OMC: le « libre-commerce » au service de l’inégalité

Alain Simon – Economiste politique au PACS/E-Changer (www.e-changer.ch)
Nous vivons une époque de globalisation mais cela n’est pas nouveau. Depuis plusieurs siècles, ce processus de transactions commerciales internationales existe. Durant la colonisation, les Européens font du commerce avec leurs colonies. Ils s’enrichissent grâce à ces échanges. Selon les époques, le commerce s’est centré sur différents produits ; hier il s‘agissait du café, du cacao, du coton et aujourd’hui des services, de la santé, de l’éducation… Si les produits changent, le principe reste toujours le même. La marchandise amenant le plus de bénéfice ou de « valeur ajoutée » (pour utiliser un terme « économique » !) se trouve toujours au centre de l’attention des partisans du libre-commerce.
 
     Aujourd’hui, ce n’est plus l’agriculture qui permet de faire un bénéfice proportionellement important à l’investissment. Les produits manufacturés sont produits dans des « périphéries » chaque fois plus pauvres. Par exemple, on constate qu’une part des industries installées il y a quelques années au Mexique sont déplacées aujourd’hui en Chine puisque les conditions de production sont plus avantageuses. Le travailleur-euse est un élément aisément jetable grâce à la dérèglementation globalisée des conditions de travail. Des travailleur-euse-s au service de l’économie, à la place d’une économie au service des travailleur-euse-s. L’OMC est un des instruments essentiels de ce mouvement de déshumanisation de l’économie.
 

Un peu d’histoire
 
La volonté de mettre en place des structures de libre-commerce est ancienne. Le Royaume Uni, l’empire qui ne voyait jamais le soleil se coucher, était alors le grand partisan du libre-commerce. En fait, l’histoire économique montre que ce sont toujours les pays les plus riches et les plus puissants qui sont les promoteurs du libre-commerce. L’Angleterre hier, les Etats-Unis aujourd’hui. Ils n’étaient pas et ne sont pas seuls, mais ils sont toujours appuyés par les pays les plus riches (par exemple l’Europe dans son ensemble aujourd’hui). Comme l’histoire économique le montre, le libre-commerce est un instrument permettant aux plus forts de profiter des plus faibles.
 
     Un des aspects les plus populaires et les plus séduisants du discours des promoteurs du libre-commerce est de permettre à chaque pays, selon ses possibilités, ses disponibilités, ses capacités de se concentrer sur la production lui permettant d’offrir services et produits pour le plus grand bien de l’ensemble de la population mondiale. Chaque pays produit ce qu’il sait mieux faire et importe le reste d’autres pays plus compétents. Un phénomène d’optimalisation de la production. Une belle idée, mais comme l’histoire et notre présent le montrent, qui ne fonctionne pas.
 
Pourquoi le « libre-commerce » n’est-il pas l’outil d’une meilleure distribution ?
 
     Pour différentes raisons, le libre-commerce n’est pas l’outil d’une meilleure distribution . Les pays les plus riches sont généralement ceux qui possèdent les technologies les plus avancées. En retirant les barrières permettant à chaque pays de se protéger, les pays les plus riches gardent indéfiniment leur avantage concurrentiel, et la tendance est plutôt à l’augmentation de celui-ci. Si un pays moins avancé ne dresse pas des barrières protectionnistes pour des secteurs stratégiques, il va pouvoir acheter ces produits dans d’autres pays selon les principes d’excellence que j’évoque plus haut dans le texte. De cette façon, celui qui achète à l’étranger ne va jamais pouvoir développer cette technologie et va rester indéfiniment dépendant des autres. Si la valeur du travail était répartie équitablement  selon les domaines de production, cela ne poserait peut-être pas un si grand problème, mais ce sont toujours les productions les plus avancées qui sont les mieux rémunérées.
 
     Si les manufactures constituaient du temps de la grandeur de l’Angleterre le sommet de la modernité, ce type de travail est aujourd’hui délocalisé en Chine, pays dans lequel on rencontre les plus bas salaires dans l’économie globalisée. Ainsi, les pays les plus riches ne réduisent ni l’écart technologique ni celui de la richesse avec les plus pauvres. Ce sont les plus riches qui engrangent les plus gros bénéfices (puisque ce sont eux qui produisent les nouveautés), ils accumulent des richesses et ont donc encore plus de moyens leur permettant de développer de nouveaux produits. Un système sans fin de création d’inégalités.
 
La question de la relation de force
 

La diminution des barrières douanières se règle de manière internationale. C’est à dire que les pays se réunissent de manière régulière pour pouvoir définir de manière commune la stratégie adoptée. Le système de l’OMC est théoriquement très démocratique. Un pays, une voix. Cela signifie que chacun pays a une voix pour voter en plénière. Les pays les plus riches ne devraient pas avoir l’avantage puisqu’ils sont une minorité. En fait, il existe des relations de dépendance qui faussent un peu le jeu. Les pays les plus pauvres dépendent fréquemment de l’investissement des pays les plus riches et leurs dirigeants se soumettent aux volontés des gouvernants des pays les plus riches pour pouvoir obtenir quelques bénéfices immédiats ; tels que des fonds pour des projets de développement, l’implantation d’entreprises étrangères (investissement direct), possibilités d’obtenir des prêts, etc.
 
     Pour cette raison, le Brésil a constitué une alliance entre les pays les plus pauvres afin de pouvoir défendre des intérêts de manière commune. Il est toujours plus facile de se mettre ensemble pour défendre une cause. Les plus riches l’ont compris depuis longtemps puisqu’ils se réunissent fréquemment de manière officielle (par exemple lors des réunions du G7 ou G8) et officieuse (Forum de Davos). Théoriquement, les pays les plus pauvres auraient tout à fait les moyens de défendre leurs intérêts collectifs (en tous cas au sein de l’OMC), mais au-delà de la difficulté de s’organiser, il existe encore d’autre menaces.
 
La menace guerrière
 
Par exemple, la privatisation de l’eau de votre robinet risque de vous toucher bientôt. Si la privatisation est réalisée au nom d’une plus grande efficacité, les prix ont tendance à augmenter. Selon Silvio Caccia Bava, « si les investissements étaient réalisés par des organes publics municipaux, le prix de l’eau serait jusqu’à 48% meilleur marché que dans les modèles de partenariat privé-public »1.  Dans le cas de l’eau, il s’agit de concessions. C’est à dire que c’est l’Etat (donc nos impôts et autres taxes) qui paie les infrastructures tandis que l’exploitation est mise dans les mains d’une entreprise privée. Celle-ci à des devoirs et des obligations lui permettant, en général, d’offrir un bénéfice important à ses actionnaires. Dans le cas de l’eau, il s’agit d’un produit indispensable à la vie. Face à l’impossibilité de l’entreprise privée d’honorer son contrat (d’acheminer de l’eau potable dans ce cas), lors d’imprévus, tel que des catastrophes naturelles, ce sera bien entendu l’Etat qui sera obligée de réaliser les investissements nécessaires. Le libre-commerce répond à merveille à ce précepte : privatiser le bénéfice et socialiser le risque. Un jeu de dupes, ne vous y laissez pas tromper !
 

Augmentation de l’inégalité dans le monde Malgré une croissance sans précédents, l’abime entre les riches et les pauvres a augmenté durant les dix dernières années. Dans un rapport intitulé « La situation sociale mondiale de 2005 », l’ONU avertit que cette situation est présente tant dans les pays les plus riches que dans les pays les plus pauvres.
 
Selon ce rapport, la globalisation a maintenu les inégalités autant entre les pays qu’à l’intérieur des économies nationales. On peut le constater à propos des questions de l’emploi, de la sécurité au travail et à propos des écarts salariaux.
Au début des années 90, les 10% les plus riches en Amérique Latine détenaient 45% du revenu national. Au début de ce millénaire cette différence augmente dans huit pays. Le Brésil qui est un des trois pays les plus inégaux du monde détient le record de la région : les 10 % les plus riches ont un revenu 32 fois supérieur à celui que reçoit les 40 % les plus pauvres.
Le rapport affirme aussi qu’un quart de la population travailleuse du monde ne peut pas sustenter sa famille en raison de salaires d’environ 1 dollar US par jour. De plus, la grande majorité des travailleurs pauvres appartient à l’ « économie souterraine » qui a augmenté en raison de la forte compétition globale et des changements sur le marché du travail.
Le rapport cite, par exemple, le cas de la Chine et de l’Inde, pays dans lesquels malgré la forte croissance économique, les différences entre les travailleurs ont encore plus crû.
Le problème ne situe pas seulement dans le monde en développement mais aussi dans les pays industrialisés, et particulièrement parmi les salaires des Etats-Unis, Royaume-Uni et Canada.
 
(Agences internationales); (Elements tirés de O Globo Online, 25/8) ;
Le rapport sur le site de l’ONU: http://www.un.org/esa/socdev/rwss/rwss.htm
 
Où s’informer?
 

Campagne « Jubileu Sul Brasil » et contre la ZLEA (Zone de libre échange des Amériques),
Rua Doutor Neto de Araújo, 168Vila Mariana – São Paulo – SP04111-000e-mail: jubileubrasil@terra.com.brjubileubrasil@caritasbrasileira.orgTelefone: (0xx11) 5572-1518Fax: (0xx11) 5573-8058
http://www.jubileubrasil.org.br/
 
REBRIP  (Réseau brésilien d’intégration des peuples)
Aliança sociaal continental
http://www.rebrip.org.br/
Our world is not for selling –  Nosso mundo não está à venda

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