« Pour un nouvel équilibre des forces à l’échelle internationale »

Un nouveau concept de politique internationaleChirurgien reconverti dans la « chirurgie sociale » – selon ses propres termes -, Rodrigo Chaves Samudio milite depuis son jeune âge, s’intégrant très tôt au processus de changement impulsé par Hugo Chávez. De 2002 à 2004, il exerça la fonction de coordinateur des Comités bolivariens. Ensuite, il exerça des responsabilités au Bureau de la présidence, puis fut envoyé comme ambassadeur en Italie. Au début 2007, il fut nommé vice-ministre des Affaires étrangères (responsable pour l’Europe), poste où il participe à la définition et à la mise en œuvre de la nouvelle conception de politique étrangère vénézuélienne. « Toute relation internationale doit se baser sur le respect politique envers l’autre », explique-t-il au début de l’entretien.
 
Q : Quelle est la logique essentielle de la diplomatie internationale mise en œuvre par le gouvernement bolivarien ?
 
R : Il faut réaménager des relations distinctes avec le monde entier. Avant tout, il est vital d’établir et de clarifier les rapports politiques. En clair, il faut une reconnaissance de nos réalités respectives comme peuple, de ce que nous sommes. Et ensuite on peut poser et discuter les aspects économiques, sociaux, culturels. Mais la pré-condition, c’est la reconnaissance politique. Comment comprendre une relation bilatérale entre deux pays, s’il n’y a ni reconnaissance ni respect politique mutuels ? C’est pourquoi, je le souligne, nous proposons de redéfinir la relation du Venezuela avec toutes les nations, en commençant par l’aspect politique. Ensuite, viendront les commissions mixtes commerciales ou économiques, ou les ateliers de travail…
 
Q : Le Venezuela impulse en Amérique latine le projet connu sous le nom de ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques). En quoi consiste-t-il ?
 
R : L’ALBA tente précisément de définir des relations régionales intégrales, sortant du simple cadre « économiciste » des traités purement commerciaux. Il part du fait que la relation entre nations doit être comprise essentiellement comme des liens entre les peuples et les régions, mais pas seulement selon une perspective d’intérêt commercial ou économique. C’est une vision du monde beaucoup plus complète et intégrale. Avec l’ALBA, nous cherchons à nous reconnaître comme pays, comme peuples, politiquement et culturellement… En incluant aussi des aspects essentiels concernant l’énergétique et l’environnement.
 
Q: D’après vos arguments, la politique internationale du Venezuela repose sur deux axes : l’ALBA pour l’Amérique latine et le concept de diversité au niveau mondial ?
 
R : Effectivement. Des relations égalitaires avec tous les pays du monde, sans accepter aucun type de contrainte. On m’a interrogé, durant ma viste en Suisse, sur nos relations avec la Chine, l’Iran, la Biélorussie… Et j’ai répondu que les questions internes des autres pays ne nous regardent pas. Ce n’est pas notre rôle de les critiquer. L’essentiel, c’est d’établir des relations solides dans le cadre du droit international et de respecter le droit de chaque nation à l’autodétermination. Il ne s’agit pas des contraintes contenues dans l’ALCA (Aire de libre commerce des Amériques).
 
L’Amérique latine et l’Europe
 
Q : Comment évaluez-vous l’étape actuelle que connaît l’Amérique latine ?
 
R : Il s’agit d’un moment très particulier.L’histoire de l’humanité ressemble à une roue qui bouge à intervalles réguliers. Et nous vivons à une époque où cette roue tourne. Je viens de visiter le sud de l’Italie, où l’on m’a parlé du réveil méditerranéen après 500 ans. C’est très intéressant parce que nous sentons qu’en Amérique latine et dans la Caraïbe il se produit aussi un réveil 200 ans après la fin de la colonisation, avec le processus d’indépendance par rapport à l’Espagne et d’autres empires. Néanmoins, il ne fut pas possible alors de concrétiser intégralement une authentique liberté pour ce continent. Nous étions entrés dans une ère nouvelle, où les Etats-Unis remplacèrent les empires européens grâce à des mécanismes de domination à divers niveaux.
 
Q : Quels défis régionaux doivent être réalisés ?
 
R : Il s’agit de consolider l’intégration et l’indépendance continentales. Il se produit aujourd’hui une avancée dans la reconnaissance de nos droits à l’autodétermination, de notre mémoire, de notre identité culturelle, de notre identification comme région. Un saut qualitatif vers la liberté et l’indépendance.
 
Q : Vous êtes responsable de l’Europe au ministère des Affaires étrangères. Qu’attendez-vous de ce continent par rapport au Venezuela ?
 
R: Nous demandons à l’Europe une réflexion de fonds, d’analyser sa propre histoire et l’avenir de l’humanité et que personne ne lui nie le droit de prendre ses propres décisions sur le plan international. Je pense que l’Europe a un rôle historique important à jouer dans un proche avenir et ne doit pas se laisser reléguer au second rang…, qu’elle regarde le monde, l’Amérique latine et la Caraïbe et qu’elle établisse des relations non-conditionnées par les Etats-Unis.
 
Q : Dans un monde « unipolaire », cette vision d’autonomie envers Washington oblige à un certain courage politique…
 
R : Les actuels événements dans le monde, avec le développement de la Chine, la position des Russes en ce moment et la nouvelle étape des nations indépendantes – sous d’autres concepts que ceux de l’ancienne Union Soviétique -, l’existence d’une Amérique latine et d’une Caraïbe consolidées comme pôle régional, présagent le déclin d’un empire, d’un pôle dominant. Et pour nous le défi ne consiste pas à remplacer un pôle par un autre, mais à consolider des espaces, des pôles divers dans le monde, qui permettent un nouvel équilibre de force. C’est pourquoi nous faisons un grand effort, spécialement en Amérique du Sud, pour consolider cet espace de pouvoir.
 
La crise du monde unipolaire
 
Q : Aucun pôle de pouvoir n’accepte sa fin de bon cœur. Les prémisses bolivariennes en matière de relations internationales sont vues comme une provocation par Washington ? Comment évaluez-vous le risque d’intervention militaire contre le Venezuela ?
 
R : Nous tenons clairement compte d’un tel risque dans notre analyse. L’attitude des Etats-Unis est imprévisible dans une situation désespérée. Comme a pu le constater le président Bush lors de sa récente tournée en Amérique latine, ce continent échappe à son hégémonie. Et c’est pour les USA une source de désespoir. La même situation est similaire au Moyen Orient. Néanmoins, dans la situation mondiale actuelle, je pense que les USA ne vont pas agir directement contre le Venezuela, mais qu’ils tenteront d’utiliser d’autres pays à cette fin. Les échecs connus ces dernières années par les Etats-Unis ne leur permettent pas de continuer dans cette voie unilatérale, ils ont besoin d’y impliquer d’autres partenaires : Israël au Moyen-Orient, et l’un des pays voisins contre le Venezuela. Indubitablement, il existe un de nos voisins, sur lequel il ont fortement investi : je me réfère évidemment à la Colombie.
 
Q : Pourriez-vous approfondir un peu cette analyse par rapport à l’augmentation de la tension avec l’Iran ?

R : Je pense qu’une action contre l’Iran est plus proche qu’une action contre le Venezuela. Même si ce serait une folie de le faire. Les USA n’ont pas mesuré les conséquences d’une telle action, vu l’influence des Iraniens au Moyen-Orient et le niveau des alliances qu’ils ont construites…
Ce qui se passera en Iran indique ce qui se passera ensuite. Le président Chávez et le Venezuela ont été très clairs à ce propos. Nous ne resterons pas indifférents à une agression unilatérale des Etats-Unis contre l’Iran.
Notre position est très claire : nous nous sentons partie de ce conflit, non parce que nous serions situés dans cette région du monde, mais par rapport au droit des peuples à l’autodétermination. Si les USA se permettent d’agir en Iran, ils agiront ensuite contre nous. Et un tel scénario indiquera ce qui se passera dans le monde. Et, à nouveau, il sera intéressant de voir comme agira l’Europe, si elle restera indifférente comme dans d’autres situations complexes antérieures, et d’analyser si l’unilatéralisme des USA pourra compter sur l’aval et la bénédiction de l’Europe…
 
*Sergio Ferrari
Trad Hans Peter Renk
Collaboration E-CHANGER
 
 

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