Premiers regards de deux volontaires à Salvador de Bahia

Chronique de deux coopérants sur sol brésilien, la rubrique  » Pourquoi pas ToiT ?  » vous permet de suivre le périple de deux volontaires E-CHANGER à Salvador de Bahia. Engagés auprès de mouvements sociaux oeuvrant dans la lutte pour l’habitat populaire, ils livrent ici leurs premières impressions. Immersion.

Salvador de Bahia, ville métisse, lieu de rencontre de deux continents l’un latin, l’autre africain, nous voici arrivés en ton sein. 24 heures de voyage n’ont en rien altéré notre curiosité à ton égard. Rome noire du Brésil, ville de contraste, tantôt noire, tu n’hésites pas à te revêtir de blanc afin d’honorer les Orixas des Candomblés. Syncrétisme de culture et de résistance, offrande pluriculturelle sur l’autel de l’histoire des opprimés, des indiens massacrés, des esclaves liés aux négriers, tu nous interpelles.

A se glisser dans tes dédales, tu nous livres le vertige de tes tours modernes dédiées aux riches, ainsi que leurs cerbères, tes centres commerciaux jouant de superlatifs et de taille, tes favelas faites de briques, de tôles, de planches de bois, tes relents d’ordures, tes plages populaires…tes saveurs océanes.

Ici, l’opulence s’agglutine dans des édifices touchant les cimes, tandis que la pauvreté se répand tout autour ; la ville semble ne jamais s’arrêter. Point de rencontre entre ces deux mondes, le goût de la fête et le plaisir des plages rassemblent le peuple bahianais.

Logés dans le quartier de Barris, rua Direita Piedade, nous sommes au cœur de ton activité diurne, proche du bureau de l’UNIÃO situé, lui, à Nazaré. La nuit, tu nous fais frémir tant la place de la Piedade est connue pour ses négoces malfamés. Tu nous obliges à la discrétion.

Le Brésil politique et les élections de Lula

Contre les murs, sur les voitures, dans les discussions, Luiz Inácio Lula da Silva et les élections qui se sont déroulées début novembre 2006 sont encore omniprésents. Issu du peuple, l’homme qui a incarné au début de son premier mandat la volonté de changement et de rupture politique souhaitée par la base populaire du Brésil, a été réélu non sans défiance. Seul un deuxième tour contre Geraldo Alckim a su réveiller l’ardeur populaire et lancer une réelle campagne politique. Entre le néolibéralisme et la gauche consensuelle, quelques 61% se sont prononcés en faveur de Lula sans alimenter de grandes illusions de changement.

 » Je salue le plébiscite populaire et souhaite ne pas répéter les erreurs de mon premier mandat « , a-t-il affirmé lors de sa première interview télévisée diffusée après son élection. Alors que le président brésilien affirme encore vouloir augmenter le salaire minimum, le peuple, lui, revendique une santé pour tous (N.d.r. : Il existe déjà des programmes de santé communautaire tels que ceux destinés à la contraception. Mais, à titre d’exemple, pour une population de 15 000 personnes comportant 7000 femmes, un poste de santé ne dispose que de 30 boîtes gratuites de pilules contraceptives.), une éducation accessible pour les classes les plus défavorisées (N.d.l.r. : L’Université Fédérale de Bahia applique des quotas pour le concours d’entrée des étudiants. 45% des places sont réservées aux noir(e)s et métis(ses) issu(e)s de l’école publique. Cette mesure a été appliquée depuis 2004 grâce au gouvernement de Lula) et des assurances sociales garantissant une vie plus digne (N.d.l.r : La majorité des Brésiliens n’ont pas les moyens de se payer leur assurance maladie. Cet état de fait les précarise.).

La lutte des communautés

Les mouvements sociaux, eux, se réjouissent de cette réélection car, dans leur combat quotidien, Lula ne les criminalise pas. Le peut-il vraiment étant issu de cette même strate de la population ? Les différentes luttes issues des communautés reflètent bien la volonté de changement ressentie par la base. Femmes, homosexuels, noir(e)s, sans-toit, sans-emploi, sans-terre, tous se regroupent, s’organisent afin de militer et construire un autre Brésil possible. Sur le chemin d’un renouveau partagé, la lutte ne s’arrête jamais. A vrai dire, aucun d’entre eux ne se repose sur la réélection de Lula ; ils apprennent à croire en eux-mêmes.

La rencontre annuelle des volontaires et partenaires E-CHANGER Brésil

Le travail en réseau, les partenariats, les synergies et la collégialité sont toujours les bienvenus dans un univers social où la participation populaire est garante d’une démocratie rentrant toujours un peu plus dans les mœurs et ceci quelques 20 ans après la dictature. E-CHANGER Brésil n’échappe pas à cette règle et invite chaque année tous ses volontaires et partenaires à une réunion annuelle. La dernière en date s’est déroulée mi-novembre à Ilhéus, dans la région de Bahia. Mouvement des femmes, Mouvement des Sans Terre, UNIÃO (mouvement pour l’habitat populaire), Centrale des Mouvements Populaires, CIMI, COAV se sont donnés rendez-vous pendant une semaine.

Le combat des Indiens Pataxó Hã Hã Hãe

Parmi les moments forts de cette semaine, une journée a été entièrement consacrée aux Indiens Pataxó Hã Hã Hãe. Originaires de la région d’Ilhéus, région productrice principale de cacao, ils luttent depuis plus de la moitié d’un siècle pour récupérer leur terre. Malgré une décision de justice en leur faveur, les fazendeiros (grands propriétaires) incitent encore quelques uns de leurs employés à la violence, obligeant les indiens à tenir des tours de garde la nuit. De plus, selon des études géologiques, il semblerait que cette terre soit riche en marbre bleu et attire donc les convoitises d’investisseurs. Déjà empruntée depuis des siècles et surexploitée, la déforestation laisse apparaître un sol appauvri et difficilement exploitable. La lutte de cette communauté est donc multiple et quotidienne. Au final de cette journée, les leaders du Mouvement Sans Terre ont pu partager quelques paroles encourageantes, faites d’empathie pour une lutte commune, celle de personnes en quête d’un lopin de terre pour y vivre dans la dignité.

Opprimés, puis oubliés, les indiens Pataxó reconstruisent aujourd’hui leur propre histoire et appellent la communauté internationale à les reconnaître.

Contexte et défis de la lutte pour l’habitat populaire

Cette semaine de rencontre constitua une bonne occasion pour faire le point avec notre partenaire : l’UNIÃO, et les différents volontaires E-CHANGER participant à ce programme (Franziska à Belo Horizonte, Christine et Joël à São Paulo et nous à Salvador de Bahia). Le contexte brésilien est éloquent. 12 millions de familles sans logement adéquat dont 8 millions de  » sans-toit  » se concentrent principalement en terre urbaine (N.d.l.r. : Le Brésil compte quelques 184 millions de personnes recensées). Ils font face à l’inévitable spéculation immobilière, la bureaucratie des programmes publique et peinent ainsi à obtenir un accès au crédit solidaire. Aujourd’hui les défis de l’habitat populaire résident principalement dans la lutte pour des ressources à fonds perdus et pour garantir une législation qui favorise les réformes urbaines.

Lieu d’échange, cette rencontre nous a permis de partager nos premières impressions d’arrivée avec celles des autres volontaires. Pour l’anecdote, nous nous sommes amusés à leur demander quels ont été leurs premiers besoins et leur premier achat significatif sur sol brésilien. Florilèges représentatifs de ce que vivent les volontaires à l’atterrissage.

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Premiers achats à l’arrivée des volontaires E-CHANGER Brésil

Yves-Alain, Caroline et leur Clémentine (depuis 2 mois au Brésil, arrivés dans la région du Maranho dans une terre reculée à l’intérieur des terres)

Un filtre à eau – Histoire de ne pas dévaliser à chaque fois l’unique supermarché du village qui ne vend que 4 à 5 bouteilles d’eau minérale par semaine et de bénéficier de suffisamment d’eau pour leur petite Clémentine (enfant de 16 mois). Selon leurs dires, ils se sont rués sur le premier filtre à eau qui garantissait l’un de leur premier besoin fondamental.

Christine et Joël (4 mois au Brésil, arrivés à São Paulo)

Le guide de Sao Paolo – Fraîchement débarqués sur le parvis de São Paolo, Chris et Joël ont vite réalisé l’ampleur de la ville (environ 12 millions d’habitants). L’achat du guide leur a servi à mieux se repérer dans cette mégapole.

Christine (6 mois au Brésil, arrivé à Turmalina)

Un hamac – Arrivée au Sud du Brésil, Christine s’est empressée de s’aménager un espace confortable, de repos et de bien-être en s’achetant un hamac.

Nathaniel, Clothilde, et leurs 3 enfants : Sophie, Malena et Yannis (1 an et quelques mois au Brésil, arrivés à Rio Grande do Sul)

Un kit de cuisine – Leurs affaires étant acheminées par container, ils se sont contentés d’acheter un kit de cuisine (cuisinière, table, chaises…) afin d’asseoir jusqu’à six personnes autour de leur table. Pour l’anecdote, leurs affaires suisses ne leur sont parvenues que quelques six mois après un périple maritime et douanier.

Franciska (1 an et demi au Brésil, arrivée à Belo Horizonte)

Des reais (monnaie du Brésil) – Une fois au Brésil, elle a voulu retirer de l’argent liquide et s’est aperçue que sa poste carte ne fonctionnait pas dans les  » bancomats  » brésiliens. Elle a donc acheté des reais grâce à ses travellers chèques en devises étrangères.

Jean-David et Célia (4 ans au Brésil, arrivés à Sergipe, vivant actuellement dans la région de Bahia)

Des pots de peintures jaune et bleu – Censés reprendre l’appartement de Bruno et Virginie (un couple d’ex volontaires) dans le Nordeste, ils se sont vite rendus compte que l’humidité avait rongé les couleurs originales des murs et que quelques moisissures apparaissaient ci et là. D’apparence décrépis, ils les ont repeint en jaune et bleu.

Mireille et ses enfants (5 ans au Brésil, arrivée dans la région de São Paolo)

??? – Elle se souvient de l’incontournable filtre à eau, mais aurait souhaité donner un exemple plus significatif de son état d’esprit à l’arrivée…

Philippe, Natacha et leurs enfants (6 ans au Brésil, arrivés à Petropolis, vivant actuellement à Ilhéus)

Un mini-Bus VW – Leur premier contrat à Petropolis (ville située à quelques 60 km de Rio Janeiro, dans des montagnes) supposait qu’ils vivent dans une ville au climat difficile (très froid et humide la nuit), lieu de villégiature pour tout le gotha de Rio de Janeiro. Leur premier achat, un mini-bus VW, leur laissait le loisir de découvrir le pays et de s’aérer quelque peu l’esprit des brumes de Petropolis.

Pascal, Denise et leur enfant (9 ans au Brésil, arrivés à Recife, vivant actuellement à Brasilia)

Un filtre à eau – Leurs affaires venaient en bateau, acheminées dans un container. Ils sont restés longtemps sans leurs meubles, à manger à même le sol. Leur premier achat fut un filtre à eau.

Marie-France, Valé et leurs enfants (16 ans au Brésil, arrivée dans le Maranhão)

??? – Mari est arrivée seule au Brésil et a rencontré son actuel mari : Valé. A la question de savoir quel était son premier achat à son arrivée, elle fronce les sourcils et peine à trouver une réponse. Au bout de seize ans, dit-elle, il ne reste quasiment en mémoire plus que des impressions.

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Première visite de quartier populaire : le Paraiso Azul

De retour à Salvador de Bahia, la leader, Mira, qui nous accompagnait à la rencontre d’Ilhéus nous a amené dans son quartier. Niché tout en haut d’une colline et encerclé par des immeubles de la classe moyenne, le  » Paraiso Azul  » est en totale reconstruction. Mira nous a raconté que, lorsqu’il sont venus s’installer, le quartier était désert – aucune construction n’existait. C’est seulement bien après l’occupation du terrain par les plus démunis que la zone a pris de la valeur.

Le quartier populaire  » Paraiso Azul  » est donc un cas un peu à part. Déjà, contrairement aux autres quartiers populaires, il est bien situé dans la ville. De ce fait, depuis plus de 32 ans, les habitants de ce quartier mènent une lutte pour garder ce terrain contre les promoteurs immobiliers et le voisinage de classe moyenne ne voyant pas leur présence d’un bon œil. Aujourd’hui une partie de leur bataille a été gagnée puisque la municipalité leur a octroyé des crédits pour construire différents logements collectifs.

Le quartier est en train de devenir un joli petit village coloré, avec des maisons de maximum trois étages, comportant un plan d’eau et des petites places. Parmi les constructions, un nouveau centre communautaire sera en fonction dès janvier 2007, tandis que l’ancien sera transformé en poste de santé. Les habitants de ce quartier nous ont particulièrement touché par leur volonté et ce qu’ils ont réussi à bâtir, mais aussi à travers l’accueil et le sens de la fête qu’ils ont su partager avec nous.

Notre immersion culturelle continue. A suivre.

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Claire Rinaldi et Olivier Grobet

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