Quelques brèves concernant l’Amazonie et les Indigènes du Brésil AYA Info – No 111 – Genève, le 29 août 2016

Ecotourisme Yanomami au Pico da Neblina ?

Partie le 13 juillet, une expédition de trente-deux personnes a parcouru, pendant dix jours, les 36 kilomètres qui séparent São Gabriel da Cachoeira du sommet du Pico da Neblina (le Pic du Brouillard), culminant à 2’995 mètres. C’est le point le plus élevé du Brésil. La montagne, appelée « Yaripo » (montagne du vent, de la tempête) par les Yanomami, est un lieu sacré. Elle se trouve dans la Terre Indigène (TI) Yanomami, au nord-est de l’État d’Amazonas, à la frontière avec le Venezuela. Elle est également à l’intérieur du Parc National da Neblina, créé en 1979 dont l’accès est interdit depuis 2003.

L’expédition avait pour objectif d’évaluer les possibilités de développer un projet appelé « Ecotourisme Yaripo« , susceptible d’impliquer directement quatre-vingts Yanomami et de bénéficier à plus de huit cents membres des diverses communautés. L’idée de créer une telle activité – possible alternative à l’orpaillage illégal pratiqué par des habitants de ces villages – a été discutée et retenue lors de la 14e assemblée de l’Association Yanomami du Rio Cauburis et Affluents – AYRCA, tenue à Maturacá en juillet 2015.

L’expédition était composée de membres de diverses entités. Les plus nombreux, dix-huit Yanomami, de l’AYRCA et de l’Association des femmes Yanomami Kumirayõma représentée par Floriza et Maria. Cette dernière, à cette occasion, est la première femme indigène à atteindre le sommet du Pic. Sa compagne, Floriza, a dû interrompre l’ascension. En effet, un jour avant d’arriver au sommet, elle a eu ses règles. Un état qui, dans la tradition Yanomami, déplaît fortement aux esprits occupant ce lieu. Elle n’a pas continué pour ne pas mettre en péril sa vie et celle de ceux qui l’accompagnent. Parmi les Yanomami, le Pajé* Carlos qui a vécu depuis son enfance près de cette montagne. Son rôle était de protéger spirituellement les membres de l’expédition des esprits dangereux qui, toujours selon la tradition, occupent ce territoire. Le groupe comptait aussi des représentants de l’Institut Socio-environnemental – ISA, de l’Institut Chico Mendes de Conservation de la Biodiversité – ICMBio, de la Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI, du Ministère Public Fédéral et de l’Armée. Le projet ne devrait pas voir le jour avant 2018. Pour sa mise en œuvre, les deux entités, ISA et AYRCA, cherchent des appuis.

Créer une telle activité n’est pas sans conséquences pour les communautés et les territoires concernés. La règle générale veut que l’entrée dans une TI soit interdite aux « étrangers ». Cependant, la Funai en autorise l’accès sous certaines conditions définies dans une « Instruction normative« : par exemple ne pas introduire de boissons alcooliques, ne pas porter d’armes à feu… De son côté, l’ICMBio est responsable d’appliquer le Décret de 2012 relatif à la Politique Nationale de Gestion Territoriale et Environnementale des Terres Indigènes – PINGATI. Un texte qui définit également les conditions dans lesquelles peuvent s’exercer ce type d’activité. Compte tenu des restrictions budgétaires qu’elles connaissent, les deux entités publiques en charge de la protection des TI et des Parcs nationaux, la Funai et l’ICMBio, auront-elles les moyens d’accompagner ce nouveau tourisme ?

Une telle activité est susceptible d’avoir des conséquences sur la cohésion au sein, et entre les communautés si les gains générés ne sont pas répartis équitablement. Trop souvent, il a été constaté que l’arrivée de ressources importantes a divisé des communautés et des associations. Les initiateurs du projet sont certainement conscients de ce problème.

* Un Pajé est une sorte de chamane.

 

L’APIB appelle à occuper des locaux de la FUNAI

À la fin du mois de juin, l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB s’est inquiétée de l’intention du gouvernement intérimaire de Michel Temer de nommer le général de réserve Roberto Sebastião Peternelli à la présidence de la Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI. C’est un militaire qui avait été candidat malheureux à la Chambre des Députés aux élections de 2014 sous l’étiquette du Parti Social Chrétien. Pour l’Articulation, Peternelli est favorable à la Proposition d’amendement constitutionnel qui veut transférer de l’exécutif au pouvoir législatif le dernier mot sur la démarcation des Terres Indigènes – TI, la PEC 215/2000, en fait, un amendement hostile à la protection des TI. Toujours selon l’APIB, si elle se confirmait, cette nomination conduirait à militariser la politique indigéniste avec des conséquences imprévisibles, renforçant la perspective d’un État policier avec la criminalisation des mouvements sociaux. Face aux nombreuses protestations, le gouvernement n’a pas persisté à nommer ce militaire. Il est à la recherche d’autres candidats.

L’Articulation craint également que le gouvernement ne révoque les derniers décrets de démarcation de plusieurs TI signés par Dilma Rousseff avant sa mise à l’écart du pouvoir le 12 mai.

L’APIB a invité les Peuples et les organisations indigènes de tout le pays à se mobiliser et occuper les locaux de la FUNAI le 13 juillet pour la défense des droits fondamentaux des Peuples indigènes spécialement le droit originaire à leurs terres traditionnelles. L’opération « Ocupa Funai » (Occupe la Funai) vise à renforcer l’institution mise en danger par diverses mesures, notamment par une Commission parlementaire d’enquête dirigée contre elle.

Selon le bilan publié par l’APIB le 20 juillet, ce sont 35 occupations qui ont été réalisées dans tout le Brésil. L’Articulation a reçu l’appui de partis politiques, d’associations de la société civile, des milieux académiques.

Le 3 août, le Ministre de la Justice, Alexandre de Moraes a participé à l’ouverture de la 2e réunion ordinaire du Conseil National de Politique Indigéniste. Il s’est voulu rassurant quant au respect et à la préservation des droits acquis par les peuples indigènes.

Le 9 août dernier, Journée Internationale des Peuples Indigènes, une délégation d’Indiens a rencontré le Président de la Chambre des Députés, Rodrigo Maia qui leur a affirmé que la discussion de la PEC 215 n’est pas une priorité dans son agenda. Pour l’heure, la mobilisation des peuples et organisations indigènes semble avoir porté ses fruits.

Reste que du côté parlementaire des voix se sont déjà faites entendre au sujet de la démarcation des TI. Selon un article publié le 14 août par le quotidien « A Crítica » de Manaus, les membres groupe parlementaire de l’État d’Amazonas ont exprimé leur intention de demander au Président par intérim la révocation de décrets signés en mai dernier par Dilma Rousseff. Ils concernent la création de cinq unités de conservation et l’homologation de deux TI.

Dans ce contexte, l’APIB et le CNS (Conseil National des Populations « Extrativistes ») représentant les communautés qui vivent de l’extraction traditionnelle des produits de la pêche et de la forêt, ont décidé, le 10 août, de travailler ensemble pour la défense de leurs droits, territoires respectifs et intérêts communs face à l’évolution politique considérée menaçante.

Le 22 août, dans la perspective de nomination d’un nouveau président de la Funai, l’APIB a adressé une lettre au Ministre de la Justice indiquant le profil du nouveau titulaire et les engagements qu’ils devraient prendre.

 

La santé des Xikrin* toujours mise en danger par Vale SA

Inlassablement, le docteur João Paulo Botelho Vieira Filho attire l’attention sur l’état de santé du peuple Xikrin de la Terre Indigène Kateté. Son dernier rapport, publié en juillet, rappelle a quel point la pollution engendrée par l’usine de Onça Puma, exploitée par la multinationale Vale, impacte le quotidien des 1’282 Xikrin habitant les trois villages Kateté, Djudjê-kô et Oodjã.

L’eau du Rio Cateté qu’ils boivent, dans laquelle ils se baignent, préparent les aliments qu’ils consomment, pêchent les poissons qui composent une bonne partie de leur nourriture est polluée. L’air qu’ils respirent est également pollué par les poussières toxiques relâchées dans l’atmosphère. Cette pollution atteint les animaux qu’ils chassent et l’ensemble de la végétation de la région. C’est bien tout l’environnement qui est atteint. Le médecin note quelques mesures déjà prises mais souligne que la pollution persiste. Il en appelle à Vale pour qu’elle y mette un terme. Récemment, à la demande des Xikrin, le vidéaste genevois Aurélien Fontanet a réalisé une vidéo de quelques minutes sur cette pollution. Elle a été mise en ligne sur Youtube au début de ce mois d’août.

Le 9 août, les Xikrin, sous l’égide du Ministère Public Fédéral du Pará ont signé avec Vale un accord de compensation financière en vue d’atténuer les dommages causés aux communautés par l’exploitation minière de Onça Puma. Mais l’origine de la pollution, et les mesures à prendre pour y mettre un terme font encore l’objet d’une controverse.

Une autre préoccupation du docteur Botelho concerne le contenu des repas scolaires – en brésilien, le « Merenda escolar » servis aux enfants et étudiants Xikrin : il le juge inapproprié et préjudiciable à leur santé. Il a observé que les groupes indigènes qui ont abandonné la diète traditionnelle pour la diète industrielle ou « occidentale » présentent un taux élevé d’obésité et de diabète, sources de complications graves. Il recommande l’application de l’art. 12 du décret 6861/2009 qui précise que « L’alimentation scolaire destinée aux écoles indigènes doit respecter les habitudes alimentaires des communautés… » Plus concrètement, il demande que soient notamment bannis des repas scolaires les aliments contenant du sucre cristallisé. Il recommande aux collectivités publiques – municipalités et État du Pará – en charge de fournir les repas, de s’inspirer de pratiques en cours dans plusieurs Terres Indigènes de l’État de São Paulo qui utilisent des aliments issus de cultures traditionnelles des communautés indigènes. Pour le docteur, l’idéal serait que les indiens fournissent les aliments tirés de leurs propres cultures pour les repas scolaires. Produits achetés par les municipalités et gouvernements des États, ce qui aurait l’avantage de renforcer l’économie des villages et contribuerait à réduire la pauvreté.

* Prononcer « Chikrin ».

 

Rio Tapajós : Les Munduruku gagnent une bataille

Le 5 août, l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables – IBAMA a classé le processus d’autorisation de construction de l’usine hydroélectrique de São Luiz du Tapajós. Un barrage projeté en amont de la localité d’Itaituba, dans l’État du Pará, d’une puissance prévue de 8’000 MW inondant une aire de 729 km2 (Lac Léman 581 km2).

Les premiers opposants à la réalisation de cet ouvrage ont été les Indiens Munduruku, le barrage allant inonder une partie de leur cadre de vie en particulier la Terre Indigène – TI Sawré Muybu. Dès janvier 1988, ils ont manifesté leur préoccupation en raison des relevés topographiques réalisés sur leurs terres, en lien avec l’éventualité de construction de trois barrages dans le Haut Tapajós. Plus tard, la menace s’est précisée avec l’inscription du barrage dans le Programme d’Accélération de la Croissance – PAC. En juin 2013, leur opposition s’est concrétisée quand ils ont expulsé de la Terre Indigène Munduruku des techniciens chargés de réaliser une étude environnementale, en prévision de la construction de l’ouvrage. Elle s’est encore manifestée dans d’autres occasions*. Au niveau international, en juin 2015, un leader Munduruku était à Genève**, au Conseil des Droits de l’homme pour dénoncer le non respect, par le gouvernement brésilien, des droits des peuples autochtones en matière de consultation préalable. Toujours au niveau international, Greenpeace a fait campagne pour faire connaître la revendication des Munduruku.

Le Ministère public de l’État du Para a organisé des rencontres à Santarém et Itaituba pour informer la population sur les enjeux de ces projets de barrages dans le bassin du rio Tapajós. De son côté, en juin dernier, la Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI a rappelé à l’IBAMA les obstacles légaux et constitutionnels qui empêchent la construction de l’ouvrage, notamment le déplacement permanent de groupes indigènes de leurs terres.

Selon l’Institut Socioambiental, ce recul des autorités ne s’explique pas seulement par l’opposition qui s’est manifestée, mais aussi par d’autres facteurs comme les problèmes de corruption et le processus de destitution de Dilma Rousseff partisane des mega-usines électriques. La crise économique qui sévit dans le pays oblige à réduire les investissements publics. Pour d’autres, le renoncement à cet ouvrage n’est que provisoire.

 

* Voir plusieurs bulletins « AYA info » No 100 du 26 février 2015, No 91 du 20 mars 2014, No 85 21 août 2013 et No 84 du 27 juin 2013, No 83 du 31 mai 2013, No 77 du 30 novembre 2012

** « AYA Info » No 104 du 29 juin 2015

 

La flamme olympique à Manaus : un jaguar a été abattu

Depuis son atterrissage à Brasilia le 3 mai, et avant d’arriver au stade de Maracanã de Rio le 5 août pour la cérémonie d’ouverture des jeux, la flamme olympique aura parcouru environ vingt mille kilomètres sur terre, et seize mille kilomètres en avion pour être présente dans plus de 300 villes des 27 États du Brésil. Elle aura été portée par plus de douze mille relayeuses et relayeurs.

La flamme était en Amazonie du 12 au 24 juin. Un incident s’est produit le 20 juin lors de son passage à Manaus. Des militaires du 1er Bataillon d’Infanterie de Forêt (1er BIS) étaient sur le parcours de la flamme avec leur mascotte « Juma », un jaguar* mâle de 18 ans. Cet animal, d’une espèce en voie d’extinction, avait été recueilli tout jeune alors que sa mère avait été tuée par des chasseurs. Lors de la manifestation, en raison d’un défaut au collier qui retenait l’animal, celui-ci a échappé à ses gardiens. Malgré le tir de tranquillisants, le jaguar s’est dirigé vers un militaire qui a tiré pour se protéger et l’a abattu. L’incident a suscité de nombreuses réactions.

Le Comité Rio 2016 a publié un communiqué dans lequel il reconnaît avoir « commis une erreur en permettant que la flamme olympique, symbole de paix et d’union entre les peuples, soit montrée aux côtés d’un animal sauvage enchaîné. Cette scène est contraire à nos valeurs. Nous sommes profondément tristes de la tournure des événements. Nous garantissons qu’aucune situation de cet ordre ne se reproduira lors des Jeux Rio 2016« . Ce qui a été le cas.

L’Institut de Protection de l’Environnement de l’Amazonas – IPAAM a ouvert une enquête qui a abouti à sanctionner divers services de l’armée en leur infligeant une amende de 40’000 Reais (12’400 CHF ou 12’600 US$) pour non respect de diverses lois et règlements.

 

Bernard Comoli

 

Important : L’activation des liens hypertextes (en brun) renvoie aux sources utilisées pour la rédaction de ce bulletin. Elles sont souvent en portugais, sauf quand il s’agit d’anciens « AYA Info ».

PS : Ces brèves sont souvent reprises, détaillées et parfois illustrées, dans un blog du quotidien « La Tribune de Genève » à l’adresse suivante : http://bcomoli.blog.tdg.ch

 

AYA – Appui aux indiens Yanomami d’Amazonie

15 Chemin de la Vi-Longe – CH – 1213 Onex / Genève – CCP 17-55066-2

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