Quelques brèves concernant l’Amazonie et les Indigènes du BrésilAYA Info – No 91 – Genève, le 21 mars 2014

Une nouvelle opération contre l\’orpaillage illégal dans l\’aire Yanomami / Les Xikrin du Cateté, cinquante ans après / Grands barrages : le gouvernement brésilien dénoncé à l\’ONU / L\’armée intervient dans le conflit qui oppose les Tupinambá aux fazendeiros.

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Une nouvelle opération contre l\’orpaillage illégal dans l\’aire Yanomami
Le 7 février la Fondation Nationale de l\’Indien – FUNAI, en collaboration avec les polices militaire et fédérale, a organisé une nouvelle opération – une de plus – contre les garimpeiros (orpailleurs) qui agissent illégalement dans la Terre Indigène Yanomami. Est particulièrement visée la région du rio Uraricuera, un affluent du rio Branco, dans l\’État de Roraima. C\’est une région difficile d\’accès, mais riche en or. Des Yanomami apportent leur aide comme guides ou pilotes de pirogues. Selon les informations diffusées à mi-mars par G1-Globo, l\’opération a permis le retrait de 60 garimpeiros, la destruction d\’une piste d\’atterrissage et d\’une trentaine de « balsas », ces radeaux sur lesquels est installé le matériel utilisé pour l\’extraction de l\’or.
La pollution des eaux par le mercure n\’affecte pas seulement les indiens : avec le rio Tacutu, le rio Uraricuera forme le rio Branco qui, avec ses affluents, fournit en eau une bonne partie de la population du Roraima. Selon la « Folha de Boa Vista » il n\’y a pas d\’étude sur les effets de la pollution par le mercure dans cette région. L\’Organisation Mondiale de la Santé – OMS le rappelle : « L’utilisation du mercure pour extraire l’or de manière artisanale ou à petite échelle est particulièrement dangereuse et l’impact sanitaire sur les populations vulnérables est important. »
En août 2013, l\’Hutukara Associação Yanomami – HAY a publié un rapport selon lequel 80% des garimpeiros expulsés à l\’occasion de l\’une ou l\’autre opération retournent sur les lieux d\’orpaillage un mois après en avoir été chassés. Effectivement, des opérations d\’expulsion des garimpeiros de l\’aire indigène Yanomami sont organisées plus ou moins régulièrement, sans jamais arriver à mettre un terme à cette activité illégale. Les réseaux continuent d\’exister…
Selon l\’Institut Brésilien d\’exploitation Minière – IBRAM, le Brésil est le treizième producteur mondial d\’or avec une production de 66 tonnes en 2011, dont 12% (env. 8 t) sont issus des « garimpos ». Cette année-là, il en a exporté 44,6 t. dont 32 %, soit un peu plus de 14 t, vers la Suisse qui est le deuxième pays importateur d\’or brésilien. La première place est occupée par le Royaume-Uni : 45 % des exportations, soit environ 20 t. La Suisse commence seulement à publier la statistique du commerce de l\’or. En janvier 2014, la Confédération helvétique a acheté 2\’938 kg d\’or brésilien pour un montant 79,6 millions de CHF (environ 89 millions de dollars US). Depuis plusieurs années des organisations font campagne – comme « No Dirty Gold » (Non à l\’or sale) – pour obtenir la transparence et la traçabilité complète du commerce de l\’or. Cela permettrait de savoir si une partie de cet or provient de l\’orpaillage illégal qui a pollué les Terres Indigènes notamment, en portant atteinte à la santé de leurs habitants.
Voir « AYA Info » Nos 64, 65 et 66.
Les Xikrin* du Cateté, cinquante ans après
À Carouge /Genève une exposition(1) a été consacrée à ce peuple de l\’État brésilien du Pará qui a failli disparaître. En 1967, les Xikrin do Cateté étaient moins d\’une centaine, 98 exactement. En 2010, la Fondation Nationale de la Santé – FUNASA en a dénombré 1\’818, dont plus de 1\’056 vivent dans la Terre Indigène Xikrin do Cateté. Une « renaissance » qui ne doit rien au hasard. Elle est due à la résistance des indigènes eux-mêmes et à l\’appui de quelques personnes qui ont épousé leur cause.
L\’ethnologue René Fuerst a connu ces Xikrin en 1963. Il leur a consacré un ouvrage(2). Et, en 2013, le photographe et vidéaste Aurélien Fontanet a passé quelques semaines dans leurs communautés. Il a remis aux Xikrin le livre de leur ancien visiteur. Il a évidemment rapporté de son séjour amazonien des photos et un court métrage. Les images prises à cinquante ans de distance illustrent les changements, mais aussi la continuité de la culture de ce peuple.
Le 5 mars, lors du vernissage de l\’exposition, les intervenants ont rappelé le rôle joué, dans les années soixante par le Père Raymond Caron, un dominicain français qui a apporté son soutien aux Xikrin décimés par les maladies contractées au contact des « blancs ». À son retour en France, avant son décès en 1975, le religieux a relaté cette lutte pour la vie, son combat pour la justice dans un ouvrage « Curé d\’Indiens », publié en 1971(3). Dans la recension qu\’il fait de ce livre, l\’anthropologue et ethnologue Pierre Clastres, commence ainsi son commentaire : « Le livre ne répond en rien au titre. « Curé d\’Indiens » ne décrit pas, comme on pourrait le craindre, l\’expérience d\’un missionnaire cherchant à christianiser des Sauvages. C\’est tout le contraire, puisque l\’auteur, le Père Caron, narre au jour le jour les années (1966 – 1970) passées à tenter le sauvetage d\’une petite tribu Kayapó du Brésil central, les Xikrin, menacés de disparition ». Le P. Caron exprime ainsi le sens de son engagement dans l\’avant-propos de son livre : « C\’est cette lutte pour la vie, ce combat pour la justice que j\’ai raconté dans ce journal… Je n\’ai voulu être qu\’un frère parmi ces indiens, afin de les aider à survivre, en conservant autant que possible leur identité et en demeurant des hommes libres ».
Rappel a aussi été fait d\’une autre personnalité qui, depuis plus de quarante ans, va régulièrement soigner les Xikrin. Il s\’agit du docteur João Paulo Botelho Vieira Filho, professeur adjoint de l\’École de médecine de l\’Université fédérale de São Paulo. Encore récemment, dans un rapport de juillet 2013, il affirme que « Les Indiens doivent être informés des très grands risques qui doivent être évités pour leur survie physique, psychique et culturelle : le diabète, l\’alcoolisme, la contamination par le virus HIV. Un risque majeur, toujours présent, est la perte des terres traditionnelles qui conduit à la mort, par le manque de volonté de vivre en raison des mauvaises conditions de vie. Un risque qui peut être évité dès que le gouvernement collabore. »
Au même lieu, le cinéaste Daniel Schweizer connu pour son engagement, notamment en faveur des peuples indigènes, a aussi présenté le portrait d\’une douzaine de personnalités – dont le Yanomami Davi Kopenawa et le Kayapó Raoni – engagées dans la défense des droits humains en lien avec l\’industrie extractive; un secteur qui opère souvent dans des contextes déjà fragilisés. Il a également présenté un court métrage « Yanomami en sursis ». L\’événement, en fait une double exposition, a eu lieu alors qu\’à Genève se tient la 25e Session du Conseil des Droits de l\’Homme, un « temps fort » de l\’action pour le respect des droits humains.
* Prononcer « Chikrine »
(1) L\’exposition a eu lieu entre le 5 et le 20 mars dans les locaux de Flux Laboratory, 10 rue Jacques-Dalphin, 1227 Carouge / Genève.
(2) « Xikrin – Hommes oiseaux d\’Amazonie » – Publié en 2006 – 5 Continents Editions – ISBN 978-88-7439-317-6
(3) « Curé d\’Indiens », publié à l\’Union générale d\’Éditions en 1971 dans la collection 10/18, 366 p
Grands barrages : le gouvernement brésilien dénoncé à l\’ONU
Le 10 mars, le gouvernement brésilien a été dénoncé à l\’ONU pour son manque de consultation des peuples autochtones sur la construction des grands barrages comme Belo Monte sur le rio Xingu et maintenant sur les divers et nombreux ouvrages projetés sur le rio Tapajós et plusieurs de ses affluents. Ce jour-là, au Palais des Nations à Genève, France Libertés – Fondation Danielle Mitterrand, en partenariat avec Amazon Watch et International Rivers a donné la parole à des acteurs brésiliens engagés dans la lutte pour le respect des droits humains et pour la protection de l\’environnement au moment où se tient la 25e session du Conseil des Droits de l\’Homme.
Sônia Guajajara, représentante de l\’Articulation des peuples Indigènes du Brésil – APIB, a rappelé comment le droit à la terre est la priorité des peuples indigènes alors que la priorité de l\’État est celle du développement économique. Les nuisances causées par la construction des grands barrages sur les communautés indigènes sont connues. Même quand les projets sont contestés par le Ministère Public Fédéral brésilien, le pouvoir exécutif s\’appuie sur une série de textes qui lui permettent de faire avancer ses projets. Sônia reproche au gouvernement de ne pas appliquer le droit à la consultation des peuples indigènes que lui imposent les textes qu\’il a ratifiés, comme la Convention 169 de l\’OIT.
Alexandre Sampaio, représentant de l\’Association Interaméricaine de Défense de l\’Environnement – AIDA a traité de cet instrument juridique – la suspension de sécurité – qui permet la poursuite de projets alors même qu\’ils sont déclarés illégaux par les tribunaux et, par là, de ne pas respecter les droits humains.
Sophia Lakhdar, directrice de l\’association Sherpa a évoqué la responsabilité des États face aux entreprises et leurs filiales qui réalisent de ces grands travaux en violations des droits humains. Son association espère la création d\’une Cour pénale internationale pour juger les « crimes économiques ».
France Libertés, avec une trentaine d\’autres ONG, dotées ou non, du statut consultatif a déposé au Conseil des droits de l\’homme deux « Exposés écrits ». Le premier (A/HRC/25/NGO/43) intitulé « Les grands barrages et les violations des droits des peuples autochtones en Amazonie brésilienne ». Les auteurs font deux demandes. La première est de réaliser une étude pour montrer comment, l\’utilisation de la « suspension de sécurité » par le gouvernement brésilien et les juges, constitue une entrave au respect des accords internationaux concernant les droits humains, y compris le droit à la consultation des peuples autochtones… La deuxième est un appel à organiser une conférence spéciale pour discuter de cette question urgente avec la participation des différentes parties. Le deuxième « Exposé » a pour titre « Le droit à la consultation des peuples autochtones face aux grands projets » (A/HRC/25/NGO/30) concerne non seulement au Brésil, mais également en Equateur et en Bolivie. La Fondation formule quatre demandes dont « la mise en place de véritables mécanismes de consultation afin de chercher à instaurer des rapports plus équitables entre sociétés transnationales et les peuples autochtones, permettant à ces derniers, le cas échéant, d\’empêcher la réalisation de ces projets ».
Cette 25e session de Conseil des droits de l\’homme aura été l\’occasion de rappeler le droit des peuples autochtones à pouvoir se prononcer sur leur propre destin.
Voir AYA Info No 83, 84 et 85
L\’armée intervient dans le conflit qui oppose les Tupinambá aux fazendeiros
Depuis la mi-février, environ 600 militaires sont arrivés à Ilhéus, une localité située dans le sud de l\’État de la Bahia. C\’est le gouverneur de l\’État, Jaques Wagner qui, le 11 février, a demandé et obtenu de la Présidente de la république et du Ministre de la justice la présence de l\’armée pour le maintien de l\’ordre dans cette région marquée par un conflit entre fazendeiros et indigènes Tupinambá. En janvier et février trois Tupinambá et un petit agriculteur ont été assassinés en raison de ce conflit qui dure depuis des années.
La tension est vive dans la région. Les indigènes veulent récupérer leur terre – la Terre Indigène (TI) Tupinambá de Olivença envahie par des fazendeiros. Elle a une superficie de 474 km2 s\’étendant sur une partie des municipalités de Buerarema, Ilhéus et Una. Elle est habitée par environ 4\’500 indigènes Tupinambá. Le processus d\’identification de cette TI a commencé en 2004. En 2009, la Fondation Nationale de l\’Indien – FUNAI a approuvé un rapport selon lequel l\’aire est traditionnellement occupée par la communauté Tupinambá. Mais l\’homologation n\’a jamais été signée par le ministre de la justice qui demande encore des éclaircissements sur le rapport de la FUNAI.
Dans une « Lettre ouverte au Peuple Brésilien », la communauté Tupinambá dénonce la stratégie de ceux qui envahissent le territoire sacré de leurs ancêtres en diffuant de fausses informations à leur propos, allant jusqu\’à nier leur existence en les qualifiant de « faux » ou « supposés » Indiens. « Nous avons été obligés de vivre dans l\’anonymat pendant des décennies et des décennies… peu sont arrivés à se maintenir dans de petites aires et beaucoup d\’entre nous vivent en périphérie des grandes cités dans des conditions de vulnérabilité. »… « Nous savons que le manque d\’information a conduit une grande partie de la société brésilienne à nous criminaliser et à nous discriminer… Nous demandons la paix et la garantie de nos vies, que le gouvernement démarque nos terres et cesse la violation de nos droits… Et de conclure : Nous, de la communauté Tupinamba de Olivença appelons au secours !
Plusieurs entités, groupes ou collectifs d\’organisations ont manifesté leur appui au peuple Tupinamba de Olivença. Une « Note signée par plus de trente organisations demande au Ministre de la justice, à la présidente Dilma Rousseff et au Gouverneur Jaques Wagner de respecter la Constitution et les droits des peuples indigènes. Le Mouvement des Travailleurs ruraux Sans Terre –MST dénonce l\’attitude des médias locaux et nationaux, alliés à la « Bancada ruralista  » (le lobby de l\’agrobusiness), qui tentent de mettre en conflit la communauté indigène et les travailleurs ruraux de la région, alliés historiques, dans la lutte pour la terre. Le MST demande la démarcation immédiate TI Tupinamba de Olivença, le retrait des forces de sécurité du territoire tupinambá, la fin de la violence, de la persécution et de la criminalisation du peuple Tupinambá. Pour le Procureur général de la république, Rodrigo Janot « Le fait est que le cycle d\’invasions et reprises des terres par les fazendeiros de la région et les indigènes, se terminera de manière définitive seulement avec la finalisation du processus de démarcation…« 
Du 14 au 16 mars, plusieurs centaines de personnes, représentant une quarantaine d\’organisations du Brésil, d\’Amérique latine et d\’Europe ont participé à une « Marche d\’appui » aux Tupiambá, sur un parcours d\’environ 11 km allant de la route BR-101 à l\’aldeia (village) da Serra do Padeiro. Les participants ont approuvé une déclaration dans laquelle ils dénoncent la soumission des autorités fédérales et de l\’État de la Bahia aux intérêts de l\’agrobusiness, la non protection des terres indigènes et quilombolas* et les medias régionaux et nationaux qui répandent la haine. Ils demandent la démocratisation des moyens de communication; la démocratisation de la terre avec la réforme agraire et la régularisation immédiate des terres indigènes et quilombolas. Ils demandent à la société brésilienne de s\’indigner de l\’ordre établi qui génère la violence et l\’insécurité.
* Communautés de descendants d\’esclaves noirs fugitifs.
Bernard Comoli
Important : L\’activation des liens hypertextes renvoie aux sources utilisées pour la rédaction de ce bulletin. Elles sont souvent en portugais, sauf quand il s\’agit d\’anciens « AYA Info ».
PS : Ces brèves sont souvent reprises, détaillées et parfois illustrées, dans un blog du quotidien « La Tribune de Genève » à l\’adresse suivante : http://bcomoli.blog.tdg.ch
AYA – Appui aux indiens Yanomami d\’Amazonie
15 Chemin de la Vi-Longe – CH – 1213 Onex / Genève – CCP 17-55066-2

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