Les élections nicaraguayennes et leur importance régionale

Les candidats de six forces politiques s’affronteront dimanche 6 novembre, lors des élections présidentielles au Nicaragua. Ce même jour, seront aussi élu-e-s les 90 député-e-s de l’Assemblée nationale, ainsi que les 20 représentant-e-s au Parlement centroaméricain.

De ces forces en compétition, trois sont d’orientation libérale et une conservatrice, une autre – Alianza por la República – rassemble plusieurs factions issues de l’ancienne contre-révolution des années 1980 et Alianza Unida Nicaragua Triunfa, dirigée par l’actuel parti gouvernemental, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN), comprend une quinzaine de partis et d’organisations de diverses obédiences politiques.

Les résultats du scrutin, auquel sont appelé-e-s 3.400.000 électeur-trice-s, auront des répercussions internes et régionales. Au niveau national, elles seront un thermomètre de l’appui dont jouit le sandinisme : son candidat,  l’actuel président Daniel Ortega, accompagné cette fois-ci à la vice-présidence par son épouse, Rosario Murillo,  aspire à un troisième mandat depuis 2007. Un fort vote pour l’opposition ou une abstention importante pourrait être interprété comme une condamnation de l’actuelle politique gouvernementale.

Dans le cadre géopolitique d’un continent où la droite néo-libérale a connu une remontée, durant cette dernière année – particulièrement en Argentin et au Brésil -, la victoire du FSLN constituerait un appui important pour des gouvernements préconisant des Etats sociaux forts et défendant une vision autonome par rapport à Washington.

L’opposition… malgré les sondages et la rue

Les divers sondages effectués depuis plusieurs mois accordent une nette victoire au FSLN. La sympathie politique envers ses candidats dépasse 70 %, selon le Sistema de monitoreo de la opinión pública (SISMO), présenté fin octobre par la firme M&R Consultores. Cette prévision complète la 6e enquête nationale électorale, où le ticket Daniel Ortega et Rosario Murillo obtient 64 % des intentions de vote, alors que le parti gouvernemental recueille 58 % d’opinions favorables. Le 37e anniversaire de la révolution sandiniste, le 19 juillet 2016, a permis de mesurer le pouvoir de convocation du FSLN : environ 350.000 personnes se sont mobilisées à Managua et dans d’autres villes et villages.

Ces indicateurs d’une victoire sandiniste quasi-certaine peuvent expliquer pourquoi ce pays centroaméricain n’a pas connu une campagne électorale passionnée comme cela s’était passé lors de scrutins antérieurs. Le FSLN affronte aujourd’hui deux types d’opposition. L’une, « light », représentée par les forces qui participeront le 6 novembre au scrutin. L’autre, plus virulente, appelle à l’abstention pour sanctionner politiquement le gouvernement.

« Nous ne reconnaîtrons pas les résultats de la farce électorale en marche. Nous demandons de nouvelles élections avec toutes les garanties », signale dans un récent communiqué de presse le Frente amplio por la democracia (FAD). Ce texte fut publié comme réaction à l’accord conclu entre le gouvernement nicaraguayen et l’Organisation des Etats américains (OEA), dans la 3e semaine d’octobre, pour établir « un cadre de discussion et d’échange constructif ». Ce processus inclura la visite du secrétaire général de l’OEA, le 1er décembre 2016, et ne remet pas en cause la légitimité des élections de novembre.

La revue Envio,  publiée par l’Université Centroaméricaine (UCA) de Managua, où s’expriment les opinions d’intellectuels oppositionnels signale que « … Ortega fut le plus actif pour délégitimer les élections du 6 novembre ». Leurs arguments : « chercher sa troisième réélection dans un scrutin sans observateurs, excluant de la compétition l’unique opposition crédible, plaçant son épouse en situation de successeur et avec des résultats connus d’avance ».

Deux mois auparavant, fin juillet – 28 députés – 16 titulaires et 12 suppléants – du Parti libéral indépendant (PLI) – ont perdu leurs sièges au Parlement par décision du Conseil suprême électoral (CSE). L’opposition et la grande presse internationale ont alors dénoncé « la fin de la démocratie » et « le coup d’Etat contre le pouvoir législatif ». Selon des porte-parole sandinistes, la décision du pouvoir électoral fut le résultat d’une crise suscitée par la division au sein du PLI. La Cour suprême de justice a estimé que ces sièges appartiennent au parti pour lequel ils furent élus. Le secteur du PLI reconnu « officiellement », dirigé par Pedro Reyes, a pu immédiatement nommer ses propres députés pour remplacer les députés destitués.

Dans ce même numéro d’octobre 2016, Envio relève aussi le sérieux avertissement donné par les Etats-Unis au gouvernement nicaraguayen. Le 21 septembre 2016, 435 députés (démocrates et républicains) de la Chambre des représentants ont approuvé le Nicaragua Investment Conditionality Act H.R. 5708 (ou Nica Act), qui conditionne les prêts d’institutions financières à la tenue d’élections libres. Cette loi n’a pourtant pas été approuvée par le Sénat nord-américain, mais plane toujours comme une menace réelle contre Managua.

Alliances larges, infrastructures, croissance et programmes sociaux

Loin d’être surpris par la position des députés nord-américains, qui exprime la tentative de récupérer l’hégémonie en Amérique centrale, « ce qui m’a surpris, ce fut la réponse critique de la grande majorité des secteurs nationaux, politiques, religieux ou patronaux, à cette attitude nord-américaine », explique le sociologue Orlando Nuñez Soto. Directeur du Centro para la promoción, la investigación y el desarrollo rural y social (CIPRES), à Managua, il participe également à la rédaction de la revue Correo.

Un axe programmatique essentiel du sandinisme dans cette nouvelle étape gouvernementale est « la politique interne d’alliances avec tout le monde, consciente du fait que le noyau basique du FSLN s’élève à 35 % de l’électorat ». Des alliances avec divers secteurs politiques, avec les mouvements sociaux – qui ont une grande force dans ce pays centroaméricain -, avec les Eglises évangéliques et catholique romaine. « Peut-être, la plus significative est avec le secteur privé, c’est-à-dire avec les principales associations patronales du pays, y compris le capital étranger… », relève Orlando Nuñez en interview avec Le Courrier.

Quel argument explique-t-il la nécessité d’un accord de cette nature ? « Le manque évident de capital, dont souffrent les petits et moyens producteurs, ainsi que le gouvernement pour gérer son budget ».

Dans le bilan rétrospectif depuis le retour du FSLN au gouvernement, Nuñez souligne les avances productives et sociales. « Le gouvernement sandiniste a hérité en 2007 du second pays le plus pauvre d’Amérique latine, après 17 ans de gouvernements néo-libéraux ». Durant la dernière décennie, « grâce à la coopération de Cuba, du Venezuela et des organismes internationaux, ainsi que grâce aux politiques publiques, le gouvernement a réussi à augmenter le produit intérieur brut (PIB) de 40 %. Il maintient une croissance moyenne annuelle de 4,5 %, plus de double de ce qui existe dans toute l’Amérique latine – à l’exception de Panama ». Avec une particularité : l’économie populaire produit 45 % du PIB. Et elle a réussi dans la souveraineté alimentaire, vu la production diversifiée de nourriture, y compris une surproduction de viande et de lait affectée à l’exportation.

Ces données se traduisent dans la vie quotidienne du Nicaragua : « avances dans la construction de routes et dans l’électrification, hautement appréciées par les gens. L’éducation et la santé publiques et gratuites. Des plans sociaux importants comme Hambre Cero, Usura Cero, Bono Productivo, etc. La haute sécurité citoyenne, qui marque la différence avec des pays comme le Honduras, El Salvador ou le Guatemala, dans une région qui est l’une des plus violentes du monde ».

Le sandinisme pourra-t-il dans les urnes et dans la continuité éventuelle de sa gestion échapper à la contre-offensive néo-libéral qui prend force en Amérique latine ? demandons-nous en matière de bilan final. Sans doute, il s’agit de l’exception nicaraguayenne – et d’une révolution singulière -, répond Orlando Nuñez. Et de confirmer les éléments qui différencient le sandinisme d’autres processus latino-américains en recul : « l’ampleur des alliances pour disputer l’hégémonie et les institutions publiques ; une opposition divisée ; notre manière particulière de comprendre et d’intégrer le marché ; les avances dans la croissance, qui se traduisent par l’amélioration des conditions de vie de toute la population ».

Des échecs ou des tâches en attente ? « Pouvoir mieux traduire les conquêtes, les avances et les particularités du sandinisme sur le plan international. Et dégager les interrogations – le secret ou la formule, selon certains – sur le cas nicaraguayen, où le sandinisme au lieu de perdre continue de gagner en popularité, à la différence de ce qui se passe dans d’autres pays latino-américains », où se produit un recul des processus populaires, conclut Orlando Nuñez.

*Sergio Ferrari, publié dans le journal Le Courrier, Suisse en collaboration avec E-CHANGER

Traduction de l’espagnol : Hans-Peter Renk

 

 

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