné au REPAC et au TUG7 qui, s’ils n’appellent pas aux perturbations du 8 juin, coorganiseront la manifestation de la veille avec le RRAG7. Des militants montréalais qui trouveront d’ailleurs gîte et couvert grâce à la mobilisation des réseaux communautaires de Québec. «Au REPAC, nous n’organisons que des manifs légales mais nous dénonçons aussi fortement le dispositif sécuritaire absolument disproportionné mis en place aux frais des contribuables et qui altère les droits civils», précise M.  Wright-Larin.

Excès policiers

Un discours que ne renieraient pas Amnesty International et la Ligue des droits et libertés du Québec qui se sont unies à l’approche du sommet pour «mener une mission d’observation des libertés civiles». Avec des inquiétudes légitimes. «Les dispositions telles qu’annoncées démontrent un certain déséquilibre entre le désir de favoriser la liberté d’expression des manifestants pacifiques et le souci d’assurer la sécurité des lieux», écrivent les deux ONG.

A la mi-avril, elles appelaient «les ministres de la Sécurité publique fédéral et provincial à prendre dès maintenant les mesures nécessaires pour éviter que les violations de droits qui ont eu lieu lors des précédents sommets au Canada ne se reproduisent». Et de rappeler que le raout du G20 à Toronto en 2010 s’était soldé par «plus de 1100 arrestations». «Or, seulement 6% des personnes arrêtées ont fait l’objet d’accusation, ce qui démontre que ces arrestations étaient injustifiées et visaient plutôt à empêcher les personnes de participer aux manifestations futures.»

La prise de position est demeurée à ce jour sans réaction.

NOTES

1. antig7.org/fr (composée notamment par Convergences des luttes anticapitalistes, CLAC, mouvement libertaire héritier des luttes contre la Zone de libre échange des Amériques)
2. Coalition pour un Forum alternatif au G7 (http://cfag7.org)
3. 3Nous reviendrons sur cet appel dans une prochaine édition.

«Les contestations sont revenues dans des cadres nationaux»

JEUDI 24 MAI 2018 
BENITO PEREZ

Quelle est la nature de la contestation du G7 au Québec?

Marcos Ancelovici: Elle est diverse. A Montréal, elle s’appuie sur l’extrême gauche anticapitaliste, au sein du Réseau de résistance anti-G7 (RRAG7), dans une logique de démocratie directe autonome. A Québec, la mobilisation tourne autour du REPAC, un réseau d’organisations qu’on appelle ici «communautaires», actives dans la revendication et/ou l’aide sociales. Celles-ci peuvent également développer des discours radicaux mais plus prudents.

D’autres secteurs, comme les syndicats ou les étudiants, paraissent très en retrait. Comment l’expliquer?

Les syndicats, s’ils ne peuvent être absents d’un tel mouvement, n’en font pas une priorité. Leur agenda est plus terre à terre. Du côté étudiant, quelques groupes politisés, notamment en sciences humaines à Montréal, se mobilisent. Mais les campus ont l’air assez indifférents. Du moins du côté des organisations. Et comme ce ne sont pas les ONG qui mettent du monde dans la rue, ça laisse augurer une participation assez modeste. Cela dit, attendons de voir: les sociologues sont très mauvais à prédire les mobilisations!

Le Sommet des Amériques en 2001 avait pourtant mobilisé des dizaines de milliers de contestataires. Que s’est-il passé?

Cette rencontre arrivait dans une vague de transnationalisation des luttes, où les mobilisations – Seattle, Prague, Québec, Gênes – se répondaient les unes aux autres. Aujourd’hui les contestations sont revenues dans des cadres nationaux, voire régionaux, notamment sous l’effet de la crise financière de 2008 et des politiques d’austérité qui ont rendu plus aigus les problèmes sociaux immédiats. En se recentrant sur des sujets concrets, on a un peu perdu la vision englobante développée par les altermondialistes. A part la lutte contre l’évasion fiscale, les revendications internationales se sont estompées. Le thème de la mondialisation du commerce a presque disparu du débat public, au Québec comme ailleurs.

Ainsi la montée des inégalités n’est plus associée aux mouvements financiers internationaux mais aux politiques gouvernementales d’austérité. Cela ne veut pas dire que les phénomènes transnationaux soient moins importants: c’est affaire de perception, de cadrage du débat.

Et puis les questions de sécurité et de guerre sont devenues omniprésentes. Si le Sommet du G7 remplit les journaux, c’est uniquement en termes sécuritaires. Par sensationnalisme, on a réduit tout un mouvement social à cette seule dimension. Avec pour conséquence d’effrayer les gens qui pourraient être tentés de manifester. A la décharge des médias, relevons que le dispositif policier est tellement impressionnant qu’il suggère à lui seul l’avènement de graves violences.

Plus largement, la question sociale est peu présente en ce moment au Québec. Le «Printemps érable» (mouvement étudiant contre la hausse des taxes universitaires) et les luttes pour les services publics du début de la décennie n’ont-ils laissé aucun héritage?

La grève de 2012 a été le plus important mouvement social de l’histoire du Québec. Son héritage s’est pourtant rapidement dilué. En premier lieu car le Parti québécois1, à peine victorieux des élections anticipées de septembre 2012, a lancé le projet de Charte des valeurs québécoises. Cela a eu pour effet de mettre le focus des politiques et des médias sur la laïcité, notamment, sur le port du voile. Les préoccupations identitaires ont occulté les questions d’éducation, d’avenir des services publics, de néolibéralisme, des inégalités que la grève avait fait surgir.

En second lieu, le mouvement étudiant, pourtant victorieux, est entré en crise dès 2013. Des organisations ont disparu, d’autres sont moribondes.

Cela dit, l’effet du Printemps érable est bien réel. Ses participants ont été profondément marqués par leur expérience, on les retrouve aujourd’hui dans les syndicats, les groupes communautaires et les partis de gauche comme Québec Solidaire.

Voit-on des signes d’une réaction face à cette invisibilisation de la question sociale?

Pas vraiment. Le débat identitaire a coupé de façon transversale la gauche québécoise. Une partie est hostile à toute intrusion du religieux dans l’espace public, tandis que l’autre se montre beaucoup plus flexible à l’égard de la présence d’autres cultures. A gauche aussi, la question du voile cristallise le conflit, en particulier son port au sein de la fonction publique. La tension est telle que le travail de mobilisation en est entravé et rend très difficile la constitution d’un front commun face au néolibéralisme.

NOTES

1. Parti souverainiste voire indépendantiste, le PQ était situé au centre-gauche dans les années 1970-1980. Bâtisseur de l’Etat social québécois, il s’est depuis fortement recentré.

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