Les vidangeurs manuels haïtiens : des travailleurs de l’ombre

Les vidangeurs manuels, appelés vulgairement bayakous en créole haïtien, opèrent discrètement les vidanges des latrines des particuliers.

Rencontrer un vidangeur manuel en Haïti est chose difficile, tant la honte de ce métier encore officieux est grande et leur anonymat total. Être bayakou, c’est s’exposer au dédain – voire au dégoût – de ses proches et de sa communauté.

Les vidangeurs travaillent toujours de nuit, à l’abri des regards. L’absence de cadrage législatif associé à ce statut contribue à en accentuer l’aspect insaisissable, inexistant. Ils ne disposent pas des connaissances suffisantes ni des moyens financiers nécessaires pour s’équiper correctement et se protéger contre les risques de blessures et de maladies.

Face à ce constat, ACTED a lancé dans la commune de Verrettes, dans le Département de l’Artibonite, un projet pilote d’amélioration des conditions de vie des vidangeurs manuels par leur formation aux règles d’hygiène et de sécurité de base et le développement d’outils adaptés (pompes, chariots de transport, etc.) permettant de faciliter et de sécuriser leur travail.

Ce projet pilote a également contribué à sensibiliser les habitants au rôle essentiel que jouent les vidangeurs dans la gestion des excrétas.

Des enquêtes menées auprès des ménages de la zone ont mis en évidence des habitudes qui priorisent de creuser une nouvelle latrine lorsque la première est remplie, ou de construire des latrines extrêmement profondes afin de retarder l’échéance, au lieu de procéder à leur vidange régulière. Or, ce mode de fonctionnement n’est pas forcément plus économique pour les ménages, car la construction de latrine est coûteuse, et représente également un risque sanitaire et environnemental important.

En effet, les impacts d’une mauvaise gestion des excrétas sont nombreux et peuvent avoir de lourdes conséquences sur la population : la pollution des nappes phréatiques ou de sites non adaptés au dépôt des excrétas et des boues de vidange peut provoquer des maladies diarrhéiques et contribuer, entre autre, aux flambées de choléra.

Ainsi, le travail des vidangeurs manuels peut représenter une solution alternative durable et avantageuse pour les habitants comme pour la protection de l’environnement, mais encore faut-il qu’ils soient correctement formés et qu’ils disposent des moyens nécessaires pour travailler dans des conditions optimales.

Les vidangeurs manuels souhaitent améliorer leurs pratiques. Ils plaident pour une meilleure reconnaissance de leur travail et pour le développement de sites de décharge et de traitement des déchets à proximité de leur zone d’intervention.

La problématique de la gestion des déchets demeure toujours au cœur des enjeux en Haïti.

 

À la suite du projet, les vidangeurs ont souhaité se regrouper en association, afin de gagner en visibilité (la plupart des habitants ne sachant pas comment contacter un bayakou en cas de besoin), travailler ensemble lors des opérations de vidange et se partager le matériel fourni par ACTED.

Ceci, une première en Haïti, illustre bien le besoin de reconnaissance ressenti par les vidangeurs manuels.

 

Court entretien réalisé en mai 2016 avec Joseph, 59 ans, maçon et vidangeur manuel, bénéficiaire du projet pilote mis en place par ACTED dans la commune de Verrettes :

Parlez-nous de votre métier de vidangeur manuel : que ressentez-vous en tant que bayakou ?

Je suis maçon, bayakou est un métier additionnel. Je me sens fier de travailler comme bayakou, même si le métier de bayakou en Haïti est vu comme humiliant. Mais l’important est de gagner de l’argent.

Comment votre famille considère votre emploi ? Est-ce que vos voisins savent ce que vous faites comme travail ?

Ma famille accepte ce métier et n’en a pas honte. Lorsque l’on gagne de l’argent c’est pour toute la famille.

En général, les gens savent que je suis maçon, mais ignorent que je suis aussi bayakou.

Qu’est-ce qui a changé avec le projet mené par ACTED dans votre quotidien professionnel ?

Le projet d’ACTED a permis aux bayakous d’obtenir une certaine reconnaissance publique. Cela rend également le travail plus facile et il m’a permis de faire partie d’une organisation gérée par les bayakous, pour les bayakous.

Comment voyez-vous votre avenir en tant que bayakou ? Depuis le projet ACTED est-ce que cet avenir vous paraît meilleur ?

L’avenir me semble assuré en tant que bayakou puisque le projet va me permettre à terme d’avoir plus de clients et de gagner plus d’argent.

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