THÉOLOGIE DE LA LIBÉRATION ET ALTERMONDIALISME

SERGIO FERRARI*
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Fondateur de la théologie de la libération, Leonardo Boff analyse pour nous sa situation actuelle et les défis qu’elle partage avec la pensée altermondialiste.
 
 
Q : Fin janvier, un Forum mondial de théologiens s’est tenu à Porto Alegre, deux jours avant le début de la cinquième édition du FSM. Quel en est le bilan ?
 
R : Cette rencontre a permis de prendre le pouls de la théologie de la libération. Il faut souligner, car semble-t-il tout le monde ne le sait pas, qu’elle existe toujours, qu’elle est bien vivante et qu’elle est mondiale. Les théologies en œuvre sur tous les continents sont rares de nos jours. Les rencontres de Porto Alegre ont montré qu’elle a connu un processus de développement interne : comme tout ce qui est vivant, elle entretient un dialogue permanent avec la réalité. Elle ne fonde pas son travail sur des certitudes, mais sur des jugements prudents, pastoraux, pour parler en termes théologiques.
 
Q : Peut-on discerner des étapes, des moments, dans ce développement ?
 
R : Depuis sa fondation il y a 30 ans, elle est passée d’une certaine manière par trois étapes.La première génération, celle de Gustavo Gutierrez, Juan Luis Segundo, Ronaldo Muñoz, et moi-même, insistait sur la pauvreté dans ses aspects économiques. Nous faisions une lecture critique de la réalité, entre autres à la lumière d’éléments du marxisme qui nous ont aidés à saisir la structure et le fonctionnement des classes sociales, à comprendre finalement que le pauvre est en réalité un appauvri, que la pauvreté est l’aboutissement de mécanismes économiques.
 
La deuxième génération a découvert les différents visages de la pauvreté : l’Indien, avec un grand poids culturel sur ses épaules, le Noir, qui traîne derrière lui des siècles d’esclavage, les femmes, victimes depuis presque vingt mille ans de la culture patriarcale.
 
À partir des années 90, face à la gravité de la situation écologique, beaucoup se sont engagés sur le chemin d’une éco-théologie de la libération, qui apporte son aide au combat contre l’agression et l’oppression que subit l’environnement. Ce n’est pas là une nouvelle dimension, mais un nouveau regard sur la totalité, un regard du point de vue de la terre, du point de vue de l’humanité. La question posée est de savoir comment la théologie peut apporter sa collaboration pour que l’humanité soit plus libre. Car la terre est notre seule maison et on ne peut pas envoyer les pauvres vivre sur la lune ou sur Mars : c’est ici que nous devons résoudre nos problèmes.
 
Q : Le Forum des théologiens a donc permis, dans une certaine mesure, la rencontre de ces différentes expressions.
 
R : Tout à fait. Nous avons observé à Porto Alegre que des groupes se battent contre la pauvreté dans ses aspects concrets, d’autres mènent la lutte sur un plan plus culturel, etc. Tout cela montre la vitalité de la théologie de la libération. Je voudrais souligner un autre point : la troisième génération est beaucoup moins théorique que les précédentes, mais peut-être davantage engagée dans la pastorale. On pourrait dire qu’elle pratique la théologie de la petite libération, celle qui s’inscrit dans le quotidien, au sein des communautés. 
 
Q : Compte tenu de ces valeurs, le moment ne serait-il pas venu d’imaginer une  “théologie de l’altermondialisme » ?
 
R : Nous disons depuis le début qu’une autre société est possible, car il s’agit de nous libérer de la société capitaliste, qui nous exploite depuis des siècles sous ses différentes formes et d’aller vers une société plus harmonieuse et plus humaine. Certains l’envisageaient dans le cadre du socialisme. Au Brésil, nous pensions davantage à une démocratie participative plus radicale que la démocratie représentative. Ces paramètres ont toujours été présents.
Nous avons décidé à Porto Alegre de faire coïncider nos rencontres avec celles du Forum Social Mondial. Nous souhaitons en effet réfléchir avec les autres à l’avenir de l’humanité et apporter des éléments de nos traditions spirituelles, éthiques, qui sont susceptibles de compléter la vision globale. Nous n’avons aucune prétention hégémonique.
 
Q : Une théologie modeste, au service de la communauté et qui l’accompagne ?
 
R : Exactement. Je dirais que les chrétiens en général – et nous aussi – tiennent le discours de la libération, qui est très bien articulé. Mais ce sont d’autres qui la mettent en pratique. Aujourd’hui, nous voulons être avec les autres. Nous devons faire preuve d’humilité, coopérer et ne pas nous isoler d’un mouvement qui est global. Finalement et essentiellement, servir le peuple. Le peuple est humble, il n’est pas arrogant, il n’a pas une vision impériale du monde. Il veut simplement que soient créées les conditions pour que chacun mange à sa faim, ait un logement, envoie ses enfants à l’école et puisse les soigner quand ils sont malades. La petite utopie de la dignité humaine minimum, dont nous ne devons pas nous éloigner.
 
 
*traduction Michèle Faure
Collaboration E-CHANGER

 
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