Le FSLN à nouveau au gouvernement… mais pas au pouvoir

Une nouvelle étape… oui, mais laquelle ?

Pour évaluer la situation nicaraguayenne depuis 6 mois, la question basique est de savoir s’il s’agit d’un gouvernement révolutionnaire (semblable au sandinisme des années 1980) ou d’une expérience politique dans le cadre d’une démocratie « normale ». Une fois la réponse donnée, suit alors l’analyse de ce que l’on peut attendre du gouvernement FSLN actuel.
Le journaliste William Grigsby, directeur de la Radio « La Primerísima », ne laisse place à aucun doute, dans sa réflexion sur la conjoncture présente du Nicaragua : « Aujourd’hui, le rapport de force politique, permettant de penser à mener une révolution dans le style des années 1980, n’existe pas. Néanmoins, il y une opportunité en or pour jeter les bases d’une sortie de la profonde misère que souffre notre pays ».
« Je n’attends pas une révolution, mais que nous ayons un bon gouvernement, qui s’attaque aux causes et aux conséquences de la misère et qui puisse articuler un programme de développement national », souligne Grigsby, l’un des meilleurs commentateurs politiques nicaraguayens. Son émission quotidienne, « Sin Fronteras » (entre 22 h et 23 h, la nuit) constitue l’une des rares références sérieuses en matière politique, dans une réalité où prédominent des médias superficiels et sensationnalistes.
 
Ce qui a été fait et ce qui reste à faire

L’une des premières mesures prises par Daniel Ortega fut de décréter la gratuité de l’éducation et de la santé, une mesure d’une haute valeur symbolique dans un pays où, durant les 16 dernières années, la privatisation d’une bonne partie des services publiques a fait exploser la brèche sociale.
Comme l’indique un bilan des 100 premiers jours du nouveau gouvernement, élaboré par l’Institut pour le développement et la démocratie (IPADE), les économies budgétaires et la remise de la dette envers la BID (Banque inter-américaine de développement) ont permis d’augmenter de 3,21 % le budget 2007, par rapport au premier projet présenté par le président sortant Enrique Bolaños. 18 % de cette augmentation fut attribué à la santé, 54 % à l’éducation et 24 % au « Bon productif alimentaire », trois secteurs essentiels de la politique sociale prévue par le FSLN.
Si la lutte contre la pauvreté fut l’une des axes principaux du programme électoral sandiniste, le programme « Faim zéro » – qui reprend le nom d’un plan similaire mis en œuvre au Brésil par Lula – apparaît comme la proposition essentielle de ce combat à la campagne.
Avec un budget annuel de 30 millions de dollars, le programme « Faim zéro » se fixe pour objectif de toucher 15.000 familles chaque année (soit 75.000 en 5 ans), pour un montant de 2.000 dollars, avec l’attribution d’une vache et de petit bétail, des semences et d’autres moyens permettant la relance de la production paysanne.
Pour le sociologue Orlando Nuñez Soto, principal concepteur de ce programme, une idée essentiel du sandinisme version 2007 « consiste à passer d’un Etat reposant sur une synergie gouvernement + entreprises privées à un autre Etat reposant sur la synergie gouvernement + associations. Pour y arriver, la lutte ne sera pas seulement politique, mais aussi économique. Il faudra s’organiser aussi bien politiquement qu’économiquement, y compris en profitant des règles imposées ces dernières années par la droite».
Cette réflexion explique l’un des deux propositions centrales, sur le plan organisationnel, faites par le gouvernement pour les cinq prochaines années : la relance des associations de petits et moyens producteurs (2), afin de recréer un sujet économique qui avait pratiquement disparu après 15 ans de politiques néo-libérales, destructrices pour la petite production.
L’autre proposition, qui se situe davantage sur le terrain politique, est la constitution des « Conseils du pouvoir citoyen » (3), implantés dans tout le pays, en partant des quartiers et des régions, en passant par les municipalités et les départements, pour aboutir à une structure nationale.
La consigne « Le peuple est le président » et la démocratie directe impulsée par le sandinisme « vont bien au-delà d’un simple discours politique. C’est un nouveau schéma d’organisation, basé sur les lois de participation votées par les précédents gouvernements », explique Harold Urbina, collaborateur au Service des droits de l’homme.
Ce jeune militant défend la cohérence entre objectifs et moyens participatifs. Il s’agit de récréer des formes de participation au niveau national pour pouvoir appliquer les trois mesures immédiates du programme du FSLN : « le bien-être des citoyens, à partir de la relance des services publics qui avaient été démantelés et privatisés ; la réaction économique et productive ; les transformations sociales pour combattre la pauvreté ». Pour cette raison, souligne Urbina, il est important d’avoir en plus une nouvelle logique en matière de politique et de coopération internationale, « sur la base du juste commerce, de l’égalité entre nations et du respect. Et c’est précisément pour cette raison que nous plaidons en faveur de l’Alternative bolivarienne pour les peuiples des Amériques (ALBA), impulsée par le Venezuela ».
La création de la Banque de développement (BANDES) avec 10 millions de dollars des capitaux vénézueliens, afin d’aider la paysannerie, et l’appui considérable du Venezuela en pétrole pour répondre à l’une des pires crises énergétiques connues au Nicaragua indiquent les résultats pragmatiques obtenus avec cette nouvelle référence internationale en cours. Caracas a promis de financer 50 % de la facture pétrolière, afin de libérer des fonds qui seront affectés à des projets sociaux.
 
Une opposition aux aguets

La victoire électorale du FSLN, le 5 novembre 2006, fut serrée. Bien que les 38 % des suffrages obtenus par son candidat à la présidence lui aient permis de triompher, sa situation minoritaire au Parlement ne lui garantit pas le calme : les deux fractions du libéralisme –droite- ont en effet obtenu 52 % des suffrages (4) et la dissidence sandiniste 9 % (5).
Durant ces 6 premiers mois de gouvernement, les critiques quotidiennes de l’opposition ont haussé le ton. Pratiquement, aucune annonce ou activité gouvernementale ne se passe sans enregistrer de fortes critiques. Ce n’est pas un secret que ces trois secteurs mènent des discussions pour conclure des accords tactiques contre le FSLN, en impulsant une « alliance anti-Ortega ».
Malgré l’effort initial « moralisant » de Daniel Ortega – la réduction des méga-salaires du président et des ministres-, un cas fracassant d’escroquerie à l’encontre d’investisseurs nord-américains dans le secteur touristique fut révélé fin mai 2007. Selon la revue Envio (publiée par l’Université centro-américaine), « l’auteur de cette escroquerie est l’ex-maire et ex-député du FSLN, Gerardo Miranda, aujourd’hui consul du Nicaragua à Liberia (localité au nord du Costa Rica) et déjà dénoncé pour corruption dans sa gestion municipale… »
Ce scandale, qui fait actuellement l’objet d’une enquête judiciaire, a mobilisé non seulement l’opposition politique, mais aussi des centres d’études, certains réseaux et plateformes d’organisations non-gouvernementales (ONG) etc.
La Coordination civile, née en 1998 après l’ouragan « Mitch » qui avait dévasté le pays – très critique envers les deux précédents gouvernements libéraux – est devenue, dans les premiers mois de l’année 2007, le porte-parole de l’actuelle critique anti-sandiniste émanant de certains secteurs de la société civile (elle regroupe 600 organisations).
Elle continue à dénoncer toute forme de corruption et relève le manque de clarté du FSLN concernant les négociations menées avec le Fonds monétaire international et les institutions financières.
Le manque d’information sur certains secteurs et certains politiques gouvernementales, ainsi que les changements répétés de ministres (spécialement les femmes) durant les premiers mois empêchent la consolidation du gouvernement de Daniel Ortega. Un constat fait par l’IPADE dans un document sur le bilan des premiers mois : « L’absence d’information de la parti du gouvernement génère un état d’incertitude et une perception négative parmi les citoyen-nes… »
D’autre part, certains aspects « formels » de la vie politique – comme la décision prise par Daniel Ortega de ne pas habiter l’ancienne résidence présidentielle pour des motifs d’économies et d’exercer ses fonctions au siège de son parti, irritent l’opposition. Celle-ci critique en outre le rôle joué dans l’administration par Rosario Murillo (6), l’épouse de Daniel Ortega, nommée secrétaire du Conseil de la Communication et de la Citoyenneté et devenue par conséquent la principale porte-parole gouvernementale, avec son mari.
 
Les défis du futur

Deux prochaines échéances politiques se profilent à l’horizon. La première, en janvier 2008, au terme de la prorogation des décisions sur les réformes constitutionnelles, un débat national animé se réouvrira, vu que l’opposition souhaite diminuer les pouvoirs de l’exécutif. La seconde, ce sont les élections municipales de novembre 2008, que l’opposition tentera de transformer en plébiscite contre le FSLN.
Dans cette perspective, le sandinisme doit affronter des défis importants dans l’année et demie à venir. Il doit assurer une bonne gestion gouvernementale, en assumant la responsabilité d’un Etat, littéralement démantelé par les précédents gouvernements. Ils doit répondre aux demandes-clé émanant des secteurs les plus marginalisés (paysans et urbains), concrétiser une relance économique effective, résoudre la crise énergique aiguê – qui s’est traduite en juin 2007 par des coupures de courant, atteignant parfois 8 à 10 heures par jour – et trouver des pistes pour la création de nouveaux emplois , une promesse électorale mobilisatrice pour le scrutin de novembre 2006.
D’autre part, et parallèlement, de nombreuses énergies devront être affectées à la mise en œuvre du nouveau concept de participation citoyenne – les Conseils – , vu avec méfiance par les couches moyennes et par l’opposition (politique et sociale). Une piste participative intéressante, mais dont le succès ou l’échec dépendra essentiellement de la capacité des militants sandinistes à la comprendre comme une opportunité et non pas comme une source de privilèges verticalistes et autoritaires.
Il sera tout aussi important pour le gouvernement de se doter d’une pédagogie de communication, présentement absente, qui touche la population, éclaire les doutes, mobilise et enthousiasme. Dans une société sans euphorie, où les dégâts provoqués par 3 gouvernements néo-libéraux se perçoivent tant dans la conscience que dans la vie quotidienne.
Car les années 1980, leur euphorie participative et la capacité – quasi-automatique – de convocation du sandinisme alors au pouvoir sont bien loin. Et aujourd’hui le FSLN est « seulement » au gouvernement…

*Sergio Ferrari, de retour de Nicaragua
Trad. H.P.Renk, collaboration E-CHANGER + Le Courrier/ Suisse

1.      trois pour chacune des tendances historiques du FSLN : « terceristes » (Daniel Ortega Saavedra, Humberto Ortega Saavedra, Victor Tirado Lopez), « guerre populaire prolongée » (Henry Ruiz, alias « Modesto », Tomás Borge Martinez, Bayardo Arce Castaño), « prolétaire » (Jaime Wheelock Román, Carlos Nuñez Tellez, Luis Carrión Cruz).
2.      Sous le premier gouvernement sandiniste (1979-1990), avait été créée l’Union nationale des agriculteurs et éleveurs (UNAG), pour organiser ces secteurs de petits et moyens producteurs.
3.      Les comités de défense sandiniste (CDS), nés durant la guerre de libération en 1978/79 et transformés à la fin du gouvernement sandiniste en « Mouvement communal », avaient disparu du champ politique avec le retour de la droite au pouvoir et la fin du processus révolutionnaire.
4.      Les libéraux se sont divisés entre les partisans d’Arnoldo Alemán, successeur de Violeta de Chamorro et condamné pour corruption, et ceux d’Enrique Bolaños, le président sortant.
5.      Alliance Mouvement rénovateur sandiniste : composé des différentes oppositions « anti-daniélistes », sorties ou expulsées du FSLN. Après le décès inopiné de son candidat à la présidence, Herty Lewites (ancien maire de Managua), son ticket présidentiel était constitué de Edmundo Jarquín (président) et du chanteur Carlos Mejía Godoy (vice-présidence).
6.      Combinant depuis quelques années un goût prolongé pour l’astrologie et une dévotion que l’on ne lui avait pas connue auparavant, Rosario Murillo a fortement œuvré pour la réconciliation entre le FSLN « daniélisé » et l’archevêque de Managua, Mgr Miguel Obando y Bravo, ancien adversaire des sandinistes dans les années 1980. L’un des résultats de cette alliance est l’abolition de l’avortement thérapeutique (introduit sous le gouvernement du général José Zelaya, à la fin du 19e siècle) par une alliance plus que douteuse à l’Assemblée nationale, à la fin de la précédente législature, entre les partis de droite et le FSLN…

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