Porto Alegre: Le forum du possible

A quelques heures de la fin de sa 5e session, l’heure des bilans est arrivée, ainsi que celle des questions de fonds sur l’avenir du Forum social mondial (FSM).
 
Après six jours de débats dans plus de 2000 activités diverses – organisées par 5000 organisations et mouvements de 130 nations différentes -, il n’y a pas de place pour une évaluation «arithmétique».
 
Il est impossible de mesurer, avec des paramètres exacts, la confluence de plus de 100.000 participant/es venu/es des cinq continents. Il est encore beaucoup plus difficile de tirer des conclusions sur un forum, qui évite par essence les documents finaux ou les déclarations synthétiques.
 
 « Le Manifeste de Porto Alegre: douze propositions pour un autre monde possible», signé à titre individuel par 19  intellectuels de rénommée mondiale, même s’il synthétise partiellement la pensée altermondialiste, ne représente cependant pas « officiellement » le Forum dans son ensemble.
 
 
Crise d’identité ?
 
Durant ces dernières heures, certains des signataires – dont le sociolgue brésilien Emir Sader – avaient souligné le problème du « manque d’identité » du FSM.
 
Dans son édition de dimanche 30 janvier, le journal  « Zero Hora» (publié à Porto Alegre), titrait à propos du Forum social mondial et du Forum économique mondial, de Davos : « Les forums connaissent une crise d’identité ». A l’appui de cette affirmation, un article explique que « Davos met la lutte contre la pauvreté au centre de ses débats et Porto Alegre tente de passer de la critique contestaire à la recherche de solutions ».
 
La charte de principes du FSM (avril 2001) n’a pourtant pas été remise en cause ou modifiée durant cette cinquième session. Cela implique que cet événement-processus, qui se définit comme un  « espace de réflexion et d’échange pour le mouvement social » dans la recherche d’alternatives viables continue d’être ce qu’il fut, il y a 4 ans, lors de sa naissance.
 
La route vers une définition comme espace de convocation de la société civile planétaire se reforce toujours plus, par rapport à sa conception originelle d’un « anti-Davos du Sud », slogan médiatique tombé dans l’oubli. Le Forum de Davos n’apparait plus aujourd’hui dans la mémoire et dans la réflexion des participant/es au Forum de Porto Alegre, si ce n’est par la signification symbolique de se tenir en même temps que le rendez-vous suisse.
 
 
La capacité de convocation
 
La marche massive d’ouverture, mercredi 26 janvier – la plus grande de l’histoire récente de la capitale du Rio Grande do sul – a constitué un point significatif de la nouvelle formule autogestionnaire du FSM.
 
Moins animée que celles des années précédentes, moins coloriée et bouillonnante qu’à Mumbai (Inde), la mobilisation des 200.000 personnes qui, durant trois heures, remplirent les rues centrales de Porto Alegre apporte pourtant des contenus de choix. Moins « organisée » y « partidaire » qu’auparavant – peut-être à cause des tensions internes du Parti des Travailleurs (qui gouverne le Brésil) -, cette marche a constitué une expression plus authentique de la société civile planétaire. Ou tout au moins, des milliers de délégué/es de cette dernière, qui ont fait souvent de grands efforts financiers pour venir à cette 5e session.
 
L’accent culturel de l’ouverture du FSM, la diversité des manifestant/es et leurs consignes, ainsi que la liberté totale de manifester contrastant avec la militarisation de Davos (6500 soldats suisses, sans compter les effectifs des forces de police, déployés pour protéger les « saigneurs » du monde…)  marquèrent l’ambiance du forum et en furent une expression cohérente.
 
La capacité de convocation du FSM, qui semble n’avoir ni frontières ni limites imaginables, fut nettement différente par rapport à Mumbai.
 
 
Et les « dalits » brésiliens ?
 
L’abandon de l’Université pontificale catholique (PUCA), siège des trois premières sessions en 2001, 2002 et 2003, pour les rives de la lagune
 
Guaiba, a donné une plus grande authenticité et popularité au Forum. Même si cela  n’a pas permis de faire le saut qualitatif de « marginalité des participants», que s’étaient fixés les organisateurs
 
A l’exception des travailleurs sans terre, des femmes paysannes (et de Via Campesina), et de quelques autres secteurs minoritaires, les secteurs les plus marginalisés du pays et les groupes autochtones-indigènes de la région ne prédominèrent pas à Porto Alegre.
 
Les « dalits » (sans castes) et les « adivasi » (peuples autochtones) hindous, qui s’approprièrent le forum il y a un, n’ont pas trouvé d’équivalents dans cet énorme pays d’Amérique latine. Les secteurs de la classe moyenne ont repris le dessus dans la session de 2005. Toutefois, la participation massive des jeunes – plus présents que lors des précédentes sessions – permet d’assurer que le saut qualitatif de Porto Alegre 2005 fut surtout générationnel.
 
 
Les priorités thématiques
 
La grande variété thématique confronte les participant/es à une réalité double contradictoire que vit le forum dans son essence. L’effort pour convoquer les acteurs sociaux les plus variés – basé sur la réalité brésilienne – implique un labyrinthe thématique, qui ne facilite pas le choix des priorités dans les débats. Une fois de plus, le programme a mêlé les expériences les plus locales avec les réflexions globales et synthétiques de la dynamique mondiale.
 
 
Cette dynamique interne montre bien la richesse de ce processus-évenement, elle prouve aussi qu’il est impossible d’arriver à des synthèses globales,  lorsqu’on part de niveaux si distincts de réflexion. Deux constats ont marqué la dynamique quotidienne et la présence des participant/es. Premièrement, les grandes personnalités – comme Eduardo Galeano, Frei Betto, Leonardo Boff, Boaventura dos Santos, pour n’en citer que quelques-uns – sont des points de référence non-négociables pour les participants.
 
Ce qui prouve l’état toujours « en construction » du mouvement altermondialiste planétaire. Et la nécessité impérieuse pour ce dernier de s’appuyer sur des figures charismatiques de références.
 
De plus, il prouve un objectif du FSM, que l’on saurait sous-estimer. Outre d’être un lieu de réflexion et de débat, il aussi lieu d’apprentissage. Ainsi, la « consommation de théorie » est appréciée par les altermondialistes et constitue une motivations pour une grande partie des participant/es.
 
Deuxièmement, la réflexion stratégique sur un « autre monde possible » ne peut s’isoler des variables politiques conjoncturelles qui touchent et mobilisent « ici et maintenant ».
 
Preuve en est que les deux cas, où le stade Giganthino (prévu pour 13.000 personnes) connut une affluence… gigantesque, furent les réunions avec les présidents Lula (Brésil) et Hugo Chavez (République bolivarienne du Venezuela), deux des figures les plus charismatiques de l’actualité latino-américaine.
 
 
Définition d’axes prioritaires
 
De la même manière que Mumbai, l’année passée, avait été le Forum anti-guerre, Porto Alegre 2055 fut un espace où apparurent quelques axes thématiques prioritaires.
 
L’eau – et la résistance à sa privatisation -, les droits humains dans leur vision la plus intégrale, le non-paiement de la dette, la souveraineté alimentaire et le droit à la communication ont occupé une place prioritaire.
 
Ce sont des thèmes sur lesquels le mouvement altermondialiste semble avoir commencé à élaborer un programme pratique d’action conjointe et des pistes plus claires pour organiser une résistance unique. Insérés « récemment » dans l’ordre du jour des mouvements sociaux, la lutte pour l’eau – avec toute sa symbolique propre – et l’information/communication comme droit fondamental des citoyen/es prennent force, en nourrissant et en se nourrissant du FSM qui a été durant les 4 dernieres années une catapulte multiplicatrice.
 
 
Les nouveautés
 
L’autogestion de toutes les activités – vérifiée dans la pratique – et la diversité des organisations et des mouvements qui ont conflué dans des débats communs apparaissent comme deux éléments où Porto Alegre no 5 a surpassé tous les autres forums antérieurs.
 
La décision du Conseil international de tenir le FSM 2007 en Afrique a été unanimement approuvée.
 
Des doutes subsistent pourtant quant à la proposition de tenir en 2006 (année intermédiaires) 3 ou 4 forums régionaux d’une certaine importance, au Venezuela, au Maroc et en Corée du Sud (décision à confirmer en avril 2005). Ces événements décentralisés pourront-ils attirer l’attention médiatique comme le réussit aujourd’hui un FSM unique et centralisé?
 
Ne court-on pas le risque de diviser les forces et de donner une image de faiblesse à un moment où le processus altermondialiste a besoin d’exprimer sa force propre ?
 
En tout cas, le FSM vient de franchir un pas bien plus important que lors des quatre années précédentes. Bien que les défis soient grands et les réponses en attente significatives, le FSM continue de se consolider comme un espace incontournable de rencontre, d’échange, de définitions d’agendas communs et de renforcement des réseaux.
 
Sergio Ferrari (envoyé spécial à Porto Alegre)
Traduit de l’espagnol par Hans-Peter Renk
Collaboration E-CHANGER
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LE MANIFESTE DE PORTO ALEGRE
 
 
19 intellectuels de cinq continents ont rendu public samedi 29 janvier un texte intitulé « Manifeste de Porto Alegre: 12 propositions pour un autre monde possible ».
 
Parmi les signataires: Riccardo Petrella, Ignacio Ramonet, Frei Betto, Roberto Savio, Eduardo Galeano, Adolfo Perez Esquivel, Emir Sader, François Houtart, Saramago, Cassen, Bello, Wallestein, etc.
 
Après avoir revendiqué la force et l’apport du Forum social mondial y constaté que « le mouvement altermondialiste s’est transformé en une force déjà très prise en compte sur toute la planèt » , les signataires – qui le font à titre personnel, énumèrent 12 propositions communes pour « un autre monde possible »
 
Parmi ces propositions: l’annulation de la dette des pays du Sud ; l’application de taxes internationales sur les transactions financières; le démantèlement de toutes les formes de paradis fiscaux; le rejet des règles libres-échangistes fixées par l’Organisation mondiale du commerce ; la mise en oeuvre d’un commerce juste.
 
Le document défend le droit à la souveraineté alimentaire; il s’oppose à tout brevet sur la connaissance et les êtres humains; il s’oppose à toutes les formes de discrimination et appelle à prendre des mesures urgentes pour mettre fin à la destruction de l’environnement.
 
Il exige également le démantèlement des bases militaires étrangères, le droit à l’information et à informer les citoyen/es – contre la concentration monopolistique des médais – et appelle à une profonde réforme des organisations internationales, dont l’ONU.
 
Ce document présente cependant quelques points faibles: une seule femme l’a signé  et le NON à la guerre n’est pas explicité clairement. De plus, des signatures essentielles – par exemple, les personnalités brésiliennes qui ont fondé le Forum social mondial – n’y figurent pas.«Cela n’indique pas des dissidences ou des différences… Ce document ne parle pas au nom du FSM, il présente seulement l’opinion personnelle de quelques-uns d’entre nous», a déclaré Ignacio Ramonet
 
 
(Sergio Ferrari)
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