Un passage à Porto Alegre pour Lula, avant le voyage à Davos

Deux années de gouvernement, Lula à la croisée des chemins. Le président brésilien refait en 2005 le même trajet qu’il y a deux ans. Un saut à Porto Alegre, avant de se rendre au Forum économique mondial de Davos. Invité par quelques organisations- et non officiellement par le Forum social mondial -, Lula sera présent jeudi au stade « Gigantinho », quelques heures avant de prendre l’avion pour la Suisse (tentative pour rapprocher les deux pôles de la grande contradiction planétaire). Entre 2003 et aujourd’hui, pourtant, la situation politique est différente. Lula a passé 24 mois à la tête d’un gouvernement toujours plus critiqué par un mouvement social qui exige des rectifications fondamentales et immédiates.« Lula a hérité d’un pays ruiné », suite à 8 ans de mise en oeuvre d’un projet économique néo-libéral poussé à l’extrême. Pour Marcos Arruda, militant critique du Parti des Travailleurs (PT) et directeur du PACS (Institut des politiques alternatives du cône Sud), la question de la dette est l’un des exemples les plus révélateurs de la politique gouvernementale actuelle au Brésil.
 
« Quand Fernando Henrique Cardoso [NDR : le prédécesseur de Lula à la présidence] est arrivé au gouvernement, la dette du Brésil atteignait 148 milliards de dollars US. En 8 ans, le Brésil a payé à ses créanciers 345 milliards de dollars US pour les seuls intérêts. Malgré cela, en 2003, le montant de la dette se chiffre à 230 milliards de dollars ».Bien que « cet héritage soit lourd », il n’y a pas eu un changement d’orientation significatif favorable aux secteurs populaires durant les deux premières années du gouvernement Lula, relève Arruda. Le directeur du PACS a pourtant, durant cette période, fait parvenir à l’exécutif ses critiques et ses propositions au moyen de lettres ouvertes.
 
La réalité reste tragique, nous explique Arruda. « Dans un pays de ! 182 millions d’habitants, 80.000 millionnaires possèdent des richesses deux fois supérieures au produit intérieur brut brésilien de 2003, en clair un montant supérieur à toute la dette extérieure du Tiers Monde ». 10 % des plus riches contrôlent 42 % de la richesse, alors que le revenu du 10 % des plus pauvres n’en atteint que le 0,8 %.Une réalité de « polarisation extrême, avec plus de 100 millions de pauvres, où l’on a constaté durant les 24 derniers mois une baisse du salaire moyen estimée à 13 % ». La nomination de l’ancien président de la Banque de Poston au ministère de l’Economie « fut un mauvais signe », rappelle l’économiste. Malgré certains progrès en politique internationale, le nouveau gouvernement n’a pas modifié essentiellement durant ces deux dernières années un rapport de forces intérieur, où les critères macro-économiques prédominent sur les critères sociaux et où « les programmes sociaux compensent à peine la détérioration économique ». La plus grande déception de Marcos Arruda réside dans « le manque de communication et de consultation avec la population. Jusqu’ici, pour vous donner un exemple, le président n’a pas discuté avec les réseaux qui avaient impulsé le plébiscite contre l’ALCA (Traité de libre commerce des Amériques) ou avec Jubilé Sud, qui propose le non-paiement de la dette extérieure.
 
Les « sans terre » en action
 
 Le président Lula assume clairement son rôle actuel de responsable d’un gouvernement centriste. « Il a abandonné son ancienne ligne. Nous ne devons pas nourrir l’illusion que Lula soit le porte-drapeau des transformations. » Avec cette critique tranchante envers le fondateur du PT, Edgard Kolling ne dissimule pas une certaine frustration, voire même de la colère. Responsable national du secteur de l’éducation pour le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), Kolling aligne une série d’arguments, d’une manière cohérente qui découle de sa formation de pédagogue.« La société brésilienne vit une grave crise, tant économique que sociale : on n’avait jamais eu auparavant des taux de chômage avoisinant 25 % ». Et cette crise touche aussi la politique, « vu que l’élection de Lula n’a malheureusement pas altéré le rapport de forces toujours en faveur des secteurs conservateurs ».Pour le dirigeant du MST, l’actuel gouvernement du Parti des Travailleurs (PT) a été formé comme produit d’une alliance entre plusieurs secteurs politiques et forces sociales. « On y trouve la droite, le centre, la gauche’ et ce gouvernement se caractérise lui-même comme centriste. Et il se comporte comme tel. En tout cas, il n’est pas de gauche, vu qu’il ne représente pas les intérêts du peuple, le changement et la rupture ».
 
Les timides avancées sociales de ces deux dernières années, spécialement en matière de réforme agraire, irritent le MST. Tout en reconnaissant les limites propres d’une étape transitoire, le MST semble se distancier toujours plus de la politique gouvernementale. Et tout laisse présager que l’année 2005 connaîtra une nouvelle période de mobilisation « avec l’objectif de remettre le thème de la réforme agraire au centre de l’agenda politique national », souligne Kolling. Le MST, avec d’autres secteurs de la paysannerie, a déjà convoqué une marche nationale d’environ 300 km, qui se déroulera du 17 avril au 3 mai 2005 et se terminera dans la capitale, Brasilia. Il espère une participation de 10.000 personnes, « une épopée participative », selon Kolling.
 
La transition difficile
 
« Bien qu’on perçoive une crise à l’intérieur du gouvernement, il faut comprendre Lula selon le prisme de la catégorie de la transition », souligne de son côté Leonardo Boff, théologien, écrivain, l’un des pères fondateurs de la « théologie de la libération ».Dans toute transition, souligne Boff (consultant de divers mouvements sociaux brésiliens), il existe des dimensions de « continuité  – dans ce cas, la macro-économie – et aussi de nouveauté et de rupture ».Pour le théologien, cette part de continuité « cherche à calmer les organisations financières internationales et éviter ainsi une situation de chaos ». La tolérance analytique, pourtant, n’affecte pas le jugement critique de Boff. « Je pense toujours plus que cette économie n’est pas adéquate pour un projet d’améliorations sociales ».Après deux ans, la promesse du président actuel de « donner en 2005 des signes clairs d’amélioration apporte une relative espérance », selon Leonardo Boff. Lequel comprend pourtant qu’il est urgent pour les secteurs populaires que des pas soient faits afin de résoudre leurs problèmes.
 
Sergio Ferrari (envoyé spécial à Porto Alegre) Trad. HP Renk

 
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