Quand le développement crée la pauvreté, l’exemple du Ladakh

Jusque dans les années 70, la société ladakhie était une société emprunte de relations humaines fortes entre les habitants de la région. Cette société a certainement aussi fabriqué des mécanismes d’exclusion ce qui est propre à chaque société. Cependant, les gens vivaient ensemble dans des villages une vie où chacun avait sa place, son utilité, tous étant au service de la communauté. Vie laborieuse aussi, bien sûr, mais où le dénuement matériel n’était pas signe de misère ni d’isolement, où la famine n’existait pas, où le travail n’était pas une aliénation. Les êtres humains se sentaient respectés et fiers d’être ladakhie.

A partir des années 70, le Ladakh va « s’ouvrir au monde ». Sans verser dans un manichéisme excessif ou simplificateur, nous nous apercevons que petit à petit, le tourisme, l’influence occidentale et le modernisme vont bouleverser les repères et les mentalités. Pas à pas, le processus de "développement" va s’accompagner d’une montée du sentiment d’infériorité chez les "sous-développées" et d’un rejet de leur propre culture. Nous nous apercevons alors que la pauvreté peut prendre plusieurs visages : celle du dénuement matériel, qui était autrefois bien vécu au Ladakh, et celle de la misère sociale, liée à un complexe d’infériorité, qui ravage aujourd’hui la société ladakhie.

Loin d’être figée, la société ladakhie avait trouvé un équilibre qui faisait de l’Homme un outil au service de la communauté. Cet équilibre résidait dans l’accumulation de l’expérience acquise par les anciens. La confrontation avec la logique d’accumulation propre au « développement » a fait voler en éclats des siècles d’accumulation de savoirs.

En effet, avant l’ouverture au monde « Occidental » et à la société de consommation des années 70, il n’y avait pas de « chômage » au Ladakh, personne ne vivait dans la rue, les jeunes n’avaient pas honte d’être ladakhie… Aujourd’hui le chômage et les personnes sans domicile sont en constante expansion…[1]

Majid Rahnema explique très bien ce phénomène.
« Avec le développement, la diffusion des besoins socialement fabriqués s’accélère. Le poids des médias, du tourisme de masse, et la pression exercée par le modèle occidental, imposent une véritable domination symbolique et donc une volonté d’accession à la consommation. Certains pourront y accéder certes, mais d’autres en seront exclus et ceux-là connaîtront la misère. Misère matérielle d’abord, mais aussi, puisque les autres s’écarteront d’eux pour rentrer dans des logiques de consommation et d’accumulation, misère sociale.

C’est ainsi que l’exclusion économique s’accompagnera ensuite d’une misère sociale, relationnelle, puisque ces personnes se verront mises à l’écart du train du développement pris par ceux qui auront su et voulu s’adapter au modèle proposé par l’occident. Le développement a créé de la richesse pour quelques uns et a transformé la pauvreté de la majorité en misère généralisée. »[2]

A travers cet exemple, il ne s’agit évidemment pas de prôner le renfermement sur soi, ou de faire écho au mythe du « bon sauvage » qui veut que les sociétés dites traditionnelles (cette notion étant elle-même complètement questionnable, voir dénué de sens) étaient toutes des sociétés heureuses.

Il s’agit simplement de prendre conscience que le « développement » n’est pas forcément une bonne chose et que ce processus peut s’avérer très négatif pour les populations qui le vivent. Il convient donc de s’interroger sur le type de développement que nous voulons. Ou plutôt il convient de permettre à chaque peuple, chaque pays et chaque personne de décider de la manière dont il voudrait chercher à « mieux-vivre ».

Comme le souligne l’auteur Malien Amadou Hampaté Ba :
« Nous ne tenons nullement à maintenir de façon stationnaire des cultures traditionnelles ; tout n’est pas bon à retenir. Tout ce qui vient de l’occident n’est pas non plus à rejeter. Nous voulons que nos cultures avancent dans la continuité de leurs valeurs fondamentales et de leur histoire. C’est ce que j’appelle s’ouvrir sur l‘avenir sans perdre le passé. »[3]
Pour plus de réflexions sur ce sujet voir le blog http://boribana.over-blog.com

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[1]Pour plus d’information sur cette exemple voir le livre d’Helena Norberg-Hodge, « Quand le développement crée la pauvreté : l’exemple du Ladakh ».
[2] L’argumentation de Majid Rahnema est reprise par Florence Rodhain et Claude Llena dans un article intitulé Changer les mots à défaut de changer les choses ? – Le Développement peut-il être durable ?
[3] Extrait du travail de préparation au séminaire « L’extrême pauvreté et l’exclusion en Afrique » organisé en 1982 par ATD Quart Monde

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