La société civile colombienne propose un autre schéma de paix en Colombie

 
Il s’agit là d’un intense processus participatif initié à partir de la base : il implique les dirigeants des communautés et cinq maires d’origine africaine des municipalités de Padilla, Guachene, Puerto Tejada, Villa Rica et Caloto , soit une population en total de plus de 100.000 habitants.
Avec l’appui des promoteurs de SUIPPCOL, une trentaine de délégué-e-s participent depuis quelques mois dans un processus collectif d’identification des principaux problèmes sociaux, afin de chercher des propositions constructives ou des initiatives sociales de paix, construites par consensus.
Les participants espèrent pouvoir élaborer un agenda commun, qui devrait promouvoir une ambiance de paix dans la région et qui faciliterait une meilleure capacité de négociation pour obtenir les ressources permettant de mener à bien ces programmes.
 “Nous rêvons d’un nouveau modèle de municipalité participative”
“Notre municipalité vient d’être créée. Et nous souhaitons définir fondamentalement un nouveau modèle de gestion”, explique Jesús Elber González Panguero, le maire récemment élu.
González Panguero a participé à l’une de ces rencontres d’autorités locales de la région, tenue à mi-septembre 2008 à la Maison de la Culture de la municipalité de Padilla (à 50 km au sud-est de Cali. 
« Nous affrontons le défi de partir de zéro, ce qui est en même temps une grande occasion pour pouvoir rêver du modèle de municipalité que nous voulons construire », estime González, chimiste, analyste chevronné et spécialiste en gestion de l’environnement. 
Tout cela, “dans une région très touchée par le conflit interne”. Non seulement à cause de la présence proche de certains acteurs de la guerre, mais aussi “à cause des problèmes structurels profonds dont nous souffrons”. 
Le drame de la monoculture de la canne à sucre
Plus de 85 % du territoire de cette zone se trouve aux mains de grandes entreprises, spécialisées dans la monoculture de la canne à sucre: une mer verte s’étendant sur plusieurs centaines de kilomètres et où l’on trouve, ça et là, de petits îlots urbains, des anciens villages. 
“Ce type d’économie rompt totalement avec la vision ancestrale de nos communautés noires, pour lesquelles la production autosuffisante et le respect rigoureux de l’environnement sont deux prémisses de base”, relève González, dont la mairie regroupe 16.500 habitants. Cette tendance à la concentration de la terre, insiste-il, s’est accentuée ces dernières années.
 « Les plans du gouvernement central cherchent à intensifier la production d’agro-combustibles, ce qui exige une concentration toujours accrue de la terre… Et où trouvera-t-on cette terre, sinon parmi le peu qui reste encore à nos paysans ? », demande le dirigeant de Guachene. 
Fin septembre, dans les départements du Cauca et de Valle, les travailleurs de l’industrie de la canne à sucre -appelés populairement les “coupeurs de canne”- se sont mis en grève. Ce mouvement, qui a duré plusieurs jours, avec une forte répression, exigeait que les entreprises sucrières et l’Etat colombien respectent les droits sociaux des travailleurs. 
Face à ces problèmes fondamentaux, “la réflexion commune pour élaborer une proposition productive et sociale, valable pour toute notre région, a une valeur essentielle, souligne González Panguero.
En élaborant cet agenda consensuel, « nous anticipons la définition d’un modèle de vie. Et nous adressons un message aux autorités nationales et à la coopération internationale, à savoir que nous voulons construire quelque chose de commun qui soit un apport pour la nation ».
 Une nouvelle gouvernabilité construite d’en bas
“Le problème essentiel, c’est le manque d’eau”, affirme Roller Escobar Gómez, jeune dirigeant de l’Union des organisations africaines du Cauca (UOAFRO) et responsable du développement des projets dans la municipalité voisine de Villa Rica.
« Il y aurait de l’eau, avec le Río Palo », explique Escobar. Mais la monoculture de la canne est si extensive que les canaux et les affluents s’assèchent. « Bien que nous ayons une proposition de puits familiaux (6 à 8 mètres de profondeur), les entreprises de canne ont installé des moto bombes pour extraire de l’eau à 250 mètres de profondeur, ce qui menace la viabilité de notre projet », souligne-t-il.
La situation devient dramatique, selon les habitants. Durant une semaine ou parfois même deux semaines, ce liquide vital vient à manquer. Ou alors il faut le payer à des prix européens.
“La colère s’exprime très clairement. Ces derniers mois, de nombreuses protestations et grèves pour l’eau ont paralysé nos municipalités”, explique le jeune dirigeant. Il insiste sur le fait que ce thème constitue un point essentiel de l’agenda en cours d’élaboration, débattu dans des séminaires comme celui de septembre à Padilla.
Derrière un “programme social commun”, il faut relever que ce concept exprime “un cadre concret de paix énoncé par les organisations de base et les mouvements sociaux. Une nouvelle forme de gouvernabilité d’en bas”.
La paix “ne se réduit pas pour nous à une rencontre entre les autorités et les guérilleros, ni à une négociation entre les différents acteurs du conflit”, mais inclut la construction d’alternatives de développement sur des bases communautaires. 
Car même si “un dialogue politique peut être important, ce sont les gens d’en bas qui souffrent la faim, la soif et les attaques permanentes des mégaprojets”, souligne Escobar Gómez. “Notre vision de la paix consiste à trouver de réelles alternatives productives et sociales, et de développement intégral”.
D’où “l’importance particulière de cet accompagnement que nous donne le Programme suisse pour la construction de la paix en Colombie, qui naît et se nourrit de la société civile helvétique elle-même. Et c’est un apport énorme, vu qu’il témoigne d’une coopération respectueuse de ses partenaires, qui ne leur impose rien, qui pratique l’écoute mutuelle et permanente et nous conseille dans l’apprentissage de la construction en commun”, conclut-il.  
*Sergio Ferrari, de retour de Colombie
Traduction Hans Peter Renk
Collaboration de presse de E-CHANGER
 
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Une proposition pour la paix 
SUIPPCOL est né en 2001, lors de l’ouverture de négociations entre le gouvernement colombien et la guérilla pour chercher un accord négocié. Un groupe d’ONG connues et d’associations de solidarité suisses travaillant en Colombie proposèrent alors de soutenir la participation des organisations sociales de base à une perspective de paix. L’hypothèse principale était – et continue d’être – qu’il existe de meilleures possibilités d’aboutir à une paix effective, stable et durable, avec la participation réelle et forte de la société civile à ces processus. (Sergio Ferrari)
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SUIPPCOL en bref
 SUIPPCOL se trouve actuellement dans sa troisième phase, qui se terminera en 2001. Elle regroupe dix associations suisses de développement et des droits humains: Caritas-Suisse, l’Action de Carême et l’EPER, Swissaid, Amnesty International-Section suisse et le Groupe de travail Suisse-Colombie. Lors de cette troisième phase, s’y sont ajoutées Terre des Hommes Suisse, les Brigades de paix, E-Changer et la Mission de Bethléem Immensee.
Celles-ci maintiennent leurs propres projets en Colombie et établissent des synergies avec SUIPPCOL. De plus, elles co-financent une part du Budget, soutenu aussi par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), c’est-à-dire le Ministère suisse des affaires étrangères.
SUIPPCOL priorise l’appui aux organisations, aux initiatives et aux processus locaux ou régionaux, essentiellement à la campagne, et situés dans les zones de conflit. La mise en oeuvre du programme  est assurée par une équipe de travail, avec du personnel colombien, basée à Bogotá (Sergio Ferrari)
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