Vers un nouveau paradigme du partenariat et de la coopération

Bien qu’ayant une vision théorique correcte de ce que devrait être la relation Nord-Sud, de nombreuses organisations de coopération débarquent en Afrique en imposant leurs exigences, leurs méthodes et leurs thématiques, explique le dirigeant associatif congolais, Emery Mpwate*.

« Dans une perspective d’avenir, il faut repenser le paradigme du rapport entre partenaires », souligne Emery Mpwate. Après des études de pédagogie et de biologie, il impulse depuis des années plusieurs initiatives pour amé­ liorer la qualité de l’éducation et l’accompagnement de la jeunesse, ainsi que la prévention contre le SIDA. Il s’est entretenu avec la revue Praxis durant une récente visite en Suisse, sur invitation de Mission 21, avec laquelle il collabore dans différents projets en Tanzanie.

D’où est né votre engagement avec la jeunesse et sur le thème de la santé ?

Emery Mpwate : Sitôt mes études terminées, je me suis mis à impulser une pédagogie appliquée aux graves problèmes qu’affrontent les enfants, les adolescents et les femmes dans mon pays, le Congo, et plus généralement en Afrique. Les axes sont la formation et l’accompagnement des jeunes, ainsi que la prévention anti-SIDA. Nous vivons une réalité présente, résultant de la colonisation et de la mondialisation qui ont créé de profonds disfonctionnements culturels et sociologiques. Les critères et les cadres qui permettaient historiquement aux jeunes de devenir adultes avec sagesse ont été rompus. Mon travail cherche simplement à préparer les jeunes pour leur vie future.

Que signifie votre affirmation que les cadres traditionnels ont été brisés ?

Je me limiterai à quelques exemples très simples au niveau de la société. Les multinationales – dont quelques suisses – sont arrivées avec leur publicité adressée aux mères, affirmant qu’il était malsain d’allaiter leurs enfants et qu’elles devaient remplacer le sein par le lait en poudre. Les conséquences sur l’augmentation de la malnutrition furent immédiates, en raison notamment de l’insalubrité de l’eau. D’autres grandes entreprises, pharmaceutiques, nient la valeur des médecines naturelles et, depuis plusieurs décennies, ont installé dans l’imaginaire populaire le pouvoir des médicaments et des substances chimiques, avec de graves conséquences en matière de santé publique sur des populations à faibles revenus.

Je ne voudrais pas omettre, aussi, l’impact terrible des visuels idéologiques créées en Europe et reproduits littéralement dans nos pays : le paradis se trouve au Nord. Cette image justifie tout, y compris de payer avec des milliers de morts le passage de la Méditerranée pour tenter d’arriver à une Europe toujours plus refermée sur elle-même. Mais pour des secteurs importants de notre jeunesse, cette traversée apparaît comme la seule option existentielle.

Quel rôle joue la coopération dans le cadre si complexe que vous décrivez ?

À une certaine époque, la coopération internationale prenait essentiellement la forme d’une assistance à sens unique de la part du Nord prospère en direction du Sud défavorisé. Cette assistance était généralement soumise à des conditions unilatérales. J’ai pensé que cette situation était révolue. Malheureusement aujourd’hui encore, les préconditions imposées par certains organismes donateurs entravent la participation de certains partenaires du Sud dans la réalisation des programmes. Et l’Africain de dire « La main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit », ce qui signifie que le partenaire pourvoyeur de fonds est au-dessus du partenaire receveur. Le plus souvent, il n’y a pas une prise en compte des problèmes réels des partenaires du Sud. Fondamentalement, cette situation crée une grande frustration et est contre-productive pour relever les défis réels d’un développement autonome.

L’échange de personnes, c’est-à-dire une coopération à visage humain, pourrait-il être une option pour défaire ce transfert vertical et autoritaire ?

Je crois beaucoup au potentiel de ce type de coopération qui cherche à renforcer les capacités locales. Mais cela va aussi dépendre du type de personne qui arrive, de sa vision globale, de sa capacité d’adaptation aux réalités locales, de sa qualité d’écoute pour fonctionner de manière horizontale. Si un coopérant arrive en pensant avoir la vérité absolue et qu’il ne s’intègre pas à notre dynamique, il représentera une charge plus qu’un apport. D’où plusieurs conditions pour que cet échange fonctionne :

  • – un bon choix du candidat
  • – une bonne formation
  • – non seulement professionnelle, mais aussi socio-culturelle
  • – des compétences réellement adéquates aux besoins du partenaire local
  • – une liste d’activités (cahier des charges) bien définie et
  • – fondamentalement l’esprit de concertation, tant chez la personne que chez l’organisation qui l’envoie.

Comment garantir la réalisation de ces exigences ?

Je pense qu’une option pourrait être une participation plus active des partenaires du Sud dans le processus de sélection, de recrutement et de formation des candidats qui vont partir pour travailler avec nous.

Cela impliquerait pratiquement un changement de paradigme dans ce type d’échanges…

Je pense qu’il faut avancer dans le changement du paradigme de la coopération dans sa pratique globale. Laisser de côté les charges et les contenus qui sont, à maintes reprises, imposées unilatéralement par le Nord. Je me réfère à la pratique, parce que les concepts sur ce que devrait être la coopération sont souvent corrects, mais ne correspondent pas ensuite au vécu de notre quotidien africain.

C’est-à-dire…

La coopération est définie comme étant l’action de coopérer, de participer à une œuvre, à un projet commun. Elle nécessite un certain degré de confiance et de compréhension entre partenaires. Elle vise à atteindre des objectifs communs. Cela suppose que les partenaires doivent avoir la même compréhension, la même vision des problèmes à résoudre et des motivations communes. En principe, la collaboration est au centre des partenariats. Une coopération internationale réussie est le fruit d’un travail d’équipe, basé sur la solidarité, les droits de l’homme et sur l’efficacité de l’aide. La relation coopérative implique la mise en commun, le partage et l’échange des ressources, des idées et des compétences apportées par chaque partenaire. Il est important d’avoir conscience que coopérer au développement ne signifie pas uniquement envoyer les experts européens en Afrique. Je crois que c’est un échange où chacun doit donner ce qu’il a. C’est un partenariat et c’est du donnant – donnant parce qu’on ne développe pas l’homme, mais il se développe. Il ne peut augmenter ses connaissances et ses capacités qu’en participant entièrement lui-même, sur un pied d’égalité avec les autres, à la vie de la communauté humaine.

Interview réalisée par Sergio Ferrari et paru dans le 3ème numéro de Praxis , revue d’UNITE

http://www.unite-ch.org/fr/actualites/vers-un-nouveau-paradigme-du-partenariat-et-de-la-cooperation


Emery Mpwate est un dirigeant associatif congolais, actif dans les domaines de l’éducation, de la jeunesse et de la prévention du SIDA. Également consultant pour des ONG européennes et notamment coordinateur Mission 21, il a étudié la pédagogie et la biologie.

** Sergio Ferrari est journaliste. Il collabore notamment avec Swissinfo et « Le Courrier », ainsi qu’avec de nombreux journaux Latino-Américains. Durant près de quarante ans, il a travaillé pour l’organisation de coopération par l’échange de personnes E-CHANGER.

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