Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain

Jeter le bébé avec l’eau du bain ?
 
Le mois dernier, avec la mise en ligne d’une analyse peut-être un peu trop consensuelle sur l’implication des entreprises privées dans le développement (cf « Au Forum de Davos, les entreprises affirment s’engager en faveur du développement durable », rubrique entreprises, 15.2.06), j’ai reçu, il fallait s’y attendre, quelques remarques sur le nécessaire recul que j’aurais dû avoir envers des « engagements » d’entreprises peut-être trop théoriques.
 
Revenons au point de départ :
Quel doit être le rôle des entreprises dans la mise en place d’un développement « durable » donc plus équilibré ? Dans les principes de « responsabilité sociale d’entreprise », celle-ci doit s’impliquer dans des sujets d’intérêt global et collectif. Ce n’est peut-être pas sa vocation (qui est plutôt de proposer des produits et services qui correspondent aux besoins des consommateurs), mais c’est son intérêt.
En réalité, nous constatons que nombre d’entreprises disent vouloir faire ou disent faire mais ne font pas, ou font mais avec des contradictions. Et nous nous demandons s’il ne faut pas bannir les entreprises privées lorsqu’elles prétendent vouloir aider le monde et l’homme.
Mais ne risque-t-on pas de jeter le bébé avec l’eau du bain ?
 
La question est donc : comment les entreprises privées peuvent-elles s’engager dans l’action humanitaire ?
. Peuvent-elles le faire ? Est-ce compatible avec leur but lucratif ?
. Comment rendre leur action acceptable, efficace et durable ?
. Certaines le font, au motif de leur « responsabilité sociale » ou de leur « citoyenneté » qu’elles cherchent à développer pour contribuer à un monde plus équilibré.
 
Le « développement durable », implique d’abord pour les entreprises d’adopter des mesures envers la protection de l’environnement (économies d’énergie et de matières premières, gaz à effet de serre, …) et envers le rééquilibrage social (équité….). Jusque là, pas de problème. Quiconque travaille un peu sur la question finit par découvrir que c’est une question de logique, une évidence, que de s’engager dans des pratiques « durables ». La plupart des entreprises bien gérées le font, et pas seulement pour des raisons de communication.
 
Mais en allant plus loin, on aborde les questions de responsabilité, de gouvernance et d’éthique, et c’est là que les choses se gâtent parfois. La Chine est l’un des meilleurs exemples. On estime que nombre d’entreprises impliquées dans des relations commerciales avec la Chine cautionnent implicitement les atteintes aux droits de l’homme qui y sont pratiquées. On sous-entend que ces entreprises ne devraient pas commercer avec la Chine, devraient décréter un embargo volontaire. Et qu’à fortiori, elles ne devraient pas chercher à y mener des actions de responsabilité sociale. Or, en Chine, la vie d’un homme n’a pas la même valeur qu’en Occident; une entreprise occidentale travaillant en Chine doit-elle appliquer ses propres règles éthiques ou peut-elle s’adapter au système de valeur local ?
 
Je considère que ces questions posent le problème général de l’action des entreprises. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Ce n’est pas parce que certaines actions ne semblent pas cohérentes avec le discours qu’il faut tout jeter car on ne fait que consolider le mur entre les deux mondes.
 
Je ne veux pas tomber dans le travers de visions telles que celles de « La Grande Mascarade » (E. Lubbers). Si chaque parole ou action d’entreprise est critiquée au motif que, à côté, elle fait des bénéfices ou ne semble pas éthiquement irréprochable, on est à côté de la plaque. Le développement durable doit être une démarche de progrès, pas un jugement ou un score. On reproche aux entreprises de faire des profits et on attend seulement d’elles qu’elles fassent des chèques.
A ma connaissance, il n’existe pas de grande entreprise qui ne soit pas toute blanche : certaines actions sont bonnes et d’autres pas. Donc comment parler des bons exemples sans se faire reprocher les mauvais dont on parle  moins ? Or l’entreprise doit communiquer. La communication et même la transparence font désormais partie des impératifs du marché.
L’ordinateur à 100 $ est un exemple. Faut-il s’abstenir d’en parler au motif que certains des constructeurs informatiques associés sont inévitablement impliqués dans des actions peut-être critiquables ? Les pays en développement ont besoin de l’action des entreprises pour se développer. Il faut en tenir compte.
 
En conclusion, je pense que la meilleure manière d’avancer est d’impliquer les individus, les hommes qui constituent les entreprises, dans des démarches de responsabilité sociale. Les entreprises sont des organisations, certes, mais sont constituées d’hommes. Une entreprise en soi n’a pas de principes, de valeurs ou de morale (elle n’a que des clients, des fournisseurs, un bilan), mais les hommes qui la font, eux, en ont.
. d’abord, il ne faut pas avoir peur de leur rappeler qu’ils ont, chacun, des valeurs, et qu’ils se doivent les appliquer.
. ensuite, il faut les encourager à « mouiller la chemise », à s’impliquer personnellement dans des projets concrets, car c’est en s’impliquant dans des projets concrets, sans craindre de se tromper (l’erreur fait partie de l’apprentissage), que l’on progresse.
. enfin, il faut délivrer des messages d’espoir et non pas des messages de critique et de scepticisme. Il faut espérer pour avancer.
 
Je vous propose de réagir sur le forum http://www.humanitaire.ws/forum/viewtopic.php?t=555
 
Marie Valentine Florin
mv@florin.ch

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