“Prendre en compte les besoins réels de l’Afrique”

Le défi d’une coopération horizontale
 
 
Entretien avec Elisabeth Rotzetter, coordinatrice de Solidarmed en Tanzanie
 
 
Par Sergio Ferrari*
 
Après quatre ans de travail avec HakiElimu (Friends of Education) en Tanzanie comme coopérante d’Interteam Elisabeth Rotzetter, 50 ans, originaire du Canton de Fribourg, spécialiste en finances publiques, est aujourd’hui coordinatrice de Solidarmed dans ce pays de l’est africain. “Une expérience très riche. J’ai beaucoup plus appris en Afrique que ce que j’ai pu apporter sur le plan professionnel”, signale-t-elle dès le début de cette entretien exclusif. Ce continent au passé de “terre de mission” doit relever aujourd’hui nombre de défis et voit surgir de nouveaux acteurs. Le chemin est complexe, les enjeux importants. La coopération doit se montrer capable d’être “à l’écoute et de prendre en compte les besoins réels du Sud” pour apporter les bonnes réponses.
 
 
Pourquoi avez-vous quitté la Suisse pour l’Afrique ?
 
J’étais fonctionnaire fédérale depuis 16 ans. Je vivais à  Vuisternens-en-Ogoz, un village de 750 habitants, dans le canton de Fribourg. J’étais bien intégrée. J’ai été durant plusieurs années présidente de la Commission scolaire et membre du Conseil communal. Pourtant, je sentais qu’il me manquait quelque chose d’important. C’est pourquoi j’ai décidé d’aller travailler en Afrique. J’ai cherché un poste et quelques mois plus tard je me suis retrouvée à Dar Es Salaam, comme coopérante dans un projet d’Interteam. Je collaborais à la construction du système financier et administratif de l’organisation partenaire. Concrètement, il s’agissait de créer un système de gestion des ressources humaines, d’assurer le contrôle administratif (véhicules, télécommunications, immeuble, stocks) et le contrôle des recettes et des dépenses, etc.
 
DE LA SUISSE À LA TANZANIE
 
Cela représentait un changement complet tant sur le plan professionnel que personnel.
 
En effet. Au début, tout était difficile. Je vivais à 10 km du centre de la ville : il me fallait presque deux heures de transport public pour me rendre à mon travail. Mais au fil du temps, l’organisation partenaire est devenue une vraie famille pour moi. Elle avait été fondée par une vingtaine de personnalités locales, des professeurs de l’université, des experts en droits de l’homme, et avait pour objectif de consolider la mobilisation des citoyens, des parents, afin de parvenir à une amélioration de l’enseignement.  Notre rôle était d’informer et de former les gens sur les droits des citoyens dans le domaine de l’éducation.
 
Comment en êtes-vous arrivée au poste que vous occupez aujourd’hui ?
 
Au terme de quatre ans de volontariat, j’étais très intégrée dans la réalité quotidienne de la Tanzanie. J’ai estimé que le moment était venu de me confronter à de nouveaux défis. J’ai posé ma candidature pour le poste de coordinatrice de Solidarmed dans ce pays, où nous sommes présents au nord et au sud à travers deux projets principaux, et elle a été retenue.
Notre objectif essentiel est d’améliorer le système médical et sanitaire. Nous mettons en place des actions d’éducation (par exemple à propos du choléra et du sida), de prévention, d’organisation dans les villages. Nous soutenons également deux hôpitaux qui dispensent la trithérapie aux malades du sida. Dans ce domaine, nous suivons les politiques et les lignes directrices du gouvernement tanzanien. Nous participons à la consolidation de l’État sans nous substituer à lui. C’est le seul moyen si nous voulons que notre aide ait des effets durables.
 
L’APPORT INTERPERSONNEL
 
Après cette riche et longue expérience dans l’est africain, comment évaluez-vous la présence de coopérants expatriés, de la coopération, par le biais de l’échange de personnes ?
 
Le volontariat est très positif. En tout cas, ma propre expérience l’est incontestablement. Je suis consciente, il est vrai, que ce n’est pas toujours facile. J’ai connu des coopérants qui ont rencontré davantage de problèmes. J’ai eu pour ma part la chance de travailler au sein d’une organisation bien structurée, qui savait parfaitement ce qu’elle attendait de moi.
 
Vous soulignez l’importance de la solidité du partenaire.
 
Tout à fait. L’une des difficultés que rencontrent les organisations du Sud, du moins en Afrique, réside dans le fait qu’elles n’ont pas toujours la structure nécessaire à l’accueil de volontaires. Ce n’est pas le coopérant qui va créer l’organisation. Il n’est qu’un appui. Les ONG helvétiques sont souvent confrontées au problème du choix du type de partenaire.
 
Cela tient-il à la faiblesse de l’organisation de la société civile africaine ? D’où vient cette fragilité ?
 
Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. Par contre, j’estime qu’il faut se remettre en question en permanence. L’ONG du Nord offre un service. Mais que veulent réellement les pays du Sud ? Nous devons dialoguer davantage avec eux pour savoir ce dont ils ont réellement besoin. Une vraie écoute, un vrai respect sont essentiels. D’un point de vue conceptuel, la relation de partenariat est magnifique. Mais que signifie-t-elle réellement ?
 
LA NOTION DE PARTENARIAT
 
Avez-vous une réponse à cette question ? Que signifie réellement une relation de partenariat en Afrique ?
 
Idéalement, c’est une relation totalement égalitaire, horizontale. Mais il n’en va pas toujours ainsi. Le Sud a besoin du Nord. Le Nord a besoin de postes pour ses coopérants. C’est sur cette base que s’établit une relation qui peut être enrichissante, mais qui peut également être porteuse de déséquilibres : si du jour au lendemain la coopération décide de se retirer, la Tanzanie, l’Afrique, le Sud continuent cependant d’exister et doivent pouvoir survivre.
 
 Cela veut dire que le Sud n’attend pas toujours le volontaire du Nord…
 
Effectivement. Ils ne nous attendent pas toujours les bras ouverts. Ils ne sont pas là pour nous attendre. Ils ne peuvent pas nous attendre. Il existe de petites ONG qui parient particulièrement sur les fonds. Parfois, la présence d’une personne ne suffit pas si nous voulons être efficaces.
 
Vous venez de signaler un élément vital : la nécessité pour les organisations suisses et celles du Nord de se montrer davantage capables d’entendre les demandes des pays du Sud. Existe-t-il une méthode idéale ?
 
Non, il n’existe aucune formule magique. Une coordination stable, présente dans le pays sur le long terme, ayant une bonne capacité d’écoute et de médiation est sans doute un atout. Tout cela ne se fait pas du jour au lendemain. L’Afrique et l’Europe ne sont pas sur la même planète du point de vue du temps. S’il est vrai qu’il faut évaluer l’impact de la coopération, celui-ci ne se mesure pas en deux ou trois ans à travers la présence d’un coopérant.
 
RECEVOIR PLUS QUE DONNER
 
Puisque nous parlons de temps… Quel est le bilan de ces quatre ans de coopération ?
 
Excellent ! J’ai plus appris sur l’Afrique et la Tanzanie que je n’ai apporté. Particulièrement sur le fonctionnement du système, la culture, l’autre. J’ai travaillé avec des professionnels confirmés qui m’ont fait profiter de leurs connaissances, de leur grande expérience. Certes, j’avais des moyens techniques à ma disposition, mais en tant qu’expatriée j’ai dû livrer des batailles pour avoir confiance en moi, acquérir la capacité de relativiser, apprendre la patience… Et parallèlement, j’ai mené toute une réflexion de fond sur les valeurs de l’existence, les valeurs humaines essentielles, telles la qualité de la vie, le rythme quotidien ou l’importance de la santé.
 
 Quel a été votre apport ?
 
J’ai contribué à la rationalisation de l’organisation de l’ONG où je travaillais. J’ai aidé à clarifier la structure, les tâches. C’est ce que l’on m’avait demandé. J’ai également aidé le personnel à apprendre à aller au fond des choses, à avoir le sens du détail, à pouvoir expliquer clairement la raison de certaines méthodes.
 
LE TEMPS, UN CONCEPT ESSENTIEL
 
Selon vous, que doivent faire les ONG suisses et du Nord pour améliorer la relation de partenariat avec les organisations africaines ?
 
Comme je l’ai dit il y a un instant, il faut prendre du temps, avoir des gens sur le terrain qui écoutent les partenaires et tenir compte des besoins qu’ils expriment. Les gens aspirent à une vie meilleure, à avoir un travail, un salaire décent, à bénéficier d’une protection sociale…
 
Comment jugez-vous votre fonction actuelle de coordinatrice de projets par rapport à celle de coopérante que vous aviez avant ?
 
Ce sont des rôles différents. Mon travail actuel est peut-être plus ambigu. Je suis là pour réaliser des projets. L’ambiguïté réside dans le fait que nous voulons une relation de partenariat, mais que souvent l’organisation nous considère comme des donateurs, des gens qui offrent des moyens, des avantages. Nous devons alors expliquer clairement que certes, nous pouvons fournir des ressources, mais que nous voulons les mettre à la disposition d’organisations avec qui nous partageons des objectifs de fond bien définis. Ce n’est pas toujours facile. Je reçois presque chaque jour des gens qui viennent demander un appui. Mes collègues tanzaniens me demandent de leur expliquer cette règle, car s’ils le font eux-mêmes, on ne les croit pas, on pense qu’ils gardent l’argent pour eux.
 
C’est là la conséquence de l’histoire coloniale, des missions.
 
 Sans doute. Cela correspond à la tradition de la coopération en Afrique.
 
LE CONTINENT DE L’ESPOIR
 
Je voudrais terminer par quelques questions concernant votre vision de la relation entre la Suisse et l’Afrique. En premier lieu, on dit couramment que l’Afrique est un continent en perdition, un continent condamné. Qu’en est-il ?
 
Ce n’est pas vrai. Ce continent est au contraire en pleine croissance. Surtout, et c’est là l’une des grandes différences avec la Suisse, il y a ici beaucoup d’espoir. Les gens ont la conviction que tout peut s’améliorer.
 
On affirme également que la société civile africaine est faible.
 
Je crois que cela est assez vrai. Mais on observe une grande mobilité sociale. Certains secteurs intellectuels africains estiment que les ONG sont une partie de la société civile, mais ne la représentent pas dans son ensemble. Les ONG sont d’ailleurs critiquées du fait qu’elles n’ont pas de structures démocratiques.
 
Pour finir, selon vous qui avez une vision suisse mais également une vision africaine, quel est le meilleur potentiel du continent aujourd’hui ?
 
J’admire énormément les femmes africaines. Elles agissent, elles s’expriment, et malgré les énormes problèmes auxquels elles sont confrontées –la responsabilité de la famille, de la survie- elles sont toujours présentes, activement présentes.
 
 
*de retour de Nairobi (Kenya)
Traduction Michèle Faure
Collaboration UNITE, plateforme d’ONG de coopération solidaire
Distribué par le service de presse d’E-CHANGER (membre d’UNITE)

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