Maurice Demierre, trente ans après

Nicaragua, le 16 février 1986. Le coopérant bullois Maurice Demierre, 29 ans, est tué par les hommes de la Contra, la contre-révolution soutenue par les Etats-Unis qui s’opposait au gouvernement sandiniste. Le jeune Suisse ainsi que cinq paysannes qu’il raccompagnait chez elles sont abattus dans leur camion, sur la route proche de Somotillo, bourgade de l’ouest nicaraguayen près de la frontière avec le Honduras. Comme lui, une vingtaine de coopérants étrangers, dont le Vaudois Yvan Leyvraz, tomberont sous les balles de la Contra.

Trente ans après sa disparition, qu’est devenu l’héritage de ce jeune technicien agricole gruérien aux valeurs chrétiennes, parti en 1982 pour le Nicaragua sous l’égide de Frères sans frontières (aujourd’hui E-CHANGER)? «Je n’ai jamais cassé le fil avec les gens que nous avons connus là-bas», raconte Chantal Bianchi, compagne de Maurice partie avec lui au Nicaragua. Avec une vingtaine de proches, elle a fondé en 1999 l’Assocation Maurice Demierre… et la vie continue (AMD).

Multiples projets de soutien

Non seulement le fil ne s’est pas cassé, mais l’esprit de solidarité en direction de ce pays restant parmi les plus pauvres d’Amérique centrale s’est maintenu. «Nous travaillons avec des personnes avec qui Maurice et moi collaborions déjà dans les années 1980. Nous soutenons par exemple la création d’une fanfare à Somotillo. L’initiatrice sur place est une des premières personnes que nous avons aidée en arrivant au Nicaragua», explique Chantal Bianchi.

Institutrice à Lausanne lorsqu’elle décide de partir pour le Nicaragua avec Maurice, Chantal Bianchi vit aujourd’hui près d’Yverdon-les-Bains. Ayant suivi une voie artistique, elle a fondé la compagnie théâtrale les arTpenteurs avec son compagnon Thierry Crozat – avec lequel elle aura deux enfants – à la fin des années 1990. En parallèle, les allers-retours avec le Nicaragua n’ont pas faibli. Les projets de soutien se sont multipliés.

Rénovation d’une école, soutien à la recherche et à la production des plantes médicinales, soutien de la coopérative La Garnacha-Esteli pour la création d’une fromagerie en 2009. Choqués devant le démantèlement des acquis sociaux de la révolution sandiniste dans les années 1990, Chantal Bianchi et son réseau de proches mettent sur pied un système de bourses d’études en faveur de fils et filles d’amis paysans. De 1995 à 2013, 42 jeunes nicaraguayens bénéficieront ainsi de ces parrainages.

«Il est difficile de pérenniser ce genre de projet sans être sur place», explique Chantal Bianchi. L’AMD travaille avec deux coordinatrices au Nicaragua. Forte de 120 membres, la structure bénévole tourne avec environ 20 000 francs par année. Les fonds proviennent surtout des cotisations, de divers dons ainsi que du soutien de certaines paroisses. L’AMD est partenaire de la fédération d’organisations non gouvernementales Fribourg-Solidaire depuis trois ans.

«Comme un héros pour nous»

L’essentiel aujourd’hui, pour Chantal Bianchi, c’est de transmettre cet héritage aux jeunes générations. Car si le souvenir de Maurice Demierre reste bien présent chez les Gruériens et Fribourgeois d’une certaine génération – notamment le milieu chrétien et paysan où il était actif – il tend à s’estomper dans les brumes de l’histoire. Pourtant, au sein du réseau et des familles, les jeunes sont bien là.

«Maurice, c’était notre oncle», répondent à l’unisson Eloïse Demierre et Lucia Sulliger. Toutes deux engagées comme membres du comité, elles sont nées en 1989. «Nous ne l’avons pas connu, mais en avons toujours entendu parler. Il était comme un héros pour nous», poursuit Lucia. «Maurice a toujours fait partie de notre identité», ajoute Eloïse, dont la mère, la conseillère d’Etat Anne-Claude Demierre, n’est autre que la belle-sœur de Maurice.

Aujourd’hui, une dizaine de jeunes sont actifs au sein de l’AMD. Ils ont tenu un stand au Paléo festival en 2013 et en 2014. Pour Eloïse, le déclic de son engagement s’est produit lors d’un voyage organisé au Nicaragua en 2011. «Voir les lieux où Maurice a vécu, sa tombe, les photos de lui dans chaque maison et l’émotion des habitants, tout cela m’a marquée.»

Pierre Köstinger, La Liberté- Le Courrier

 

 

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