Quelques brèves concernant l’Amazonie et les Indigènes du Brésil AYA Info – No 122 Genève, le 25 juin 2018

« AYA Info » est en ligne sur deux sites Internet : Humanitaire.wset MCI

 Brasilia : Un rassemblement de plus de 3’000 indigènes

Pour la quinzième fois, les Indigènes du Brésil ont tenu leur maintenant traditionnel* « Campement Terre Libre ». Du 23 au 26 avril, ils étaient plus de 3’000 à Brasilia, venus de tout le pays. L’occasion de rappeler leur existence et leur qualité de Peuple premier sur le territoire où ils sont devenus minoritaires. En effet, regroupés au sein d’environ 300 Peuples, ils sont un peu plus de 820’000 parmi les 207 millions d’habitants du pays, soit environ 0,5 % de la population.

Le choix de Brasilia n’est pas dû au hasard : la capitale fédérale regroupe le siège des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire. Ce rendez-vous est l’occasion de faire connaître la diversité et la richesse socio-culturelle de ces peuples. Mais aussi de faire pression sur les tenants du pouvoir pour le maintien et la mise en œuvre des droits reconnus dans la Constitution de 1988 et les textes internationaux signés par le pays, comme la Convention 169 de l’OIT.

L’ordre du jourde ce rassemblement est fourni : un état des lieux de la politique indigéniste de l’État brésilien, des rencontres par régions, des réunions de femmes, de jeunes. Mais aussi des ateliers thématiques : démarcation des terres, service de santé indigène, gestion environnementale et territoriale des Terres Indigènes, éducation…. Et des rencontres avec des parlementaires, des juges et des représentants de l’administration.

Le document finaladopté par les participants et porté par l’Articulation des Peuples Indigènes – APIB résume les revendications du mouvement indigène. Son titre d’abord : « Notre clameur contre le génocide de nos peuples ». Un préambule rappelle la colonisation subie depuis 518 ans : massacres, extermination ; spoliation des terres, des biens communs et des formes de vie que « nous avons su protéger et préserver pendant des milliers d’années ». Suivent plusieurs paragraphes citant les textes et les actes qui portent atteinte aux droits indigènes dans les domaines législatif, administratif, budgétaire, les carences des services de l’État… La dernière partie du document énumère onze revendications précises comme la démarcation et la protection de toutes les terres indigènes en portant une attention aux Terres des peuples isolés ou de récent contact… La fin de la violence, de la criminalisation et de la discrimination contre les peuples et leurs leaders… L’application des traités internationaux, notamment le droit des peuples indigènes à la consultation, libre, préalable et informée sur les mesures administratives ou législatives qui les affectent.

Les peuples indigènes du Brésil vivent une période sombre de leur histoire.

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*Voir “AYA Info”  No 117du 29 juin 2017

 Une Indigène candidate à la Vice-présidence de la République

Sônia Bone Guajajara, Indigène originaire de l’État du Maranhão, membre de la coordination exécutive de l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil (APIB) est candidate à la Vice-présidencede la République aux prochaines élections d’octobre 2018. C’est la première fois dans l’histoire du Brésil qu’une femme indigène est candidate à un tel poste.

Dans le passé, les indigènes n’ont eu qu’un représentant au parlement fédéral, un Xavante*, Mário Juruna, député de Rio de Janeiro de février 1983 à fin janvier 1987.

Sônia se présente sur la liste du Parti Socialisme et Liberté(PSOL)** dont elle est membre depuis 2011. Guilherme Boulos, leader du Mouvement des Travailleurs Sans Toit(MTST) est le candidat du même parti pour la Présidence.

Dans une lettre aux adhérents, ses soutiens à l’intérieur de son parti expliquent le sens de la candidature de Sônia : « Nous vivons des temps de destruction inédite de la Nature de laquelle nous faisons partie et qui nous donne la Vie… [des] Temps dans lesquels chaque hectare déboisé, chaque puits de pétrole creusé se traduit – dans le langage du réchauffement global – en sécheresses plus sévères, ouragans plus intenses et vagues de chaleur mortifères… Une sensation de fin du monde !

Les peuples indigènes ont été à l’avant-garde de la lutte contre ce modèle de mort insoutenable et puante. Et il est juste que nous reconnaissions ce rôle sous la forme d’une candidature présidentielle née de la plus profonde racine de ce territoire. Cela afin de défendre un programme de justice, d’égalité, de défense de chacun et chacune, chaque peuple, chaque espèce ; droits à l’eau et à la terre. Des droits de l’eau, de la terre et de la Terre. « Il n’y a pas de plan B ! »

Sônia, originaire de la Terre Indigène Arariboia, a terminé sa formation en Lettres et en Éducation spéciale. En 2015, elle a reçu le prix l’Ordre du Mérite Culturel. Son engagement pour la protection de l’environnement n’est pas nouveau. Par exemple, en décembre 2010, à Cancún, lors de la 16eConférence des Nations Unies sur le changement climatique, elle avait tenté de remettre une « Tronçonneuse d’or » à la Sénatrice Katia Abreu, membre du puissant lobby de l’agrobusiness agissant au parlement brésilien pour une moindre protection des forêts. Sônia est venue plusieurs fois à Genève : déjà en 2012 pour représenter la Coordination des Organisations Indigènes de l’Amazonie Brésilienne – COIAB au 50eanniversaire du Mouvement pour la Coopération Internationale – MCI. Puis, plus tard, au Palais des Nations pour des réunions au Conseil des droits de l’homme.

En septembre 2017, devant environ cent mille fans venus l’écouter au festival « Rock in Rio », la star nord-américaine Alicia Keys a cédé pour quelques instants le micro à Sônia qui a pu décrire la situation des Peuples indigènes du Brésil…

Pour l’heure, il apparaît qu’une vingtaine de candidats et de candidates d’autant de partis politiques ont annoncé leur intention de participer à l’élection présidentielle du mois d’octobre prochain. Le défi de Sônia et de son colistier sera de faire entendre leur voix…

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* Prononcer « Chavante »

**Le PSOL a été fondé en 2003/2004 par des dissidents du Parti des Travailleurs en désaccord avec la politique conduite par le gouvernement de Lula. Actuellement, il a six représentants à la Chambre des Députés (sur 513). Pour rappel, au premier tour de l’élection présidentielle de 2010, son candidat, Plínio de Arruda Sampaio avait obtenu 886’816 voix, soit 0.87% des suffrages. Toujours au premier tour de celle de 2014, sa candidate, Luciana Genro, a obtenu 1’609’982 voix, soit 1,55 % des suffrages. Il s’agit donc d’un parti minoritaire.

 

Le gouvernement change une fois de plus la présidence de la FUNAI !

Depuis le 24 avril dernier, la Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI a un nouveau président en la personne de Wallace Moreira Bastos. Avant sa nomination, celui-ci était Sous-secrétaire des sujets administratifs au Ministère des transports, des ports et de l’aviation civile. Il n’a jamais eu un emploi, ni suivi une formation en rapport avec les questions indigènes. Il succède à Franklimberg Ribeiro de Freitas qui était en poste depuis mai 2017*.

Une controverse s’est développée au sujet de ce changement de président. Selon les leaders indigènesréunis à Brasilia du 23 au 26 avril pour la 15eédition du « Campement Terre Libre » qui a rassemblé plus de 3’000 indigènes de tout le pays, la proposition aurait été faite au Ministre de la Justice par un député fédéral, André Mouradu Parti Social Chrétien (PSC) et membre du Front parlementaire Évangéliquedu Congrès. Demande appuyée par la « Bancada ruralista » (le lobby de l’agrobusiness au Parlement fédéral), selon laquelle ce serait les organisations indigènes qui auraient demandé le renvoi de Franklimberg Ribeiro de Freitas. Cette affirmation est contestée par les leaders indigènes.

Créée en 1967, la FUNAI en est à son 41eprésidentsi l’on inclut dans ce nombre ceux qui l’ont été par intérim. Au cours de ces quinze dernières années, deux d’entre eux y ont exercé un mandat « longue durée »: Mércio Pereira Gomes, de septembre 2003 à mars 2007. Et surtout son successeur, Márcio Meira, d’avril 2007 à avril 2012. C’était sous la présidence de Lula et au tout début du premier mandat de Dilma Rousseff. Depuis avril 2012, la FUNAI en est à son neuvième président… Une instabilité significative !

La FUNAI a remplacé le Service de Protection de l’Indien (SPI) qui avait été créé en 1910 pour protéger les autochtones, mais surtout les intégrer à la nation. Il a été supprimé en raison de sa mauvaise gestion, d’un manque de ressources et, à diverses reprises, d’avoir usé de violences à l’égard des Peuples dont il avait la charge. La FUNAI a vu son budget se réduire ces dernières années. Elle est aussi l’objet de convoitises de la part des partis politiques au pouvoir qui se partagent la direction des services publics. Actuellement, ces groupes de pressions sont hostiles à la mise en œuvre des droits des Peuples indigènes reconnus dans la Constitution de 1988, notamment leurs droits territoriaux. Depuis son accession à la Présidence de la République (mai 2016), Michel Temer n’a homologué qu’une seule Terre Indigène (TI), et cela tout récemment, le 26 avril dernier. Il s’agit de la TI Baía dos Guató située dans l’État du Mato Grosso. Une TI de près de 20’000 ha, occupée par un peu plus de 200 Indiens Guató.

* Voir « AYA Info » No 118du 31 août 2017

 En Colombie, le barrage Hidroituango a menacé de céder

Àla mi-mai, le plus grand barrage de Colombie encore en cours de construction sur le río Cauca, le principal affluent du fleuve Magdalena menace de céder sous l’effet d’intempéries qui ont affecté ces derniers temps la région du Bajo Cauca, dans le département d’Antioquia. Ce barrage doit assurer la production de 17% de l’électricité consommée en Colombie et son coût est estimé à 3,5 milliard d’euros. En raison de fortes pluies et de difficultés à évacuer le surplus d’eau en aval du barrage, des phénomènes d’érosion et d’inondation ont commencé à affecter les zones riveraines et le niveau d’eau ne cesse de monter. Pour tenter d’y faire face, des centaines d’ouvriers travaillent jour et nuit pour élever la hauteur de la digue principale à plus de 410 mètres. C’est l’effondrement de l’ensemble de la structure qui est redoutée. Les images visibles sur la vidéo de francetvinfosont saisissantes et parlent d’elles-mêmes. À ce stade, 113’000 personnes sont menacées.

Le 18 juin, selon l’Unité pour la Gestion des Risques de Désastres (UNGRD), des 16’’000 personnes évacuées, 11’000 avaient la possibilité de rentrer chez elles. Aux dernières nouvelles, la cote des 415 mètres a été atteinte et le risque d’effondrement a été significativement réduit, en raison de la possibilité, dès lors, d’évacuer les eaux en aval.

Selon des experts, cette situation pourrait être liée à des erreurs de conception et de planification, ainsi qu’à une volonté de réduire les coûts de construction du barrage. Les pratiques du groupe EPM, (Entreprises Publiques de Medellin), en charge de la construction, font l’objet de vives critiques, notamment de la part des militants de l’organisation écologiste Ríos Vivos(Rivières vivantes) qui pointent du doigt la responsabilité du groupe dans la crise actuelle.

À Genève, le Mouvement pour la Coopération Internationale, MCI, a été alerté sur l’existence de cette situation par l’intermédiaire de l’Organisation Indigène d’Antioquia, l’OIA, son partenaire en Colombie dans le cadre d’un projet d’éducation de base de jeunes et adultes indigènes, notamment dans la région du Bajo Cauca. Les membres de l’OIA sont particulièrement préoccupés par cette situation qui menace un grand nombre de communautés. Par le passé, l’OIA s’était mobilisée contre la construction de ce barrage et avait tenté d’alerter sur les conséquences qu’il pourrait entrainer sur la nature et les communautés locales.Àl’époque, elle n’avait pas été entendue. Dans une récente prise de position, l’organisation lance un nouvel appelau respect des droits de l’homme et de la nature et au démontage du barrage.

Cette situation ne va pas sans rappeler le cas de la construction du méga-barrage de Belo Monte, en Amazonie brésilienne, qui fait également l’objet de nombreuses critiques de la part des organisations de défense des droits indigènes et de l’environnement. Reste à espérer que la situation du barrage Hidroituango ne dégénère pas et qu’elle puisse servir de leçon dans l’évaluation d’autres méga-projets d’ouvrages hydroélectriques.

 Guyane : Le projet minier « Montagne d’Or » toujours controversé

Le débat public autour du projet minier de la « Montagne d’Or » est ouvert jusqu’au 8 juillet. Diverses réunions ont eu lieu en différents lieux de Guyane et sur différents sujets. Pour rappel, un consortium russo-canadien a l’intention d’extraire sur une douzaine d’années, 80 tonnes d’or tirées d’une fosse de 2,5 km de long sur 500 mètres de large et jusqu’à une profondeur de 400 mètres*.

Deux ministres ont eu l’occasion de s’exprimer récemment à ce sujet. Interviewéele 16 juin sur Radio Mayouri, Annick Girardin, la Ministre des Outremer : « Ce projet, tel qu’il est construit, tel qu’il est porté n’aboutira pas… Sur ce projet-là toutes les garanties ne sont pas réunies…». Le 13 juin, questionné à l’Assemblée nationale par le député guyanais Gabriel Serville qui demandait un moratoire sur l’utilisation du cyanure (pour extraire l’or sur le site minier), le ministre Nicolas Hulot répond: «Vous me voyez soulagé qu’un député de la Guyane ne cède pas spontanément au miroir aux alouettes. Et vous avez raison, on ne se posera pas suffisamment de questions avant de se prononcer sur ce projet et les mises en garde que vous évoquez doivent être prolongées et instruites. Les impacts environnementaux, les bénéfices économiques, à mon avis nous avons intérêt à remettre tout cela à plat… »

En septembre 2017, WWF France avait déjà publié une étudeéconomique qui montrait le coût de ce projet, et, en conclusion de laquelle il a décidé de s’y opposer. En mai 2018, le Cercle Cyclope (Paris) a publié un rapportmontrant, au contraire, l’intérêt économique d’exploiter cette mine : « À notre degré de connaissance du projet, rien ne semble témoigner d’un risque excessif par rapport aux bénéfices attendus ». Ce rapport, qui contredit celui du WWF, a été présenté le 15 juin aux membres de la Collectivité Territoriale de Guyane – CTG et à ceux de la Chambre de Commerce et d’Industrie – CCI de Région Guyane. Deux entités favorables au projet.

Autre prise de position, celle de Monseigneur Lafont, évêque de Cayenne. Le 28 mai, le prélat a publié une « Lettre pastorale » sur « La protection de création en Guyane ». Il évoque les menaces qui pèsent sur l’Amazonie en général et sur les peuples autochtones en particulier : « L’Église confesse sa part de responsabilité dans les blessures faites aux peuples autochtones depuis le début de la colonisation et jusqu’à aujourd’hui… ».Une partie du texte est consacré à la Montagne d’or :  «… On nous dit que cela va créer des emplois. Sans doute quelques-uns, mais à quel prix ! Le prix d’une opposition de plus en plus farouche entre les rares bénéficiaires d’une telle entreprise, et la majorité des guyanais, dans l’attente d’un légitime développement équitable !  Le prix de responsables, obnubilés par un seul projet, au détriment d’un rôle de nécessaire garant de l’intérêt général ! Et puis, le développement durable n’est pas là ! …  Chaque fois que j’ai écouté les jeunes parler de ce projet, j’ai trouvé une profonde réticence, pour ne pas dire un refus tout net. J’ai entendu les Amérindiens de notre territoire. Écoutons la sagesse des peuples de la forêt… »

Le 7 juin, Guyane 1èrea diffusé, à l’occasion du 170eanniversaire de l’abolition de l’esclavage, un documentaire « Amers Indiens » rappelant ce que les colonisateurs ont fait subir aux Amérindiens de Guyane : l’esclavage avant l’esclavage. Le lendemain, des animateurs de la chaîne ont invité un jeune Amérindien, Christophe Pierre – Yanuwana Tapoka selon son identité amérindienne – membre de la Jeunesse Amérindienne de Guyane – JAG et Eline Grand-Emile, juriste, métisse (descendante amérindienne et bushinenge**) de réagir au documentaire. Une occasion de parler du passé, mais aussi de l’actualité. Le leader de la JAG évoque le projet minier : « Sur la question de la Montagne d’or, on nous parle d’experts à tout va, des experts en biologie, des experts miniers, mais nous avons aussi nos experts : nos anciens ont des connaissances, ils savent comment fonctionne ce territoire et il faut les écouter… On n’accepte pas, mais on peut comprendre la réponse à la détresse sociale actuelle. 750 emplois, on est tous prêts à sauter dessus… La lecture de cette détresse, de cette fragilité des élus guyanais est un aveu d’échec politique. Ils avaient 30 ans pour se préparer à la situation actuelle… L’étude d’impact sur la Montagne d’Or n’est pas publiée… C’est normal qu’il y ait des réticences, on ne sait pas ce que cela va engendrer… Comment, en ignorance de cause se prononcer « pour » et dérouler le tapis rouge… Voilà ce que fait la CTG qui ne respecte pas la décision des Amérindiens » (qui sont opposé au projet).

Le Gouvernement français écoutera-t-il les Amérindiens ? Autoriser l’exploitation d’une telle mine est-elle compatible avec la volonté de mettre en œuvre les décisions de la COP 21 ?

À suivre…

*Voir « AYA Info » No 121du 12 mars 2018.

**descendants d’esclaves marrons.

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Bernard Comoli et Aurélien Stoll pour la note relative au barrage Hidroituango en Colombie

Important:

– L’activation des liens hypertextes (en rouge) renvoie aux sources utilisées pour la rédaction de ce bulletin. Elles sont souvent en portugais, sauf quand il s’agit d’anciens « AYA Info ».

PS: Ces brèves sont souvent reprises, détaillées et parfois illustrées, dans un blog du quotidien « La Tribune de Genève » à l’adresse suivante : http://bcomoli.blog.tdg.ch

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