Quelques brèves concernant l’Amazonie et les Indigènes du Brésil AYA Info – No 110 Genève, le 28 juin 2016

La Ville de Genève solidaire des Yanomami

En mars déjà, le Conseil Administratif de la Ville de Genève a décidé de soutenir un projet – présenté par AYA – de promotion de la santé par des agents multiplicateurs Yanomami. Un projet élaboré par l’Association Service et Coopération avec le peuple Yanomami – SECOYA de Manaus (Brésil), prévu pour un an à partir d’avril 2016.

Le groupe cible bénéficiaire du projet est composé des habitants de onze villages (xapono*) regroupant les 2’000 Yanomami établis le long du rio Marauiá, dans la Terre Indigène Yanomami – TIY. Il s’agit de réduire de 50% la dénutrition susceptible de toucher les 350 enfants de 0 à 5 ans de cette région de la municipalité de Santa Isabel do Rio Negro.

La Secoya compte atteindre son objectif de diverses façons. En formant la trentaine d’Agents Indigènes de Santé – AIS déjà sur le terrain pour qu’ils soient capables de suivre la population infantile. En impliquant un réseau de femmes « multiplicatrices », formées en matière d’équilibre nutritionnel et aux conditions d’hygiène nécessaires à la bonne croissance des enfants. En rendant l’accès à l’eau potable à une partie plus importante de la population, notamment par l’utilisation du système de purificateur d’eau** « Ecolágua ». En formant la population à des pratiques d’hygiène sûres (hygiène du milieu, domestique et personnelle). En sensibilisant cette population à l’importance d’un apport quotidien en protéines, particulièrement en valorisant les ressources traditionnelles.

La participation de la Ville de Genève ne couvre pas l’entier du budget du projet. AYA recherche un complément de financement auprès d’autres collectivités publique et de particuliers. Les dons*** sont donc les bienvenus.

En 2011, la Ville de Genève**** a déjà soutenu le programme de santé de la Secoya, également présenté par AYA, en finançant des cours de formation pour les Agents Indigènes de Santé. Au nom de ses partenaires, AYA tient à exprimer sa vive gratitude à la Délégation Genève Ville Solidaire pour l’appui qu’elle apporte à ce programme de santé.

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* Prononcer « Chapono » / ** Voir AYA Info No 106 du 28 octobre 2015 / *** AYA CCP No 17-55066-2 **** Voir AYA Info No 65 du 30 octobre 2011

 

Musée d’Ethnographie de Genève : L’Amazonie sans la chaleur ni l’humidité !

C’est dans la fraîcheur de l’air conditionné que le Musée d’Ethnographie de Genève – MEG présente, depuis ce 20 mai, une exposition temporaire* consacrée à l’Amazonie sous le titre évocateur : « Le chamane et la pensée de la forêt ». Une immersion dans la culture et l’histoire des peuples amazoniens facilitée par la présentation attractive d’objets, d’images, d’enregistrements rapportés par des voyageurs, des ethnologues, des photographes au fil des ans. Un ensemble qui constitue la très riche collection du musée.

Emouvante, la vitrine consacrée à Paul Lambert, l’auteur du film « Fraternelle Amazonie« , on y voit son sac à dos, sa machine à écrire, son enregistreur… alors que dans le « xabono » voisin, il est possible de visionner des vidéos enregistrées, par des indigènes eux-mêmes, à l’aide de smartphones… L’Amazonie du 21e siècle n’est pas oubliée.

Une installation interactive montre comment des organisations indigènes de l’Amazonie péruvienne s’organisent pour la défense de leurs territoires affectés par l’extraction de bois, d’or et de pétrole. Des « observateurs » indigènes vont sur le terrain, prennent des photos géoréférencées qui alimentent une base de données leur permettant de dénoncer cette situation auprès des autorités politiques. La formation de ces observateurs est le résultat d’un partenariat entre la Fédération des Communautés Natives du Haut-Tigre – FECONAT et le Mouvement pour la Coopération Internationale – MCI, une ONG genevoise qui a reçu l’appui de la Confédération et de collectivités publiques genevoises par l’intermédiaire de la Fédération Genevoise de Coopération – FGC**.

Toujours dans le « xabono« , la série de vidéos « Donner la parole » est le résultat d’un projet participatif initié par le MEG et le MCI. Deux jeunes membres de la Coordination des Organisations Indigènes de l’Amazonie Brésilienne – COIAB (Manaus) ont interviewé dix-huit leaders indigènes brésiliennes et brésiliens et cinq péruviens qui font part de leurs préoccupations en rapport avec la destruction de leur environnement et le non respect de leurs droits.

Depuis l’enregistrement de ces témoignages, avec les récents événements politiques qui agitent le Brésil, les menaces qui pèsent sur les droits territoriaux des peuples indigènes, non seulement amazoniens, mais de l’ensemble du pays, se font plus précises.

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* Cette exposition a été réalisée sous le patronage de la Commission Suisse pour l’UNESCO. Elle est ouverte jusqu’au 8 janvier 2017. De nombreux « événements » sont prévus dans le cadre de cette exposition : voir « Totem » No 71, le bulletin du MEG sur son site Internet.

** Outre le MCI, Terre des Hommes Suisse (Genève), et bien sûr AYA entretiennent des partenariats avec organisations indigènes amazoniennes.

 

Les peuples indigènes dans les turbulences politiques brésiliennes

Les medias ont abondamment traité de la décision prise par le parlement brésilien, le 17 avril dernier à la Chambre des députés, puis au Sénat le 12 mai, d’engager une procédure de destitution de la Présidente de la république, Dilma Rousseff. Celle-ci a maintenant six mois pour assurer sa défense. Le Vice-président de la république, Michel Temer assure l’intérim. Il a changé la composition du gouvernement.

Avant sa mise à l’écart, l’ancienne équipe gouvernementale a pris un certain nombre de dispositions relatives aux peuples indigènes et à leurs droits territoriaux.

Le 27 avril, le Ministre de la Justice d’alors, Eugênio Aragão, a installé le Conseil National de Politique Indigéniste – CNPI créé par Décret présidentiel du 17 décembre 2015. Cet organe a remplacé l’ancienne Commission Nationale de Politique Indigéniste. Il s’agit d’un organe consultatif que les organisations indigènes auraient souhaité lui voir attribuer un rôle délibératif.

La présidente de la république a signé les décrets d’homologation de plusieurs Terres Indigènes – TI. Le 5 avril a été publié le décret concernant la TI Cachoeira Seca do Iriri. D’une surface de 7’336 km2, elle est située dans le Sud-est de l’État du Pará. Elle est occupée par les Arara, un peuple, de moins de 400 individus, menacé d’extinction. Le Ministère public fédéral du Pará – MPF en réclamait la démarcation depuis 2010. C’était une condition à respecter avant même le début des travaux de construction du complexe hydroélectrique de Belo Monte. Selon le MPF, il s’agit d’une des TI les plus envahies par les madeireiros (les exploitants forestiers) et où l’on observe l’un des indices de déforestation illégale les plus élevés du pays. Greenpeace Brésil s’est réjoui de la décision d’homologation attendue depuis une trentaine d’années.

Selon un bilan établi par l’Instituto Socioambiental- ISA, depuis le début de 2016, le Ministre de la justice a publié une douzaine d’Arrêtés reconnaissant des TI. L’ancien président de la Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI, João Pedro Gonçalves da Costa a signé neuf arrêtés d’identification de TI. Et trois TI ont été homologuées par la présidente, dont la TI Cachoeira Seca.

La Funai a changé de président, le nouveau titulaire est Artur Nobre Mendes, un fonctionnaire de l’institution qui avait déjà assumé cette tâche entre août 2002 et janvier 2003, à la fin du mandat présidentiel de Fernando Henrique Cardoso. Le Ministère de la Justice – dont dépend la Funai – a également changé de titulaire : Eugênio Aragão a laissé sa place à Alexandre Moraes. Le 13 mai, une délégation de leaders indigènes l’ont rencontré brièvement pour lui faire part de leurs préoccupations par rapport à certaines informations parues dans les medias, évoquant la révocation des dernières mesures relatives aux droits territoriaux pris sous la présidence de Dilma Rousseff.

 

Une importante mobilisation à Brasilia

Le 10 mai, environ 800 délégués des Peuples Indigènes de toutes les parties du Brésil ont planté leurs tentes pour trois jours à Brasilia, près du Mémorial des Peuples Indigènes. C’est la 12e édition de « l’Acampamento Terra Livre » ATL (Campement Terre Libre). Une manifestation convoquée par l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB pour la défense des droits territoriaux, notamment la démarcation des Terres Indigènes. Cette rencontre 2016, on l’a vu, a eu lieu dans un contexte politique très particulier : la poursuite, par le parlement, de la procédure visant à destituer la Présidente de la République, Dilma Rousseff.

Le Manifeste publié au terme de l’ATL est clair : « Notre préoccupation augmente devant l’installation d’un nouveau gouvernement que la majorité des secteurs sociaux et populaires, comme nous, considère illégitime (…) ajusté aux intérêts privés qui prennent d’assaut l’Etat et qui menacent de réduire les droits sociaux acquis. Et, au nom de l’ordre et du progrès, [ils] ont l’intention d’approuver des mesures administratives, juridiques et législatives pour envahir, une fois de plus, nos territoires avec de grands ouvrages, exploitation minière, centrales hydroélectriques, ports, routes et vois ferrées entre autres… (…) Nous, peuples et organisations, affirmons publiquement notre détermination de ne jamais abandonner la défense de nos droits constitutionnels. (…) Nous disons au Gouvernement Temer que nous ne permettrons aucun recul d’aucun type. Avec détermination nous continuerons notre lutte pour l’application effective de nos droits ».

Le 19 mai, en raison de l’évolution de la situation, l’APIB a publié une « Lettre ouverte » au gouvernement du président intérimaire. Elle rappelle la mobilisation de Brasilia. Elle s’inquiète de ne pas avoir vu la Funai et le Conseil National de Politique Indigéniste – CNPI dans l’organigramme du nouveau gouvernement et de l’éventualité, évoquée par les médias, de l’annulation des décrets d’homologation des Terres Indigènes signés par Dilma Rousseff. Elle réaffirme que pour les peuples indigènes « la terre signifie la Vie« , « la « question de la terre » représente un aspect fondamental des droits et prérogatives constitutionnelles qui nous sont assurés » (…) « Sans l’accès à la terre nous sommes exposés au risque gravissime de désintégration culturelle, de la perte de notre identité ethnique, de la dissolution de nos liens historiques, sociaux et anthropologiques et à l’érosion de notre propre perception et conscience comme peuple« . L’APIB reprend la conclusion du manifeste publié au terme du rassemblement « Terre Libre » : « Nous, peuples et organisations indigènes n’admettons aucun recul, d’aucun type [de nos droits constitutionnels] ».

 

Toujours la violence contre les Guarani au Mato Grosso do Sul

La commune de Caarapó, dans l’État brésilien du Mato Grosso do Sul a été le théâtre de violences à l’endroit d’une communauté Guarani Kaiowá. Au matin du 14 juin, un groupe d’environ 70 fazendeiros a attaqué, pendant plusieurs heures, les Guarani Kaiowa qui occupaient depuis deux jours la Fazenda Yvu sur la Terre Indigène (TI) Dourados-Amambaipeguá I. Une TI d’une surface d’environ 560 km2, identifiée comme telle par la Funai le 11 mai dernier, après que les leaders aient occupé le siège de la Fondation à Brasilia.

Un jeune agent indigène de santé de 23 ans, Clodiodi Rodrigues Souza a été tué, et, selon les témoignages recueillis par le Conseil Indigéniste Missionnaire – CIMI, six indigènes ont été acheminés vers un hôpital. Les Guararni revendiquent cette terre, leur « Tekoha Te’iy Jusu » depuis une trentaine d’années.

L’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB « exige du gouvernement intérimaire de Michel Temer l’immédiate éclaircissement de ce crime et la punition des responsables, propriétaires ou hommes de mains de l’agrobusiness organisés en véritables milices ». C’est déjà dans un conflit de la terre qu’a été assassiné, le 1er décembre 2013 dans la même région, Ambrósio Vilhalva, le leader Guarani, acteur du film de Marco Bechis « La Terre des hommes rouges« .

Cet acte de violence est un épisode de plus dans la guerre que livrent les fazendeiros à ce « Peuple premier » de cette partie du territoire brésilien, et cela depuis de nombreuses années. Entre 2003 et 2014 le CIMI a recensé 377 assassinats commis contre des indigènes de cet État, soit 55% des 686 commis contre cette partie de la population dans tout le Brésil.

Le Mato Grosso do Sul a une superficie de 357’000 km2, soit autant que l’Allemagne. Il compte maintenant environ 2,6 millions d’habitants. En 2010, il comptait un peu plus de 73’000 indigènes occupant, selon l’Institut Socioambiental, 53 TI, dont une dizaine sont en phase « d’identification ». Dans une interview, l’anthropologue Spensy Pimentel, souligne que les Guarani Kaiowá revendiquent seulement 2% des terres de cet État…

De nombreuses entités, tant au niveau brésilien qu’au niveau international ont manifesté leur indignation en rapport avec cette violence.

Bernard Comoli

 

Important : L’activation des liens hypertextes (en rouge) renvoie aux sources utilisées pour la rédaction de ce bulletin. Elles sont souvent en portugais, sauf quand il s’agit d’anciens « AYA Info ».

PS : Ces brèves sont souvent reprises, détaillées et parfois illustrées, dans un blog du quotidien « La Tribune de Genève » à l’adresse suivante : http://bcomoli.blog.tdg.ch

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