Les grands défis du journalisme européen

Le journalisme européen est confronté à sa survie. Du changement technologique radical aux menaces contre le service public, en passant par des situations d’insécurité professionnelle, tous ces éléments influencent directement l’exercice de cette profession.

Ce furent les principales thématiques du débat animé par plus de 70 membres de 42 associations et syndicats de la communication (représentant 32 pays), du 4 au 6 juin 2018 à Lisbonne. Parmi eux, des délégués de SYNDICOM et Impressum, deux organisations de journalistes suisses.

L’assemblée annuelle de la Fédération européenne des journalistes (FEJ) – réunissant 320.000 membres affiliés à 71 associations et syndicats de 43 pays – approuva le mercredi 6 juin dans la capitale portugaise une vingtaine de résolutions.

La solidarité avec les journalistes de l’Agence télégraphique suisse (ATS) – en conflit ouvert avec le Conseil d’administration de cette entreprise depuis janvier 2018 en raison d’une réduction sensible du personnel -, ainsi que l’appui aux travailleur/euse/s du journal Le Matin (menacé de disparition) **, furent deux des décisions adoptées par l’assemblée tenue à Lisbonne. Tout comme l’appui aux travailleur/euse/s de la Radio-Télévision suisse (RTS), un service public qui, malgré la votation favorable du 4 mars 2018 (refus de l’initiative No-Billag), pourrait subir des coupes significatives dans les prochains mois.

Satisfaction suisse

Ces trois résolutions approuvées par « nos collègues européens sont des signes très positifs » renforçant l’exercice de la profession dans notre pays, relève Roman Berger, ancien rédacteur et correspondant du Tages Anzeiger (Zurich).

Membre du comité de presse de SYNDICOM et à ce titre délégué au congrès portugais, Roman Berger a souligné les diverses marques de reconnaissance et d’admiration formulées par de nombreuses personnes présentes à Lisbonne pour le résultat de la votation du 4 mars 2018.

« Nos collègues d’autres pays, comme l’Allemagne, nous ont confirmé que le rejet de l’initiative No-Billag a eu une importante répercussion médiatique dans la presse allemande. Ils étaient inquiets d’une possible acceptation de cette initiative, car dans ce cas la privatisation qui en aurait découlé aurait été adoptée comme modèle en Allemagne ». 

Les menaces contre la profession 

Les thèmes traités à Lisbonne sont un thermomètre de la réalité de la profession en Europe. L’importance de l’audiovisuel public – motion soutenue par une quinzaine de syndicats de divers pays – a pris une première place.

Caractérisé par les promoteurs de cette motion comme « pierre angulaire de la démocratie », le service public connaît des menaces de divers types dans de nombreux pays. Ce qui explique l’appui à cette résolution par les syndicats notamment de l’Espagne, de l’Italie, de l’Autriche, de l’Irlande, d’Allemagne, de Serbie, d’Autriche, de Norvège et de la Suisse.

La violence, toujours plus systématique, affectant le libre exercice de la profession en Europe, est apparue comme un autre thème central. Des agressions très diverses – depuis celles endurées par les journalises sportifs jusqu’aux pressions exercées sur de nombreux rédacteurs et commentateurs politiques -, sans oublier aussi les censures internes que vivent les rédacteurs, lorsqu’ils prétendent traiter des problèmes concernant les actionnaires et les propriétaires des médias dans lesquels ils travaillent.

« Bien que cette violence n’atteigne pas les niveaux soufferts par les collègues d’autres continents, comme l’Amérique latine ou l’Afrique, elle apparaît avec toujours plus d’insistance aussi en Europe », souligne le journaliste belge Philippe Leruth, actuellement président de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), l’organisation la plus importante de ce secteur à l’échelle mondiale.

L’inégalité salariale flagrante entre les journalistes hommes et femmes, ainsi que la précarisation croissante des conditions de travail qu’affrontent leurs associations au niveau global de l’Europe, ont accaparé la réflexion des délégué-e-s.

Une dernière étude de la situation au Portugal, en 2016 – dont les résultats continuent d’être traités -, présentée à l’assemblée de la FEJ, reconnaît qu’un tiers de la branche « gagne des salaires indignes », de moins de 700 euros par mois (le salaire mensuel de base dans ce pays étant de 800 euros).

80 % des personnes interrogés manifestaient leur mécontentement envers leurs conditions de travail et 90 % d’entre elles considèrent que l’avenir de journalisme sera toujours « plus précaire et incertain ». Un tiers d’entre elles n’ont pas de contrat de travail régulier.

Cette préoccupante radiographie portugaise n’est pas unique sur le continent européen. Dans plusieurs pays des Balkans ou de l’Europe de l’Est, la réalité est similaire ou encore bien plus précaire.

 La précarité attente à la liberté de la presse

Si l’un de nos principaux objectifs, comme organisations internationales de journalistes, consiste à défendre la qualité de l’information », nous devons être conscients que la précarité des conditions de travail des journalistes attente directement à cette qualité », souligne Philippe Leruth.

Un journaliste qui n’est pas payé décemment ne pourra pas faire correctement son travail, ni offrir une information de qualité. Je dirais même, poursuit le journaliste belge – qui, avant de présider la FIJ fut vice-président de la FEJ durant 9 ans -, que « bien que la défense de l’audiovisuel public est importante, nous devons comprendre le journaliste en lui-même comme un bien public », en considérant la transcendance de son travail comme une consolidation de la démocratie.

Et cet exercice doit commencer dans les entreprises « pour assurer la démocratie interne en exigeant, par exemple, une représentation, une présence et une observation des travailleur/euse/s et des journalistes dans les organes décisionnels ». Particulièrement, dans cette étape où non seulement se déroule une concentration croissante des médias, mais où « de grandes entreprises qui, dans de nombreux cas, ne s’occupent pas exclusivement de l’information, détiennent une bonne partie des médias ».

La propre essence du journalisme est en jeu, estime le président de la Fédération internationale des journalistes. « Nous ne devons pas oublier que notre principale raison d’être consiste à assurer une information de qualité que le public est d’accord de payer ».

Ceci à un moment où l’information – en grande partie non-professionnelle – abonde sur les sites web, entraînant la confusion « entre la véritable information et la fausse, ou non-professionnelle ».

Si la votation suisse du mois de mars 2018 contre l’initiative No-Billag a laissé une leçon importante, c’est justement cela : « elle a démontré que le public helvétique reconnaît la qualité de sa radio et de sa télévision et qu’il est disposé à payer pour la maintenir, conclut Philippe Leruth.

*Sergio Ferrari, de retour de Lisbonne, en collaboration avec swissinfo.ch et syndicom

Traduction : Hans-Peter Renk

** « La parution du quotidien orange, dans sa version papier, prendra fin le 21 juillet prochain, soit à la fin du Paleo Festival, dont Le Matin est partenaire, et du Mondial de football. Il deviendra ainsi le premier quotidien suisse à faire le pas du numérique. (…) Ceci dit, ce transfert sur le digital ne concerne en rien Le Matin Dimanche qui reste, lui, accessible dans sa version imprimée » (24 Heures, 8.6.2018).

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