Vivre l’occupation à Hébron – Hani et Reuven: deux hommes, deux histoires

Hani est un commerçant palestinien, père de 4 enfants. Il vit avec sa famille dans une belle et grande propriété au centre d’Hébron… à une cinquantaine de mètres d’un bâtiment colonisé. Il lutte activement contre l’occupation israélienne de la Cisjordanie en collaborant avec de nombreuses organisations pacifiques israéliennes et internationales.

Reuven est un chauffeur de taxi israélien. D’origine roumaine, il a vécu longtemps à Tel Aviv avant de s’installer à Jérusalem. Divorcé, il a un fils de 7 ans. Nous sommes montées dans son véhicule par hasard, mon amie Camilla et moi, parce que nous avions loupé notre bus. Reuven nous a conduit jusqu’à la Mer Morte et sur le chemin, nous avons beaucoup discuté.

Hani est régulièrement confronté aux attaques de ses colons de voisins. Par le passé, ils s’en sont pris à ses enfants, ont brûlé sa voiture à plusieurs reprises et ont détruit les oliviers de son jardin. Etant connu comme activiste par les autorités israéliennes, Hani est constamment surveillé et il a déjà passé six ans en prison pour « raisons sécuritaires » (administrative detention). En d’autres termes, aucun chef d’accusation n’a jamais été retenu contre lui et de ce fait, aucun jugement n’a jamais été envisagé. Aujourd’hui, il possède son petit commerce de thé et de narguilés. Et il nous raconte son histoire, ses histoires.

Reuven est d’avis que les 95% de la population sont des gens bien, « chez les Juifs comme chez les Arabes ». Les 5 % restant sont fous et ce sont eux qui créent les problèmes. Reuven n’est pas particulièrement croyant et constate avec regret que la population juive israélienne de Jérusalem se radicalise de plus en plus.

Hani est nostalgique du temps où « les Arabes et les Juifs vivaient côte à côte à Hébron, en toute sérénité ». Il nous explique que dans les années 20, son grand-père possédait une petite affaire en partenariat avec un commerçant juif qui fonctionnait très bien. La situation a commencé à se dégrader sérieusement à partir de 1967 avec l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza. Dès ce moment-là, Hébron a vu affluer un nombre important de colons israéliens / juifs extrémistes en son centre et aux alentours de la ville.

Selon Reuven, le montant que le gouvernement israélien alloue à la sécurité et à la défense est beaucoup trop élevé, voire insensé (environ 60% du budget de l’Etat) : « Ils auraient meilleur temps d’investir cet argent dans l’éducation, en faveur des jeunes ! » Reuven est pourtant convaincu que l’accroissement du nombre de soldats à Jérusalem, ainsi que de policiers en civil, a contribué à la réduction du nombre d’attentats et autres crimes dans la Vieille Ville…

Reuven craint les attentats terroristes, comme la majorité des Israéliens. Une de ses connaissances, une jeune fille de 27 ans qui était sur le point de se marier, est morte dans un bus à Tel Aviv il y a quelques années. L’homme assis à côté d’elle portait une ceinture d’explosif. « Ce genre de choses ne doit plus arriver. Comment voulez-vous que l’on vive un jour en paix si ces extrémistes continuent à s’attaquer à des innocents ? Et le Hamas ne fait rien, il ne condamne pas ses actes. Le Hamas est une organisation terroriste ».

Hani n’adhère pas particulièrement à la politique du Hamas. Néanmoins, il comprend qu’une certaine frange de la population palestinienne, en particulier les jeunes subissant de plein fouet les conséquences de l’occupation (chômage, restriction de mouvement, violence, humiliation, etc.) soient séduits par ces discours parfois radicaux : « Il faut comprendre ces jeunes. Si tout allait bien, s’ils pouvaient étudier normalement, travailler, sortir avec leurs amis sans avoir peur de se faire arrêter, aller à Jérusalem… ils ne seraient pas attirés par les idées du Hamas. Ou par les propos terroristes. Malheureusement, avec toute cette misère, certains le sont. Ils constituent une oreille attentive pour le Hamas, oui, c’est ça, le Hamas et ceux qui recrutent des martyrs ont trouvé une oreille qui les écoute ».

Des histoires comme celles d’Hani et Reuven, il en existe plein. Chacune d’entre elle véhicule son lot de cohérences et de contradictions. Néanmoins, je me rends compte qu’il est important de les écouter attentivement afin de ne pas tomber dans le piège de la diabolisation et d’être en mesure de nuancer ses opinions et ses propos. Lorsqu’on est quotidiennement confronté aux absurdités et aux injustices de l’occupation, ce n’est pas toujours facile de faire la part des choses.

Hani a prouvé qu’il en était capable : « Le problème ici ne vient pas de la religion mais bien de l’occupation », autrement dit de la politique menée par le gouvernement israélien en Cisjordanie et à Gaza. Je suis entièrement d’accord avec lui… bien que je ne sache pas toujours quoi penser lorsque je constate l’ampleur des dégâts causés par les colons israéliens / juifs extrémistes qui vivent à Hébron (en anglais : ideological settlers ).

Le problème ici ne vient pas de la religion, mais du fanatisme, aussi…
Blog de Joëlle Saugy http://johebron09.blogspot.com/ ou www.peacewatch.ch

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