« Le Venezuela est en voie d’en finir avec la polarisation »

 – Quel est le problème principal ou celui qui semble le plus constant en matière de contrôle des droits humains au Venezuela ?
R. : Tout ce qui concerne la pauvreté. Etre pauvre, cela ne signifie pas seulement se trouver dans les chiffres rouges. C’est particulièrement ne pas pouvoir exercer concrètement ses droits. Cela se produit lorsqu’une personne n’a pas droit à un logement décent, n’a pas l’eau potable, n’accède pas à l’éducation ou à la santé, ou se trouve sans travail. Voilà le principal problème en matière de droits humains, au Venezuela et en Amérique latine.

– Cela implique une vision large du concept de droits humains, où l’aspect social a une signification très importante…
R. : Oui.

– Cela implique-t-il aussi la dénonciation des actes de corruption ?
R : Pas spécifiquement. C’est une tâche de l’inspection générale des finances de la République.

Frictions politiques

– Que se passe-t-il en matière de droits politiques ?
R. : Mon pays vit tout un processus de changements, où surgissent des positions divergentes. Cela génère un climat de friction permanente qui rend difficile la compréhension des événements réels. Ce climat rend difficile l’action naturelle de l’Etat et de la société. Il n’est pas facile de dialoguer dans de tels niveaux de polarisation politiques.

– L’opposition parlementaire s’est auto-exclue de la vie institutionnelle en boycottant les dernières élections législatives de 2005. Dans quelle mesure le gouvernement se donne-t-il les moyens pour tenter d’écouter cette opposition ?
R. : Des responsables de l’opposition viennent constamment à la « Défense du peuple ». Nous les recevons, comme nous le faisons avec les représentants du gouvernement, et nous tentons de susciter le dialogue. Tout cela se fait un peu discrètement, de manière subreptice. C’est le début d’un processus de dialogue qui devra se tenir prochainement. Et c’est une première….

– Cela signifie-t-il un changement d’attitude de la part de l’opposition ?
R. : L’opposition s’était auto-exclue des dernières élections législatives. Une partie d’entre elle a exprimé son désaccord par rapport à cette option de boycott, elle a fait son autocritique en admettant s’être trompée. Certains secteurs vont participer y compris à la consultation sur la réforme de la Constitution. Mais il existe un petit secteur– disposant d’une fort accès aux médias – qui n’y participera pas.

– Comment caractérisez-vous aujourd’hui l’opposition ?
R. : Les partis politiques de l’opposition sont aujourd’hui très faibles. Souvent, ils sont les otages d’intérêts qui exercent des pressions sur eux et leur imposent une ligne politique. Il est nécessaire que les partis se libèrent de ces entraves et comprennent qu’ils doivent exprimer leur opposition par la voie électorale et présenter leur opinion dans les organes gouvernementaux, les pouvoirs législatifs et municipaux. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui l’opposition dispose d’un grand nombre de mairies, de conseillers et de députés régionaux.

Dialogue et socialisme « à la vénézuélienne »

– Face aux grands défis de rouvrir les canaux du dialogue, la « Défense du peuple » est-elle crédible sur le plan national ?
R : Un secteur de l’opposition a tenté de discréditer cette magistrature, comme du reste toutes les autres instances de l’Etat. Mais cette attitude est en baisse. Il existe une reconnaissance croissante de l’Etat et de l’institutionnalité, fruit des multiples élections effectuées durant ces neuf dernières années (avec la présence de missions internationales d’observation et avec une transparence suffisante, pour que les résultats soient acceptés).

– Le gouvernement reconnaît-il que cette polarisation politique au Venezuela est stratégiquement ingérable ?
R. : Sans aucun doute. Le gouvernement a conscience que la société ne peut vivre dans un état de tension constante. Néanmoins, il est suffisamment intelligent pour comprendre qu’une partie de cette confrontation est impulsée par des secteurs radicaux, de l’extérieur, par des groupes patronaux, avec des intérêts clairs… Et bien que la réalité implique des frictions, ces dernières sont aujourd’hui moindres.

– Comment définiriez-vous en quelques mots le concept de la société que tente aujourd’hui de mettre en œuvre le Venezuela ?
R. : Il existe un engagement non-négociable envers la démocratie et les droits humains. Nous construisons une société, basée sur la prémisse du « socialisme du XXIe siècle ». Celui-ci s’inspire de la pensée de Simón Bolívar, de l’Evangile de Jésus de Nazareth et des thèses développées par les penseurs latino-américains. Cela n’implique pas de copier les modèles qu’ont connu les anciens pays socialistes. C’est un socialisme « à la vénézuélienne ».

L’Amérique latine et les droits humains

– Durant de nombreuses années, jusqu’à fin 2006, vous avez présidé la Fédération ibéro-américaine des ombudsman (FIO), devenant ainsi un expert en matière de droits humains. Sur un continent qui, il y a 25 ans, connaissait les coups d’Etat militaire, les dictatures, la torture, les disparitions. Quelle est votre évaluation actuelle ?
R. : Notre continent vit une réalité en clair-obscur. Sans aucun doute, le droit à la vie est mieux garanti aujourd’hui. Nous vivons un moment où l’état de droit permet de protéger la vie, de dénoncer la torture, etc. Mais en même temps il existe des situations nouvelles et préoccupantes. Par exemple : la question de l’environnement est aujourd’hui primordiale, alors qu’elle ne l’était pas auparavant. Nous savons que le réchauffement climatique affecte gravement toute la planète, mais ce sont les pays pauvres qui en subissent les pires conséquences. Un autre thème préoccupant : la désintégration des familles, due aux vagues migratoires engendrée par l’actuel modèle de globalisation économique, qui prédomine à l’échelle mondiale. Ce sont nos nouvelles préoccupations, même si nous avons avancé sensiblement en matière de participation démocratique et de droit civils.

*Propos recueillis par Sergio FerrariTraduction H.P.RenkCollaboration journal Le Courrier, Suisse et E-CHANGER

1) Lors du coup d’Etat du 11 avril 2002, organisé par la droite économique et militaire, contre le président Hugo Chávez, Germán Mundaraín figurait sur la liste des personnalités révoquées par décret du (très provisoire) président ad interim Pedro Carmona Ertanga (chef de l’association patronale vénézuélienne).

« Nous facilitons le dialogue entre l’opposition et le gouvernement »

Ce qui est en jeu aujourd’hui au Venezuela, ce n’est pas seulement de construire un Etat démocratique, mais une société démocratique, souligne Germán Mundaraín.
Pour cela, « nous partons de la prémisse que le peuple est capable de diriger son propre destin ». Dans ce sens, l’Etat doit affronter le défi « de rendre le pouvoir au peuple ». Dans ce contexte, parmi les différents pouvoirs, existe aujourd’hui au Venezuela le pouvoir citoyen. La « Défense du peuple » est une institution qui dépend de ce pouvoir et qui est né à un moment de nombreuses difficultés, à une période de grande confrontation : « Néanmoins, nous avons su naviguer dans ces eaux de confrontation, avec la conviction qu’il était nécessaire d’avancer, en sachant que le moment de la conciliation et du dialogue se rapproche. Notre organisme est essentiellement un espace de dialogue, nous facilitons l’échange entre l’opposition et le gouvernement. Ce dialogue n’a pas été rendu public, comme nous le souhaiterions, parce que la prudence conseille de procéder ainsi pour obtenir à moyen terme un résultat efficace », souligne le Défenseur du peuple (Sergio Ferrari)

Le pouvoir citoyen

Selon l’article 273 de la Constitution bolivarienne, le pouvoir citoyen – aussi nommé pouvoir moral – comprend le Défenseur du Peuple, le Procureur général de la République et le Contrôle général de la République. La Défense du peuple trouve son origine dans la figure de l’ombudsman, fondée en Suède en 1809 (ce terme signifie : « Celui qui agit au nom d’un autre », « son représentant »).
Comme le définit Germán Mundaraín, « cette instance est chargée de surveiller, de promouvoir et de défendre les droits humains. La surveillence implique de connaître le fonctionnement des services de l’Etat et leur contrôle respectif. La promotion signifie la divulgation de ces droits. La défense implique le recours aux instances judiciaires, lorsque l’on constate des violations des droits humains. Par exemple, nous avons ouvert des procédures contre tous les Etats du Venezuela (cantons, provinces), car beaucoup de leurs constitutions ne correspondaient ni aux normes internationales en matière de droits humains, ni à la nouvelle Constitution de 1999. Nous avons aussi ouvert des procédures contre de nombreuses chaînes de télévision (privées ou publiques), concernant leur manière d’informer sur la violence durant la grève pétrolière. Et nous nous occupons actuellement du système financier, aussi bien public que privé » (Sergio Ferrari)

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