L’autre Pape, l’autre Boff

Boff considère ce dernier comme un homme «libre d’esprit», il lui attribue certaines vertus de François d’Assise et il souligne son «splendide sauvetage de la raison cordiale». Pour Boff, le pontife du Vatican est «une figure fascinante qui atteint le cœur des chrétiens et d’autres personnes».

Le legs majeur de sa visite au Brésil fut sa propre personne, souligne Boff dans une interview exclusive, juste après la fin du périple pontifical. «Il incarne le plus noble des dirigeants, le dirigeant serviteur qui ne fait pas référence à lui-même, mais aux autres, avec amour et attention, évoquant l’espérance et la confiance dans le futur…».
 
Dans sa réflexion Boff – qui avait été durement condamné «à un silence obséquieux» en 1985 par le Vatican pour avoir été l’un des fondateurs de la théologie de la libération – a relevé ce que sont pour lui les aspects essentiels de ce premier contact pontifical avec l’Amérique latine.
 
Le Pape a présenté une «vision humaniste de la politique, de l’économie, de l’éradication de la pauvreté. Il a critiqué durement le système financier… il a défini la démocratie comme ‘humilité sociale’, il a revendiqué le droit des jeunes à être écoutés», énumère Boff. Et de souligner l’apport du pontife sur la question de l’éthique, «fondée sur la dignité transcendante de la personne», exprimée ainsi dans un «discours récurrent».
 
Boff considère néanmoins que durant ce séjour brésilien, «le champ religieux fut le plus fécond et le plus direct». Le Pape «a réservé son discours le plus sévère aux évêques et aux cardinaux latino-américains du CELAM (ndr : Conseil Episcopal latino-américain) . Il a reconnu que l’Eglise – et lui-même – était retardée dans la réforme de ses structures… Il a critiqué la ‘psychologie princière’ de quelques membres de la hiérarchie».
 
Dans son dialogue, Boff relève aussi les deux axes principaux de la pastorale énoncée par le nouveau Pape: «la proximité avec le peuple… et la rencontre marquée par l’amour et la tendresse…». Celui-ci a même parlé «de la révolution de la tendresse, chose qu’il a démontré vivre personnellement».
 
Depuis le jour même de l’élection du cardinal argentin Jorge Bergoglio à la papauté, Leonardo Boff – qui, lassé des mauvais traitements infligés par le Vatican, avait quitté le sacerdoce en 1992 – a réorienté brusquement sa voix respectée vers la défense du nouveau Pontife. Il ne s’est jamais impliqué dans le débat sur le rôle joué par le cardinal et la hiérarchie catholique argentine durant la dernière dictature militaire.
 
Il y a 6 ans, en mai 2007, à la veille de la 5e conférence générale de l’épiscopat latino-américain et caraïbe à Aparecida, Brésil – conférence où Bergoglio a joué un rôle très important -, Boff avait qualifié une bonne partie de la hiérarchie catholique comme «des bureaucrates du sacré». Une manière d’exprimer sa lecture alors sceptique de la situation générale de l’Eglise, l’incapacité structurelle de celle-ci à changer, sa rigidité vis-à-vis des grands thèmes et des grands défis de l’humanité, en particulier l’écologie et la réforme institutionnelle interne.
 
Les deux papes précédents – Jean-Paul II et Benoît XVI – furent pour Boff et pour de nombreux théologiens, principalement latino-américains, les principaux responsables du discrédit de la théologie de la libération, de ses promoteurs et de ses propositions organisationnelles, notamment des communautés ecclésiales de base, si largement développées dans tout le continent.
 
Plus particulièrement, le cardinal Josef Ratzinger – alors préfet de la ‘Congrégation pour la doctrine de la foi’ (nouveau nom donné, après le concile Vatican II, au redoutable et redouté ‘Saint Office de l’Inquisition’) , avant d’accéder au trône pontifical sous le nom de Benoît XVI – avait été l’un des responsables directs de la sanction vaticane contre Boff.
 
Néanmoins, l’élection du premier Pape latino-américain en mars 2013 a constitué un véritable choc d’espoir et le point de départ d’un changement radical dans la perception et l’évaluation du théologien brésilien de la libération. Il n’a pas caché son désir explicite d’être reçu par François Ier, auquel il a fait parvenir, durant le séjour de celui-ci à Rio de Janeiro, un exemplaire de son dernier livre au titre suggestif, «François d’Assise et François de Rome: un nouveau printemps dans l’Eglise?»
 
Des signes qui indiqueraient l’ouverture d’un processus prudent vers l’éventuelle «normalisation» des relations entre Boff – en tant que tête visible de ce secteur discriminé de l’Eglise populaire – et le pouvoir hiérarchique romain.
Bien que le dénouement de ce processus de rapprochement reste incertain, les signes indicatifs – renforcés durant le voyage du Pape Francisco au Brésil, sont significatifs. Premièrement, la volonté plus ou moins explicite de Boff et de François d’avancer dans le processus de rencontre. L’existence d’importants canaux qui facilitent la communication quasi directe entre ces deux personnalités. Sans sous-estimer, en plus, le nouveau discours de Boff qui, durant ces quatre derniers mois, n’a pas cessé une seule semaine d’encenser les vertus du nouveau Pape. Chez lequel le théologien brésilien croit percevoir la possibilité d’un changement au sein d’une Eglise jusqu’ici dirigée quasi-exclusivement par les «bureaucrates du sacré».

Sergio FERRARI,
E-CHANGER et Le Courrier

Traduction : Hans-Peter Renk, collaboration E-CHANGER
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Commentaire
 
L’ espoir d’un aveu

Par Sergio Ferrari
 
Pour plusieurs théologiens tel Leonardo Boff, les gestes de simplicité du nouveau pape sont la preuve la
plus convaincante du changement en cours au sein de l’Eglise. A propos des signes d’ouverture
envers la théologie de la libération, le poids d’éléments personnels ne doit néanmoins pas être sous-
estimé dans le cas du Prix Nobel alternatif 2001. Âgé de bientôt 75 ans, Boff n’a jamais abandonné ni
sa foi profonde, ni son appartenance à l’Eglise. Il est très probable qu’il souhaite enfin se mettre en
paix avec l’institution dans laquelle il a grandi et milité. Que celle-ci se réconcilie avec lui constituerait
l’aveu d’une erreur institutionnelle. Pas seulement à l’égard de l’ancien prêtre brésilien,
condamné au silence en 1985, mais envers la théologie de la libération elle-même.
 
D’autres tenants notables de l’Eglise des pauvres partagent l’enthousiasme de Boff, totalement ou en partie.
Le Salvadorien Jon Sobrino, attentif néanmoins à la position que prendra François face au capitalisme international, écrivait en juin «sentir le vent du changement, celui que l’on respirait à l’époque de Vatican II.» Le prêtre péruvien Gustavo Gutierrez partage cet espoir. En 2004, il cosignait avec l’archevêque allemand Gerhard L. Müller un ouvrage sur la pauvreté. Lequel
déclarait récemment qu’à son avis,«le mouvement de la théologie de la libération doit être considéré comme l’un des courants les plu significatifs de la théologie catholique du XXe siècle». Il est l’actuel préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
 
Traduction Dominique Hartmann, LE COURRIER
 
 

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