Pauvreté : le fossé se creuse encore

Le premier objectif du millénaire décrété par les Nations Unies porte sur la pauvreté dans le monde. Or, en 2005, malgré quelques notes optimistes, le bilan à tirer ne laisse pas présager l’accomplissement des objectifs pour 2015, ni pour 2020 d’ailleurs. Du 14 au 16 septembre 2005, à New York, un sommet de révision quinquennale à propos des OMD aura lieu sous la férule de Kofi Annan. « Cette année sera cruciale dans nos travaux pour réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) », a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies lors de la conférence de lancement du rapport le plus récent sur les progrès accomplis et les progrès à réaliser pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement.
 
A la lueur du contexte international, si l’Asie sort de plus en plus la tête de l’eau, il n’en est pas moins que le fossé entre riches et pauvres se creuse. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le cinquième le plus riche de la population mondiale gagnait jusqu’à 60 fois plus que le cinquième le plus pauvre en 1990. La tendance s’est aggravée en 2000 puisque de soixante fois plus, cette tranche de la population gagne septante-quatre fois plus aujourd’hui. Les disparités s’accentuent encore au sein même des sociétés. Ainsi l’OSEO dénonce dans un récent rapport un fossé grandissant, même en Suisse.
 
(…)
« Il y a 850 000 pauvres en Suisse. Il s’agit surtout de familles monoparentales et de familles avec trois enfants ou plus. On estime à 535 000 le nombre de personnes qualifiées de «working poor», qui ne gagnent pas assez par leur travail pour s’en sortir avec leur famille.
 
Être pauvre, ce n’est pas seulement manquer d’argent, mais manquer de chance.
 
-Formation: moins de chances de se former ou de se perfectionner;
-Travail: emploi mal payé ou chômage;
-Logement: conditions de logement difficiles et à l’étroit dans les plus mauvais quartiers;
-Santé: mauvaise santé physique et psychique; les pauvres meurent plus jeunes;
-Vie sociale: isolement, peu de participation à la vie sociale quotidienne.
 
De 200 000 à 250 000 enfants grandissent dans la pauvreté. C’est une des causes de l’accroissement du chômage des jeunes, car les jeunes gens manquent de soutien autour d’eux pour suivre une bonne formation. Le passage de la formation à la vie active est encore plus difficile. En même temps, les jeunes sans formation et sans emploi risquent de se retrouver exclus du monde professionnel et social, et risquent donc d’être pauvres leur vie durant. C’est un drame personnel, et une charge financière et sociale pour la communauté. Le cercle vicieux de la pauvreté se referme. »*
 
Peu s’étonneront de ces chiffres tant ils paraissent être une évidence. A l’heure où l’on incite les Etats à faire des économies, ce sont les services sociaux et les services de solidarités internationaux qui pâtissent de ces éventuelles restrictions, de ces coupes, même si aujourd’hui on évoque plus volontiers le statu quo en terme de budget. A titre d’exemple, à Genève, lorsque l’on s’affaire à de nouvelles solutions pour enrayer l’endettement de la ville, une hausse des impôts semble être inconcevable- ouvrant dès lors l’un des paradoxes les plus absurdes de notre société suisse. Le tsunami d’Asie du Sud-est a suscité un élan de générosité dépassant les 300 millions de francs suisses auprès de la société civile, alors que la confédération n’a donné au total que 30 millions. L’Etat genevois, quant à lui, se refuse à appliquer le fameux 0,7% du PNB, pourtant voté et approuvé au sein du canton, et ne veut pas relayer une solidarité maintes fois démontrée par la population. Les initiatives solidaires de nature privée et individuelle sont privilégiées au détriment de celle des communes, cantons ou Etat. Faut-il croire que la coopération internationale et les services de solidarité internationaux soient voués à suivre la logique du néolibéralisme ? Si, malgré tout, la majorité des partis politiques est d’accord sur le principe de solidarité, il n’en va pas de même concernant  les moyens à déployer.
 
Quelques essais pour rétablir un semblant d’égalité dans ce monde tentent bien de s’immiscer dans le paysage politique international. « Le moment est venu d’accorder davantage d’attention aux mécanismes de financement innovants », pouvait-on entendre dans les couloirs de l’enceinte onusienne, à New-York, en septembre 2004. Il n’en est pas moins que l’ébauche de solutions en reste au stade de propositions esquissant une volonté commune de pourvoir à la solidarité internationale, sans pourtant se mettre d’accord sur les moyens : la France désire une taxe sur les transactions financières, le Brésil sur les ventes d’armes, l’Espagne sur les fonds envoyés par les immigrés à leur pays d’origine, la Grande Bretagne sur une redéfinition de la dette…
 
La libre circulation des capitaux permet aux entreprises et aux plus riches d’échapper toujours plus aisément aux impôts. Les sociétés transnationales profitent aisément des paradis fiscaux, expliquant que la moitié de la richesse mondiale se cantonne dans ces même paradis fiscaux.  « L’évasion fiscale et la concurrence fiscale ont fait perdre aux pays en développement quelque 50 milliards de dollars de recettes (35 milliards d’impôts sur les entreprises, 15 milliards d’impôts sur la fortune). Ce montant est équivalent aux sommes investies dans la coopération au développement au niveau mondial. »* Dans cette optique, le système bancaire suisse contribue largement à ce processus au même titre que les principales places internationales financières du monde.  Lorsque la strate la plus riche de la terre monopolisera les biens au détriment des couches défavorisées et lorsque que cette « élite » économique se sera affranchie de la classe moyenne, nul doute que la cohésion sociale de nos sociétés sera en péril.
 
Lueur d’espoir, la dernière réunion du G8 a d’ores et déjà annoncé une réduction minime, mais définitive de la dette. Cette note positive résonne pourtant comme une mesure dérisoire à la lueur des chiffres. A savoir, pour un franc prêté par les pays du Nord, les pays endettés en doivent 8, alors qu’ils en ont remboursé d’ores et déjà 4. 15 à 20 % de leur budget est donc consacré à la dette entravant bon nombre de processus d’investissement intérieurs. Un contexte au contour de scandale renforcé par les mécanismes actuels prônés par l’OMC et la logique marchande du néo-libéralisme.
 
Le refus politique et international de se plier au fameux 0.7% des OMD onusien et toute la polémique qui s’en suit renforce la validité d’un phénomène : si le Nord ne prend pas ses responsabilités en terme de solidarité internationale, le Sud sera dans l’obligation de lui trouver une alternative. Ainsi, les partenariats Sud-Sud constitueraient une piste encore plus valable qu’elle ne l’est aujourd’hui.
 
Olivier Grobet
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*« La pauvreté en Suisse et dans le monde », rapport de l’OSEO en 2005

 
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Rapport 2005 des objectifs du millénaire de l’ONU (doc PDF)
Quand la coopération relève de la prestidigitation statistique
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