Migration et solidarité

Depuis quelque temps, on a pris conscience que les populations qui émigrent de chez elles vers des contrées plus riches consacrent une partie significative de leurs revenus à aider leurs familles et leurs communautés restées au pays. A tel point que les économistes commencent à s’intéresser sérieusement au phénomène et à essayer d’en mesurer l’ampleur. Ainsi, la Banque mondiale estime (chiffres 2005) que le total des « remises » de fonds des migrants dans le mode s’élève à quelque 232 milliards de dollars, dont 167 pour les pays en voie de développement et en transition, sommes qui ont augmenté de 50% en 5 ans. Et encore ne comprennent-elles pas tous les transferts informels, qui, par définition, échappent à la statistique. Pour la seule Suisse, le montant de ces transferts est estimé à 12,8 milliards de dollars. Cette solidarité des migrants, qu’ils choisissent d’exercer malgré leur statut souvent précaire et leurs faibles revenus, représente 2 à 3 fois le total de l’aide publique au développement des pays riches (80 milliards de dollars). Dans les pays les plus pauvres, la proportion va même jusqu’à 6 dollars en provenance des émigrés pour 1 dollar d’aide au développement. Comme quoi la solidarité est une affaire de choix plus que de moyens.

Mais derrière les chiffres, il y a aussi une problématique. D’un côté, les sommes envoyées par les migrants contribuent de façon significative au développement de leurs pays d’origine. Les statistiques montrent qu’elles servent essentiellement à des dépenses de nourriture, de santé, d’éducation et aux aides d’urgence. C’est le bon côté. De l’autre, elles créent une dépendance des pays destinataires vis-à-vis de ces rentrées (elles peuvent représenter de 10 à 25% de leur PIB) et sont le signe tangible de l’exode des cerveaux ou des travailleurs qualifiés qu’ils subissent. Enfin, ces transferts de fonds sont victimes de prélèvements parfois énormes (jusqu’à 25%) de la part des agences financières qui les assurent (25 milliards de dollars transitent par la seule Western Union, dont le bénéfice s’élève à 3 milliards de dollars).

Face à ces phénomènes, des associations issues de l’immigration au Nord et des associations des pays d’origine s’activent à la fois pour combattre les inconvénients et pour optimiser les avantages de ces transferts de fonds. Sécuriser les transferts, diminuer les commissions des agences, remplacer ces dernières par des réseaux d’organismes ou de personnes de confiance d’un côté. De l’autre, organiser une gestion en partie collective pour l’utilisation des fonds dans les pays d’origine (associations, tontines) afin de les consacrer à des réalisations utiles et durables : centres de santé, écoles, investissements sociaux. C’est en somme une solidarité organisée qui vient appuyer et valoriser la solidarité spontanée des migrants. Nos associations ont certainement un rôle à jouer, avec leurs partenaires du Sud, dans cette « synergie », comme on dit aujourd’hui, entre migration et développement.

Le prochain Carrefour FGC aura certainement l’occasion d’y revenir.

Jean-Marc Denervaud

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