«Les meilleures terres se trouvent aux mains des firmes au Brésil»

Manière pour le militant du MST et le Collectif contre la spéculation sur les matières premières de commémorer la Journée mondiale pour les luttes paysannes. Edi Carlos Da Silva a expliqué au Courrier les raisons de cette action.

Quels problèmes posent à vos yeux la multinationale brésilienne Vale dans l’Etat de Bahia?
Edi Carlos Da Silva: Les meilleures terres du Brésil sont aux mains de grandes entreprises, dont Vale. Alors qu’au MST nous pensons que ces terres devraient appartenir à ceux qui produisent les aliments, c’est-à-dire aux paysans. La concentration des terres au Brésil porte non seulement préjudice aux travailleurs du Brésil mais également à la population dont l’accès aux denrées alimentaires est limité. De surcroît, les groupes miniers comme Vale extraient les matières premières sans considération pour l’environnement et les êtres humains. De nombreuses communautés ont été expulsées pour que Vale et d’autres puissent exploiter les minerais.
 
Qu’a fait le MST face à cette situation ?
Nous menons différentes luttes contre ces entreprises et les politiques du gouvernement qui les favorisent et les subventionnent. Ces firmes promettent en général des millions de reals, de l’emploi, de meilleures conditions de vie pour les populations environnantes… Puis elles oublient leurs bonnes intentions.
Par notre mobilisation sur le terrain, nous avons obtenu certains résultats. A Bahia, le MST a soutenu de nombreuses familles qui étaient menacées d’être expulsées par Vale car elles n’avaient pas de titres de propriété. Or, comme elles occupaient ces terres depuis longtemps, elles avaient le droit de bénéficier du programme de réforme agraire du gouvernement brésilien. Nous nous sommes battus pour qu’elles y aient accès et nous avons obtenu leur régularisation.
Nous exigeons aussi que l’Etat de Bahia abandonne le projet de voie ferroviaire conçue sur mesure pour que les multinationales des mines et de l’agronégoce puissent exporter leurs produits plus facilement. Et donc étendre encore davantage leur emprise sur le territoire. Plusieurs de nos campements du MST se trouvent très proches de l’itinéraire prévu.
 
En quoi la Suisse est-elle concernée par Vale?
Vale a son siège en Suisse, comme de nombreuses autres multinationales. Nous pensons que la population suisse doit être informée des agissements de ces entreprises. Qu’elle se mobilise pour que ces dernières ne puissent plus faire la pluie et le beau temps au Brésil et ailleurs. Pourquoi ces sociétés sont-elles domiciliées en Suisse? Parce qu’elles y reçoivent le soutien du gouvernement, principalement à travers des impôts très bas qui leur permettent de réaliser d’énormes profits. Il s’agit en grande partie d’évasion fiscale. Le Brésil devrait toucher davantage d’impôts pour pouvoir financer la santé et l’éducation.
 
Vous dénoncez d’autres entreprises, nordiques notamment…
Oui, ce sont des sociétés qui plantent l’eucalyptus au Brésil dans le but de produire de la cellulose (qui sert à la fabrication du papier, ndlr). L’une des plus grandes est la suédo-finlandaise Veracel Fibria, très active dans les régions d’Ilheus et Porto Seguro. Des dizaines de milliers d’hectares y sont réservés à l’eucalyptus. Le MST lutte contre cette industrie car elle empêche les petits paysans d’avoir accès à la terre. Des petits producteurs qui vivaient jusqu’alors du café, du cacao, de la papaye et de l’élevage. Aujourd’hui, ces productions ont presque disparu. Les paysans sont venus rejoindre le cortège des plus pauvres en périphérie des villes. Récemment, le MST a réoccupé 30 000 hectares accaparés par ces firmes. Ces terres vont  permettre à quelque 12 000 personnes de vivre de leur travail.

Vous êtes donc de plus en plus confrontés sur le terrain à la présence de multinationales, et plus seulement aux grands propriétaires terriens traditionnels (fazendeiros) comme par le passé….
Oui, on assiste depuis environ dix ans à des partenariats entre les fazendeiros et les grandes entreprises. Les terres ne sont souvent plus aux mains d’individus mais de multinationales. Ce processus a entraîné une concentration encore plus importante de la terre. Alors qu’en réalité une grande partie de ces parcelles appartiennent à l’Etat. Elles avaient été mises à disposition des fazendeiros en leur temps par les autorités locales, en général à leur botte, en échange d’un appui politique.
Ces terres sont ensuite passées sous contrôle des entreprises. Le rôle du gouvernement est aujourd’hui de les récupérer dans le cadre de la réforme agraire pour les mettre à disposition des petits paysans. Mais il ne le fait que très lentement. Nos occupations de terres visent à dynamiser ce processus. Rien que dans l’Etat de Bahia, 18 000 familles campent dans l’attente d’une terre.
 
Christophe Koessler , Le Courrier
 
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De l’espoir pour la réforme agraire

Quelle a été l’évolution de la réforme agraire ces dernières années? Elle avait somme toute bien avancé sous la présidence de Lula…
Durant ces quatre dernières années, marquées par le premier mandat de la présidente Dilma Rousseff, la réforme agraire s’est pour ainsi dire arrêtée. Son gouvernement a exigé des études préliminaires pour certifier que les terres concernées étaient bel et bien improductives. Ces études n’ont jamais été réalisées!
Nous espérons cependant des avancées en ce début de nouveau mandat présidentiel (Dilma Rousseff a été réélue en octobre 2014). Car non seulement la popularité de Dilma est au plus bas, mais le Congrès est aussi en sa défaveur. Il ne reste à la présidente que l’option
de se tourner vers ceux qui l’ont toujours soutenue: les mouvements populaires et les
paysans.
Le Ministère du développement agraire est désormais dirigé par un membre du Parti des travailleurs, Patrus Ananias, qui est davantage en notre faveur. Il a déclaré qu’il allait mettre en œuvre la réforme agraire car les conditions étaient réunies. La loi a été approuvée depuis longtemps, l’exécutif doit l’appliquer. Le moment est aussi favorable car la population urbaine a compris que les promesses de l’agro-négoce n’étaient que du vent. L’occupation de terres est devenue populaire.

Comment articulez votre lutte avec celle des mouvements urbains? De grandes manifestations ont lieu depuis 2013 réclamant la fin de la corruption et l’amélioration des services publics en matière de santé et d’éducation…
Nous aidons les professeurs, par exemple, dans leurs luttes pour de meilleures conditions de travail et l’accès aux technologies. Nous les soutenons dans l’élaboration de leurs revendications et nous participons à des manifestations ensemble. Et les maîtres d’école nous rendent la pareille en participant à des activités éducatives dans nos campements et nos communautés.
Nous faisons de même dans le domaine de la santé. Et développons aussi au MST une médecine basée sur la prévention et les plantes médicinales, en lien avec les acteurs de la santé des villes.
Ces derniers jours, une mobilisation a démarré pour dénoncer la loi sur la sous-traitance (terceirização) adoptée au Congrès la semaine dernière. Cette loi signifiera simplement des baisses de salaire des travailleurs, un contournement de leurs droits, le remplacement des salariés qualifiés par des non qualifiés. Nous participons à cette fronde, car attaquer les ouvriers c’est attaquer les paysans. C’est le même combat.
 
Christophe Koessler, Le Courrier
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