Marcos Arruda : « Au lieu d’un projet de pouvoir comme moyen pour réaliser un changement au Brésil, Lula a mis en place un projet de pouvoir pour le pouvoir. »

Deuxième volet d’un entretien avec Marcos Arruda, économiste et éducateur du PACS – Institut de Politiques Alternatives pour le Cône Sud – situé à Rio de Janeiro, Brésil. Marcos Arruda explicite sa relation avec Lula, actuel président du Brésil. Son livre « Cartas a Lula : Um Outro Brasil é Possível” témoigne de la volonté de changement insufflé par le PT et du changement d’attitude de Lula lors de son accession au pouvoir.

Dans le cadre du PT, quelles relations as-tu alimenté avec Lula ?

J’étais plus ou moins proche de lui car j’ai travaillé dans le mouvement syndical et au sein du parti des travailleurs pendant longtemps. J’ai aussi aidé à fonder l’Institut Cajamar – école de formation politique pour les leaders syndicaux et politiques. J’ai été éducateur des militants du PT. A travers ces actions, j’ai été assez proche de Lula. J’ai aussi participé à la campagne électorale de 1989 comme membre de l’équipe qui élaborait le programme du gouvernement de Lula. Je m’occupais plus particulièrement de l’économie internationale et la dette extérieure.

J’avais suffisamment d’intimité avec lui pour écrire les lettres que je viens de publier dans un livre (N.d.l.r. : Marcos Arruda fait référence à son dernier livre retraçant toutes les lettres qu’il a envoyé à Lula et les réponses de la direction nationale du PT, Cartas a Lula : Um Outro Brasil é Possível, 2006, Documenta Historica Editora). Il a reçu pendant trois ans des propositions de stratégie, d’arguments de négociation, d’alliance politique et de politique publique.

Quelles réponses as-tu reçu ?

Il ne m’a pas répondu directement. Le président du PT, qui jusqu’à récemment était son second dans la hiérarchie gouvernementale, est devenu mon principal interlocuteur. C’est lui qui me répondait. Après beaucoup de désillusions, j’ai adressé la dernière lettre du livre à la femme de Lula, Marisa, contenant un message clair : « Sauvons Lula ».

Qu’est-ce qui explique les changements d’attitudes de Lula depuis son accession au pouvoir ?

Pendant les 24 ans d’histoire du PT, on a toujours été très soigneux pour définir nos alliances, ce qui était très délicat. A partir de 2002, il a fallu faire une pression énorme sur le PT pour éviter des alliances qui menaçaient la réalisation du projet de changement élaboré par le parti. C’est là que j’ai commencé à écrire – quand on a annoncé une alliance entre le PT et le parti libéral. Lula a posé comme vice-président dans la liste de candidat le principal du parti libéral. J’ai commencé à affirmer que c’était absurde. Cela allait sûrement condamner notre projet de changement. Si nous sommes leaders d’une alliance, nous possédons une force de négociation. Il faut donc bien choisir les alliés qui vont nous aider à réaliser ce projet. Ensuite, il est apparu à la télévision et a dit une phrase qui a scellé le destin de son gouvernement. Il a affirmé: «  Vous savez- pour gagner les élections je ferais une alliance même avec le diable. »

A ce moment précis, j’étais convaincu que nous avions perdu. Le fait de vouloir consolider son pouvoir à force d’alliances avec les élites et non avec les travailleurs, qui sont la grande majorité de la population, prouve qu’il a perdu le sens de sa lutte. Au lieu d’un projet de pouvoir comme moyen pour réaliser un changement au Brésil, il a mis en place un projet de pouvoir pour le pouvoir. Le pouvoir est devenu une finalité et non pas un moyen. Nous avons, à mon sens, perdu Lula.

Lula a passé par un changement graduel et, paradoxalement, assez brusque. Cela faisait dix ans qu’il soignait son image. Mais à partir de 2002 il a travaillé pour se présenter comme quelqu’un que même la bourgeoisie pouvait accepter. Il a accepté que le PT reçoive de l’argent provenant de grandes entreprises pour ses campagnes électorales et opère avec une deuxième caisse clandestine pour financer le parti. Ces faits sont dénoncés aujourd’hui. Tous les partis ont agi de la sorte, mais le PT avait comme mot d’ordre « éthique dans la politique ». Il ne pouvait pas accepter l’argent illégal des entreprises, et encore moins les conditions imposées par ces nouveaux rapports. Lula a perdu ses racines populaires. On peut parler d’hypnose du pouvoir. Le PT aussi s’est pris au jeu d’une illusion fatale : celle de croire qu’il va rester indéfiniment au pouvoir.

Propos recueillis par Olivier Grobet

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